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Le livre du mois du n°519 – L’école inclusive : un défi pour l’école. Repères pratiques pour la scolarisation des élèves handicapés

La loi de refondation de l’école du 8 juillet 2013 a posé les fondements de l’école inclusive en ces termes : « Le service public reconnait que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans distinction. »

Le vocable « inclusif » est souvent réservé en France aux personnes handicapées, et c’est de la scolarisation des élèves en situation de handicap dont il est question dans ce livre écrit par des deux formateurs ASH (adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés), et non de l’inclusion scolaire des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs. L’ouvrage, bien documenté sur ce versant de l’école inclusive qui réactive pour l’Éducation nationale la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », analyse avec rigueur les nouveaux textes règlementaires ainsi que leurs enjeux éthiques. Il offre des clés pour comprendre le passage de l’intégration à l’inclusion : « Sous le terme d’intégration, c’est la seule présence physique qui est prise en compte, alors que l’inclusion désigne plutôt une appartenance entière à la communauté scolaire. »

Les auteurs font ensuite l’état des lieux de l’école inclusive, en dégagent les avancées et en pointent les freins, mais également les leviers. « Un des enjeux de la réussite de l’école inclusive réside dans la capacité des enseignants spécialisés à adapter leurs contenus et formes d’enseignement et à organiser le transfert de ces compétences en direction des enseignants qui accueillent dans leur classe un élève handicapé. » Les auteurs montrent ainsi que, loin d’être un poids, la scolarisation des élèves en situation de handicap est une opportunité pour l’école, celle de faire évoluer les pratiques vers la différenciation pédagogique, à même de prendre en compte la singularité de chaque élève et du rythme de ses apprentissages. Les aménagements mis en place pour les élèves en situation de handicap vont en effet bénéficier à tous les élèves, et notamment aux plus fragiles. Des outils pour mettre en œuvre le principe de « l’accessibilité universelle » dans le maintien d’une exigence de qualité sont proposés par l’ouvrage, qui aborde aussi le sujet du PPS (projet personnalisé de scolarisation) de l’élève en situation de handicap ainsi que celui de son insertion professionnelle.

La question de la norme sociale et scolaire que bousculent les handicaps est effleurée en conclusion de l’ouvrage. On aurait aimé que cette problématique y soit davantage développée. L’école inclusive, véritable défi que la loi de refondation demande de relever, pourra-t-elle réellement advenir sans un programme global de lutte contre les discriminations ? Nous y revenons avec les auteurs de ce livre, qui sera particulièrement utile à tous les praticiens.

Évelyne Clavier


Questions à Pascal Bataille et Julie Midelet

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Vous prônez l’école inclusive. Vous connaissez les objections de nombre d’enseignants : « On n’est pas formés pour ça, est-ce que l’intérêt de ces élèves n’est pas d’être dans un établissement spécialisé ? Ne risque-t-on pas de ralentir les autres si on s’occupe trop de certains ?  » Quelles sont vos réponses ?
Effectivement, tous les enseignants n’ont pas vocation à devenir enseignants spécialisés, ce serait contraire aux principes de l’école inclusive. « On n’est pas formés pour ça », nous disent certains collègues, oui mais : au-delà de la différenciation pédagogique, chaque enseignant, formé ou non, a dans sa besace une connaissance et une expertise des contenus pédagogiques et didactiques dont il peut se saisir pour développer des adaptations réponses au projet de l’enfant ou de l’adolescent dites « de premier niveau ». Ainsi, la mise en œuvre d’adaptations pédagogiques en direction des élèves en situation de handicap ne peut que bénéficier aux élèves qui sont en difficulté dans les apprentissages. Va-t-on « ralentir les autres » ou, au contraire, permettre à tous d’accéder aux savoirs et ainsi respecter (enfin !) la promesse républicaine d’une école qui ne sombre pas dans l’élitisme ? Rappelons enfin que la loi handicap du 11 février 2005 affirme le droit à la scolarisation de ces élèves, droit qui doit se mettre en œuvre de façon prioritaire dans l’école, même si la coopération avec le secteur médicosocial est tout à fait importante.

En formation initiale et à partir de ces principes, des cours sont assurés dans les ESPÉ de Caen et de Rouen autour de la gestion de l’hétérogénéité, de la prise en compte des besoins éducatifs particuliers (BEP) ; des analyses de pratiques sont aussi organisées pour répondre à des problématiques ciblées rencontrées par les étudiants sur leurs lieux de stage.

Comment construire une communauté scolaire inclusive dans un sens peut-être plus large que l’inclusion des élèves ayant un handicap ?
Parler de communauté scolaire inclusive nécessite une réelle volonté de l’ensemble des personnels, au risque que les plus motivés s’épuisent dans le cadre de leurs missions. Ainsi, il est souhaitable d’inscrire cette volonté dans le projet d’établissement, de prévoir l’organisation de la concertation dans le cadre de l’emploi du temps de chacun des membres, et de chercher la présence d’enseignants titulaires d’une certification CAPA-SH ou 2CA-SH, considérés comme des personnes ressources en direction des élèves handicapés, mais aussi des élèves les plus fragiles. Le rôle d’expertise de ces enseignants doit être reconnu et conforté. À cela s’ajouterait la possibilité de créer des liens entre les établissements, qu’ils relèvent du premier ou du second degré, mais aussi du secteur privé pour les établissements spécialisés.

Comment articuler inclusion et dispositifs plus spécifiques tels Ulis, Clis, Segpa ? À quelles conditions ces dispositifs sont-ils pertinents ?
Le risque est grand qu’ils fonctionnent en dispositifs clos s’ils ne sont pas reconnus, c’est-à-dire non légitimés. Pour éviter cela, une connaissance fine de ces dispositifs est à penser, pour permettre à tous les personnels d’en identifier les spécificités. Un travail d’équipe autour des temps d’inclusion des élèves et de la coordination des actions de l’équipe est à organiser.

Comment jugez-vous la loi de refondation par rapport à l’inclusion ? Progresse-t-on, dans les textes, mais surtout dans le réel ?
Voir apparaitre le principe d’une école inclusive prenant en compte tous les élèves et ce, dès les premières lignes, constitue une avancée. Maintenant, au-delà d’une volonté philosophique et politique marquée, la mise en œuvre reste en partie à écrire et à construire.
En effet, dans le quotidien des établissements, et quelques mois avant le dixième anniversaire de la loi handicap du 11 février 2005, le bilan est mitigé. Si la scolarisation constitue aujourd’hui le droit commun, les obstacles à une inclusion réelle restent nombreux : des élèves qui se trouvent en situation de liminalité (jamais totalement exclus ni réellement inclus), une cristallisation des attendus scolaires érigés en norme (« si cet enfant handicapé est dans ma classe, c’est qu’il peut suivre les cours ») constituent de réels points de blocage aujourd’hui.

Propos recueillis par Évelyne Clavier