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« Mon corps est à moi » : prévenir les attouchements dès la maternelle

Il n’est pas facile de prendre en charge une situation d’attouchements entre élèves en maternelle ! Une proposition pour aller de la protection des élèves, lorsque de tels faits surviennent, à la prévention puis à la formation des enseignants.

Il est admis aujourd’hui que la protection des enfants et des jeunes, dans ses dimensions éducatives et de santé publique, incombe pour une large part à l’école. Pourtant, celle-ci se trouve souvent démunie lorsque les violences touchent à l’intime et concernent même de très jeunes enfants, alors que le cadre légal et les circuits d’information et de signalisation sont aujourd’hui connus des professionnels.

Les violences à connotation sexuelle diffèrent en nature et en gravité, mais toutes, lorsqu’elles font irruption dans l’ordinaire des écoles, sidèrent, ébranlent. Elles exigent des réponses rapides, adaptées et coordonnées, sur le registre de la gestion de crise ; ces situations nous renvoient aussi à la nécessité de penser et d’organiser la prévention dans la durée, en dehors de toute urgence, dès la première scolarisation.

Ainsi, aux côtés des familles et des acteurs de la santé scolaire, les enseignants et enseignantes sont tenus d’agir. En cela, ils doivent être soutenus. Les figures de la psychologue de l’Éducation nationale (PsyEN) et de la conseillère pédagogique de circonscription (CPC), agissant sous l’autorité de l’Inspecteur de l’Éducation nationale (IEN), sont au cœur de cet appui.

Des faits d’attouchement

Des faits survenus dans deux écoles maternelles de la circonscription de Nantes-III ont conduit à construire des propositions sur le corps, l’intimité, les émotions et la question du consentement, pour favoriser le bienêtre et l’épanouissement des enfants tout en prévenant les violences, notamment à caractère sexuel et sexiste. Dans les deux écoles, les faits déclencheurs sont des attouchements, avec une tentative d’intimidation à l’encontre de la victime. À chaque fois, l’école a été informée des faits par les parents de la victime.

Pour chaque école, la PsyEN et la direction ont choisi de traiter la situation à deux niveaux :

  • le niveau 1 : des élèves identifiés – victime et auteur(s) – et leurs parents,
  • le niveau 2 : le collectif de tous les élèves de la classe ou de la classe d’âge.
L’élève victime et l’élève auteur

Des mesures de protection concrètes ont été définies pour prévenir toute récidive au sein de l’école : les passages aux toilettes, très surveillés, une distance physique imposée lors de l’installation en atelier, ou en coin regroupement, et une vigilance accrue sur les temps de loisirs. Un lien a été fait avec l’équipe du périscolaire de l’école.

La PsyEN a réalisé un entretien avec les parents de l’enfant victime. Comme avec Emma, 3 ans et demi (en petite section) et ses parents :

Emma : « Ils [les deux garçons de la classe] sont arrivés par-derrière, j’ai rien pu faire. »

Mère d’Emma : « Ça m’a foudroyée. »

Père d’Emma : « Ça apprend ce que c’est la vie. »

PsyEN : « Madame, je comprends votre réaction et votre émotion, et je comprends aussi Monsieur votre souci de vouloir dédramatiser. Retenons qu’il nous faut féliciter Emma d’avoir parlé de cela, la féliciter de son courage ; et nous, adultes, nous allons faire le nécessaire pour qu’elle sache que dans la vie elle peut faire confiance à ses parents et à l’école pour que cela ne se reproduise pas. Nous allons faire le nécessaire pour qu’à l’avenir tous les petits camarades de classe sachent que c’est interdit. »

Puis, conjointement avec la direction de l’école, la PsyEN fait un entretien avec les parents de chaque enfant auteur. Cet entretien permet de rendre compte de l’incident, de recueillir le sentiment des parents concernés, de leur indiquer aussi que la curiosité sexuelle fait partie du développement du jeune enfant, mais que parents comme professionnels de l’école doivent très tôt sensibiliser les enfants à la notion de consentement et aux interdits qui relèvent de l’intime et du corps de chacun. Au cours de cet entretien, nous présentons également l’action collective à destination de l’ensemble de la classe pour aborder les questions de corps, de parties intimes, d’interdit et de notion de consentement.

Prévention pour toute la classe

L’action de prévention est très inspirée des programmes québécois d’éducation à la sexualité des enfants de niveau préscolaire, qui visent à prévenir les violences sexuelles. L’idée centrale étant qu’enseigner tôt aux enfants que leur corps leur appartient leur permet d’être mieux outillés pour se protéger. Après avoir échangé avec le service de santé scolaire, nous avons adapté les modalités et les supports. Voici le cadre de notre proposition d’action de prévention :

Qui ?

Un binôme d’adultes, l’un des adultes pouvant se détacher du groupe si un enfant a besoin de faire des révélations.

Un petit groupe d’élèves (cinq à huit) pour faciliter la prise de parole.

Où ? 

Une salle contenante (pas trop grande) sans allées et venues extérieures afin que le climat soit propice à la confiance, car la thématique des échanges renvoie au registre de l’intime.

Comment ?

Des séances de trente à quarante-cinq minutes, sur quatre semaines ; il est possible de réactiver les notions proposées tout au long de l’année scolaire.

Quoi ?

Séance 1 : (Re-)découverte du corps, des différentes parties et du « vrai » nom des parties intimes (car savoir correctement nommer permet de mieux alerter les adultes). Pour ce faire, nous travaillons avec les élèves sur la désignation et la dénomination, à partir de poupons sexués et de dessins (de face et de dos) d’une fillette nue et d’un garçonnet nu, avec un sous-vêtement qui s’accroche et se décroche (pour aborder la notion de l’intime).

