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Pédagogies en milieux populaires

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Dans Collèges en milieux populaires (1999), son livre précédent, Bertrand Dubreuil s’intéressait principalement à la genèse extrascolaire (sociale et culturelle) du rapport au savoir des élèves. Il montrait comment l’expérience scolaire est construite et interprétée par les élèves et leurs familles à partir d’un vécu juvénile et familial toujours singulier. Si les portraits dont le texte était émaillé témoignaient souvent de « décalages culturels » vis-à-vis des normes et des pratiques scolaires, ceux-ci ne permettaient pas de prédire les parcours scolaires. Il fallait aussi prendre en compte les mobilisations et investissements singuliers des individus et/ou des familles, et ceux-ci semblaient déterminants dans le rapport à l’école.

Or ces mobilisations, ces investissements scolaires ont pour partie une genèse scolaire. C’est ce que laisse comprendre le nouveau livre que Bertrand Dubreuil vient de diriger, à partir du même terrain : les deux collèges populaires de Creil à partir desquels avait eu lieu l’enquête sociologique. Mais il ne s’agit plus d’une étude sociologique. L’ouvrage se donne pour but de rendre compte des principes éthiques et méthodologiques qui permettent à des professionnels (enseignants et animateurs sociaux) de faire leur métier malgré les décalages socioculturels et générationnels que l’enquête met en évidence par rapport à leur public, voire avec ces décalages. Enseignants et animateurs ont prolongé l’enquête en examinant quelle lisibilité elle donne à leurs pratiques et aux difficultés qui sont les leurs. Le livre Pédagogies en milieux populaires (le pluriel sert d’alerte contre la tentation de simplifier problèmes et solutions) est sorti de ce travail d’échange réflexif, qui s’est poursuivi pendant une année, avec le sociologue.

Les principes qui sont dégagés sont attendus, d’une certaine façon. Trouver le moyen de motiver les élèves sur les apprentissages obligatoires, sans concession à la facilité ; adopter dans la durée une posture d’accompagnement méthodologique, vigilante aux difficultés de chacun ; avoir autant que possible une cohérence d’équipe dans cet accompagnement, et une orientation positive à l’égard des parents, car ceux-ci ont une « pensée éducative » qu’il ne faut pas dénigrer mais plutôt soutenir : l’enquête sociologique le montre bien.

Un axe opportunément mis en lumière dans l’ouvrage est qu’il faut accepter l’idée que les apprentissages (et les résistances à l’apprentissage) ont une dimension identitaire essentielle, psycho-affective et psycho-sociale, dimension qu’il faut gérer. Une vision étroite de la laïcité, et une certaine pente de facilité, ont pu amener à l’oublier. Or, le souci du rapport des élèves au savoir impose de travailler sur les obstacles et les résistances, comme le souligne Philippe Meirieu dans une belle conférence (incluse dans l’ouvrage), – et les uns comme les autres ont un caractère identitaire. En français, certes, mais même en math ou ailleurs, l’enseignant doit être un « passeur culturel », et surtout en milieux populaires.

La saveur du livre vient de ce que ces principes y sont non seulement énoncés, mais montrés dans les tâtonnements de leur mise en œuvre, par des praticiens qui s’assument comme chercheurs en acceptant de prendre leurs pratiques pour objet. Citons P. Despeaux, professeur de math., qui s’interroge sur le rôle du rituel avec la classe ; J.-M. Zakhartchouk, qui signe ici en tant que professeur de lettres un texte sur la particularité du métier d’enseignant en ZEP, et un autre sur l’ambition culturelle et le « dialogue interculturel » ; M. Funten, documentaliste, qui conçoit le CDI comme l’espace d’un compagnonnage cognitif ; M.-S. Delcourt, enseignante de lettres, qui relate un projet d’écriture poétique engagé sur l’année avec une classe difficile de 4e ; M. Paris, enseignante de math, qui expose comment elle s’attaque de façon ludique au fatalisme des « nuls en math ».

En contrepoint, des animateurs et responsables des dispositifs de soutien (Khaled et Youssef Boulhamane, Dan et Ammar, Jeannine Hernandez) viennent dire la consistance pédagogique particulière de l’accompagnement scolaire, la « fragilité » des élèves « devant les apprentissages scolaires », et leur engagement à leurs côtés. D’autres s’inscrivent en partenaires de l’école pour témoigner des pratiques culturelles du quartier, ou dire une trajectoire identitaire (J. Hamel, M. Abid, H. Boulhamane).

L’éducation, une responsabilité partagée, dit la devise de la politique de la ville. Ici, on a pris l’idée au sérieux.

Françoise Lorcerie


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