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Ne pas céder à la « préférence pour l’inégalité »

Comme chaque année, la Fédération des conseils de parents d’élèves a tenu son congrès, lors du week-end de Pentecôte ; cette fois c’était à Reims. En dehors des débats internes et statutaires difficiles, la FCPE s’est donné pour thème de réflexion « école d’aujourd’hui, République de demain », avec une réflexion plus particulière sur la mixité et l’égalité dans l’école. Partenaire de la FCPE dans de nombreuses actions, le CRAP a été invité à ce congrès, où Florence Castincaud, directrice de publication des Cahiers pédagogiques, participait à une table ronde.

La ministre Najat Vallaud-Belkacem est intervenue en début de congrès ; elle est revenue une fois encore sur les raisons de la réforme du collège et a pu constater qu’elle était en phase avec les participants qui l’ont longuement applaudie, debout. Face à ceux qui lui reprochent de ne pas évoquer l’effort et le « mérite », la ministre, reprenant une thématique un peu nouvelle dans son discours, a rétorqué avec justesse que effort et mérite ne sont pas innés, se cultivent, s’entretiennent, alors que certains veulent figer très tôt les choses, en bâtissant de plus une opposition d’un autre âge entre « l’intelligence de la main » et « l’intelligence de l’esprit ». Le mérite, affirme-t-elle, ne doit pas être réservé à ceux qui ont les codes. Elle s’étonne que ceux qui parlent de nivellement par le bas soient prêts à « liquider » à l’école primaire notamment les enseignements artistiques et scientifiques. Elle rappelle les marges d’heures dont vont disposer les établissements pour mettre en œuvre la réforme, faisant confiance dans l’autonomie des équipes, mais promettant de cadrer davantage par exemple le rôle respectif du chef d’établissement et des instances comme le conseil pédagogique.

Intervention de la ministre

Intervention de la ministre

Parmi les temps forts du congrès, une table ronde devait répondre à la question : « Comment agir pour la mixité sociale et l’égalité dans les écoles et dans les classes ? »

Cette table ronde, animée par Sylvie Fromentelle, réunissait, outre Florence Castincaud, Stéphane Kus, chercheur à l’IFE au Centre Alain Savary, animateur du réseau national de lutte contre les discriminations à l’école ; Raymond Macherel, organisateur et animateur de ciné-débats autour de films documentaires, pour créer de la rencontre et du dialogue ; Patrick Tassin, président du Conseil économique, social et environnemental de la région Champagne-Ardenne.

Centrés sur l’école, les propos de Stéphane Kus et Florence Castincaud ont été complémentaires. Stéphane Kus a rappelé la situation d’inégalité du système français, avec ses ghettos privilégiés (classes préparatoires et grandes écoles) et ses ghettos défavorisés, les deux étant de faible mixité sociale. Il y a donc matière à interrogation sur ces « ruptures d’égalité » flagrantes, entre les territoires mais aussi à l’intérieur même d’un territoire ou d’un établissement. Sur un sujet bien connu de tous, par exemple les « devoirs à la maison », quelles sont les pratiques qui produisent de l’inégalité ? Quelles pratiques au contraire peuvent aider à entrer dans une logique de l’« apprendre » des élèves pour qui il s’agit seulement de « faire » ? Car c’est sur ces malentendus parfois invisibles que se renforcent les inégalités.

A sa suite, le propos de Florence Castincaud s’est largement inspiré du dossier des Cahiers qu’elle a co-coordonné  avec Jean-Pierre Fournier, Ecole et milieux populaires. Elle a souligné que notre cadre d’action était celui d’une société française en proie à de fortes et croissantes inégalités, et où on peut se demander si la classe moyenne actuellement n’a pas une « préférence pour l’inégalité », comme le dit François Dubet.

Table ronde

Table ronde

Sans compter les discours où on accuse les « pauvres » d’être responsables de leur sort. Puis elle proposé des pistes pour agir dans le sens d’une plus réelle mixité scolaire où tous ont vraiment leur place : des pratiques pédagogiques qui encouragent la coopération, qui valorisent chaque élève ; des pratiques d’évaluation qui poussent chacun à faire plus et mieux sans le figer dans un « niveau » qui l’assigne à une place ; une prise en compte par l’enseignant des malentendus qu’il perçoit chez les élèves, des décalages dans le rapport au savoir, dans la gestion du temps, dans le rapport au langage.

Du côté du rapport aux parents, la question cruciale des parents très éloignés de l’école, qui s’y sont sentis disqualifiés : il faut du temps, de la patience, de l’écoute pour les convaincre qu’ils ont leur place, c’est une des conditions pour que l’enfant s’y sente lui aussi à sa place (voir le rapport de JP Delahaye « Grande pauvreté et réussite scolaire »).

Comment lutter contre les discriminations, comment rendre les enseignants plus lucides sur les inégalités dont ils ne perçoivent pas toujours la réalité, comment se servir de marges de manœuvre pour agir efficacement ? On est là au cœur de ce qu’on peut souhaiter pour cette « République de demain » qui ne laissera pas tomber une partie de ses enfants… Un idéal qui interroge chaque citoyen et donc chaque parent : dans une assemblée FCPE, soulignons que nos attitudes de parents ne sont pas exemptes de contradictions ou ambiguïtés sur ces questions.

Jean-Michel Zakhartchouk