Séance 2 : Lecture et discussion autour de la notion de consentement à partir d’un ouvrage de littérature jeunesse1.

Séance 3 : Projection vidéo de « Non-oui, c’est moi qui le dis » (ressource Canopé) et discussion.

Séance 4 : Jeux de rôles avec des figurines ou avec les élèves comme interprètes de quatre personnages : la maitresse, le témoin, la victime, l’auteur. Mise en scène prenant appui sur les situations évoquées lors des séances précédentes.

À l’occasion de ce temps de prévention, il y a une prise de conscience pour nos jeunes élèves et aussi des révélations nous conduisant à intervenir auprès des parents. Comme, par exemple, pour Ibrahim, 4 ans et demi (moyenne section) : « Mon grand frère, il frotte mon zizi, lui il aime bien mais moi je n’aime pas, je ne veux pas, mais il le fait quand même. »

Faire adhérer les parents

Un préalable à l’action de prévention est la communication avec les parents pour avoir leur adhésion. Voici le message d’information que nous leur avions transmis :

Madame, Monsieur,

Tous les enfants de la classe participeront à un projet d’éducation à la santé : « Mon corps est à moi ». Cette action prône le respect de son corps, le respect du corps de l’autre.

L’objectif est d’amener l’enfant à mieux connaitre son corps, à faire sa conscience de ce qui relève de l’intime pour lui-même et pour l’autre, à oser exprimer le « non » et à respecter le « non » de l’autre.

Ce projet commencera

Les enfants participeront, par petits groupes à trois, quatre séances de trente minutes qui seront coanimées par

Nous sommes à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

Ce travail a été réalisé auprès d’enfants de 3 à 6 ans (petite, moyenne et grande sections), il s’est révélé nécessaire à accomplir mais impossible à mener seule par la PsyEN sur les six écoles maternelles de son secteur ; c’est ainsi que nous avons fait évoluer ce travail vers une action de formation à destination de douze enseignants de cycle 1.

Formation « Oser dire non »

La conception du scénario de la formation (six heures au plan d’animations pédagogiques de la circonscription) a tenu compte des besoins identifiés ainsi que des orientations et des ressources institutionnelles existantes, pour s’inscrire dans le Parcours citoyen et le plan de prévention, comme un des axes du climat scolaire (priorité de la circulaire de rentrée 2022).

Après une présentation de l’action de prévention « Mon corps est à moi » par la PsyEN, celle-ci a également présenté les signaux d’alerte des situations d’attouchements, puis nous sommes revenues sur l’importance d’enseigner les émotions à nos jeunes élèves, car identifier, nommer ses émotions et comprendre celles de l’autre sont nécessaires pour oser dire « non ».

Ainsi, la formation s’est poursuivie par le partage d’une séquence d’apprentissage centrée sur les émotions par une collègue enseignante de moyenne section, complétée par la CPC avec la présentation d’autres ressources institutionnelles sur les émotions, et par ses conseils dans le champ de l’apprentissage du lexique des émotions et du corps, en lien avec les recommandations du guide cycle 1 (construire l’univers de référence, comprendre le lexique en situation de réception ˗ la rencontre ˗ puis en situation de production ˗ la structuration ˗ et, enfin, réutiliser dans d’autres contextes).

Paroles d’enseignants

À l’issue de l’action de formation, les douze enseignantes ont fait des retours positifs et ont complété un questionnaire d’évaluation de la formation, voici des extraits de leurs réponses :

  • Ce que je suis venue chercher et que j’ai trouvé : « Des réponses aux situations vécues à l’école. » « Des pistes de travail sur les déroulés de séances sur le “dire non”. »
  • Ce que je suis venue chercher et que je n’ai pas trouvé : « Parler davantage du repérage des signaux alertant. »
  • Ce que je ne suis pas venue chercher et que j’ai trouvé : « Limportance de travailler sur les émotions et le consentement. » « Des réflexions didactiques sur l’enseignement du vocabulaire et de la lecture d’album. »
  • Ce que je pense changer dans ma pratique : « Prévoir un travail d’équipe autour de la question du consentement et des violences. » « Je n’avais rien fait dans ce domaine, donc j’ai trouvé beaucoup de choses à faire en classe (émotions, corps). »

En toute circonstance, l’IEN doit avoir en point de mire l’intérêt des enfants, exprimé en termes de protection et d’apprentissages scolaires, et celui des enseignants, exprimé en termes de protection et de développement professionnel.

Pour les questions liées à la protection et au bienêtre, d’une part, aux apprentissages et à la formation professionnelle, d’autre part, la PsyEN et la conseillère pédagogique sont respectivement des actrices incontournables. II est apparu que le traitement des violences sexuelles, en gestion de crise comme en prévention, ne pouvait que gagner à prendre appui sur l’expertise croisée de ces deux professionnelles.

Dans une logique de pôle ressource, telle que la définit la circulaire relative au fonctionnement des Rased (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), et sous l’impulsion de l’IEN, c’est le choix qui a été fait ici.

Véronika Taly
Psychologue de l’Éducation nationale (PsyEN)
Pascal Denat
Inspecteur de l’Éducation nationale (IEN)
Anita Morineau
Conseillère pédagogique de circonscription (CPC)

À lire également sur notre site :

En maternelle, toucher n’est pas toujours jouer, par Maëliss Rousseau


Sur notre librairie

Notes
  1. Suggestions : Nikki Luna, J’aime mon corps, Bayard, 2021 ; Pascal Bruckner, Jean-Pierre Kerloc’h, Ça suffit les bisous !, P’tit Glénat, 2016 ; Rhéa Dufresne, Geneviève Després, La bulle de Miro, Fondation Marie-Vincent, 2018 ; Marie Wabbes, Petit Doux n’a pas peur, La Martinière Jeunesse, 2015.