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Passeurs de lecture

L’entrée du jeune enfant dans l’écrit est un « passage », une étape ritualisée, qui le conduira peu à peu « d’un savoir faire avec les autres à un savoir faire tout seul ». Dans cet ouvrage collectif, les passeurs sont d’abord les parents (la première partie est consacrée à la présentation d’une recherche sur les lectures partagées en famille, premier lieu de socialisation de l’écrit), ensuite les enseignants (la deuxième partie explore des médiations au livre opérées dans la pratique de la classe).
La présence de livres à la maison compte dans la manière dont l’enfant se situe ensuite dans la lecture scolaire. Mais on sait, au moins depuis les recherches de Bernard Lahire, que cet indicateur est trop grossier pour rendre compte du rapport entretenu avec la lecture. La nature des premières expériences du livre et de l’écrit, vécues positivement ou négativement, est de première importance et c’est le mérite de cet ouvrage que d’apporter des descriptions précises de ces expériences et de ces médiations.
Signalons tout particulièrement le chapitre où Catherine Frier, à partir d’enregistrements réalisés dans huit familles volontaires, décrit différentes « trames » d’interactions dans les moments de lecture partagée. Signalons aussi celui où Martine Pons s’interroge sur les différences sexuées. Lit-on de la même façon à une petite fille ou à un petit garçon, le père et la mère s’y prennent-ils de la même manière, les choses se passent-elles de la même manière avec les aînés et avec les cadets ? Les observations faites conduisent à une conclusion paradoxale : l’attitude des parents à l’égard des filles est plus distanciée ; est-ce cette attitude qui les conduit à développer plus vite leur autonomie à l’égard de la lecture ?
La seconde partie, consacrée à l’école, est différente. La première était centrée sur différents aspects d’une recherche commune. La seconde s’ouvre par une synthèse, historique et institutionnelle, sur la lecture à l’école, des principes qui ont structuré et qui structurent aujourd’hui les instructions officielles. Placer l’intérêt au centre du processus d’appropriation de la langue écrite et d’interprétation des textes est nécessaire à la formation des lecteurs, affirment finalement les auteurs. Comment s’y prendre pour atteindre ce but ? C’est ce que cherchent à montrer les chapitres suivants en témoignant d’une didactique de la lecture « centrée sur le sujet ».
Dans les pratiques professionnelles relatées (une maternelle, un CE1 et une 4e), l’appropriation de la langue écrite est conditionnée par une expérience intime et heureuse de l’objet livre, avec cependant toutes les tensions indispensables que cela comporte : offrir des textes exigeants et immédiatement impliquants, des livres déjà connus et des textes nouveaux et divers.
La socialisation du livre est facilitée par toutes sortes de dispositifs mis en place avec la collaboration de différents acteurs de la médiation. C’est le cœur du message que souhaitent transmettre les auteurs : l’enseignant lui-même doit être un médiateur en même temps que celui qui organise les apprentissages techniques. Les enfants deviennent alors peu à peu de vrais lecteurs, capables d’initiatives et de choix. « L’élève devient réellement lecteur non pas parce que – sous l’œil attentif du maître savant qui le contrôle en l’écoutant lire ou en lui posant des questions – son déchiffrage finit par devenir automatique et lui ouvre enfin les portes du sens, mais parce que, accompagné progressivement, poussé et encouragé chaque jour, à l’occasion de petits rituels du quotidien au cours duquel il discute, échange, prend du plaisir, cherche à comprendre, questionne, le voici engagé pour de bon en tant que sujet dans la communauté de lecteurs pour la grande conquête de la langue écrite. »

Jacques Crinon