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Livret de compétences : nous ne sommes pas condamnés à l’« usine à cases »
Comment ne pas partager la perplexité des équipes devant ces livrets de compétences, alors que la confusion règne dans leur mise en œuvre ? Les diverses autorités institutionnelles, du ministère aux inspections pédagogiques régionales, envoient des messages confus, contradictoires même, ne serait-ce que sur l’articulation entre ce livret très novateur et un diplôme national du brevet à l’ancienne, inchangé. L’accompagnement des équipes pédagogiques est dérisoire, faute de moyens pour la formation continue. Comment ne pas avoir envie d’exprimer son scepticisme devant ce qui peut apparaitre comme une formalité bureaucratique, qu’on accomplit sans conviction ?
La direction du SNES va plus loin en demandant par une lettre ouverte au ministre de l’Éducation nationale un « moratoire » à ce livret en attendant une hypothétique consultation et en contestant une validation du socle commun commençant par la fin, en classe de 3e. Derrière cette demande, ce sont les idées mêmes du socle commun et du travail par compétences qui sont vivement critiquées.
Le socle commun, nous dit-on, « écrase des pans entiers de la culture scolaire ». C’est passer bien vite sur l’encyclopédisme, l’absence de priorités de ce texte, comme trop souvent des programmes scolaires. Les enseignants savent bien que l’essentiel est ce qu’apprennent les élèves plutôt ce qu’exposent les programmes, les manuels et les cours. Si on le prend au sérieux, domaine par domaine, combien d’adultes pourraient prétendre à la validation effective de ce socle ?
Si nous sommes d’accord sur la nécessité d’aller plus loin dans la rigueur et la cohérence du travail par compétences, dans la définition de niveaux d’exigence, ces critiques indispensables ne doivent pas aboutir à renoncer à cette approche pédagogique, au profit de l’hypocrisie actuelle qui fait croire qu’un 12/20 dans un collège Ambition réussite vaut tout autant qu’à Louis le Grand.
De même, si les domaines 6 et 7 du socle commun doivent être mieux précisés, il ne faut pas pour autant remettre en cause l’ouverture du « scolaire » vers des compétences plus larges et si importantes dans la vie civique et sociale de l’individu. Valider, et surtout prendre en compte « les comportements responsables » ou « la maitrise de son corps » sont des avancées importantes pour notre école.
Enfin, réaffirmons qu’il n’y a aucune antinomie entre compétences et connaissances, la mobilisation de compétences reposant toujours sur les ressources que constituent les savoirs. Les opposer est un faux procès, les compétences n’étant pas de simples savoir-faire technicistes.
La « course à la croix » n’a rien d’inéluctable. Rien n’y oblige les équipes, et il ne faut pas accepter le remplissage bureaucratique dont se contenterait volontiers l’administration. Il faut se donner du temps pour des validations pertinentes, qui, les premières années, tiendront forcément du bricolage, sans oublier de critiquer aussi le bricolage actuel des « moyennes générales » qui aboutit dans nombre de collèges au grand écart entre les résultats au contrôle continu et ceux à l’examen du brevet.
Il faut être clair : demandons-nous légitimement une période de concertation pour favoriser l’appropriation de cet outil précieux que peuvent être les livrets de compétences, ou bien nous servons-nous du prétexte de la précipitation confuse du ministère actuel pour en remettre en cause le principe ? Commencer par le niveau 3e nous semble une nécessité, tant on sait que l’aval pilote l’amont dans notre système.
Quand bien même nous nous retrouvons dans bien des combats communs avec le SNES, nous ne pouvons accepter cette argumentation qui conforte les conservatismes et va à l’encontre des buts affichés que nous partageons, ambition importante pour tous et lutte contre l’échec scolaire. La mise en œuvre du socle commun, de sa validation par les livrets de compétences peut être une chance pour le système éducatif français, et il nous faut exiger de la part du ministère un discours clair, un pilotage ambitieux, des moyens pour des formations, un accompagnement de la mise en œuvre des livrets sur le terrain.
Entre un ministère brouillon et inconséquent, qui va à la fois trop vite et trop lentement, et ceux qui demandent un moratoire comme d’autres demandent des commissions pour mieux enterrer ce qui les dérange, il va nous falloir bien du courage et de la patience pour faire avancer l’école.
Le bureau du CRAP-Cahiers pédagogiques
le 24 janvier 2011