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Populaire ou scolaire ?

nipedu-logo-nouveau.jpgEn décembre 2022, nous concoctions un épisode qui abordait quelques enjeux de la pop culture en salle de classe1.

Ce faisant, par le seul usage des vocables pop culture ou culture populaire, nous donnions d’emblée une certaine légitimité à son opposition à une culture scolaire ou savante. S’il est aisé de percevoir le caractère parfois arbitraire de cette distinction – par exemple, quand Francky Vincent devient chevalier des Arts et des Lettres –, il est tout aussi facile, à d’autres moments, de la valider à défaut de quelques précautions. En effet, puisque tous les objets culturels n’atteignent pas la salle de classe, et encore moins les programmes officiels, cette distinction existe de facto.

Toutefois, cela ne doit jamais nous faire oublier que les critères qui font qu’un objet culturel – au sens le plus large – est déclaré digne d’être enseigné ou non peuvent être plus que discutables. En outre, en quoi cela devrait légitimer une hiérarchie entre ces objets ? En rien ! Toutefois, cela ne doit pas pour autant nous empêcher de relever les difficultés que peuvent créer les références à la pop culture. Si y faire appel pour capter l’attention des élèves semble sensé sous un aspect motivationnel, on peut aussi noter, comme certains sociologues (par exemple, Élisabeth Bautier), que cette démarche peut mettre des obstacles entre les élèves et les savoirs scolaires.

Savourer le savoir

En effet, celles et ceux, souvent les plus fragiles, qui savoureront la référence à leurs héros favoris auront plus de difficultés à discerner, derrière cet habillage, le savoir en jeu, à en apprécier la saveur et à comprendre que c’est pourtant cela que l’on attend d’eux. Et si, à cet instant-là, ces héros ne sont pas ce que l’on cherche à enseigner, il serait certainement dommage que la référence qui y est faite empêche les élèves d’apprendre à gouter la culture scolaire (pour reprendre l’allégorie culinaire chère à Jean-Pierre Astolfi2).

Permettre aux élèves de faire la part des choses entre objet et vecteur d’apprentissage est indispensable pour lever ces malentendus. Par exemple, Bob Dylan est un objet d’apprentissage si l’on étudie, en classe de langue vivante, ses textes comme une œuvre littéraire, alors qu’une série télévisée est un vecteur d’apprentissage si elle permet d’enseigner des événements historiques. Cela ne dit rien de la valeur à accorder à ces objets culturels. Cela signifie simplement qu’à ce moment-là l’un est étudié pour lui-même, alors que l’autre est au service d’un autre objet.

Aucun jugement de valeur. Aucune opposition. Juste une vigilance sur laquelle la recherche attire notre attention, en sociologie de l’éducation (on vient d’en parler), mais aussi en psychologie cognitive (à propos de la surcharge cognitive que peuvent créer les habillages).

Poussons alors l’allégorie culinaire jusqu’au bout : « bon + bon » n’a jamais été une règle suffisante pour nos papilles. Il est des aliments de grande qualité qui se gâcheraient l’un l’autre. Il peut en être de même lors de la rencontre de la pop culture avec la culture de l’école. Faut-il pour autant arrêter de chercher les accords qui, comme en cuisine, seraient en mesure de sublimer ces rencontres ? Bien au contraire, mais ayons simplement conscience qu’à l’école comme en cuisine l’équilibre des arômes est tout un art !

Régis Forgione, Fabien Hobart et Jean-Philippe Maitre

 

Notes
  1. À écouter ici : https://bit.ly/402cWIN
  2. Jean-Pierre Astolfi, La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre, ESF Sciences humaines, 2008.