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Lisa Voisard : « Les enfants me racontent leurs aventures »

Aimez-vous la nature ? Les arbres, les oiseaux… Jusqu’aux insectes ? Avec son livre illustré Insectorama (éditions Helvetiq), et après Ornithorama et Arborama, l’illustratrice Lisa Voisard vous emmène faire connaissance avec les espèces qu’elle a sélectionnées, pour mieux vous réconcilier avec ces petites bêtes pas toujours plaisantes mais indispensables.
Quel souvenir gardez-vous de l’école ?

Ce n’est pas forcément un très mauvais ni un très bon souvenir. Les cours de musique et de dessin, c’était très chouette. Je me souviens aussi des cours de sciences, quand on allait faire classe dans la forêt, car j’avais la chance d’être à la campagne. En revanche, l’histoire ou la géographie ne me parlaient pas trop. Mais maintenant, je regarde des documentaires ; il y a des intérêts qui viennent plus tard. Et puis j’aimais retrouver les amis, le côté social de l’école me plaisait.
Mais je me souviens aussi qu’à 12 ou 13 ans, j’avais souvent envie de bouger en classe, je me demandais pourquoi il me fallait rester autant de temps assise à une table, à écouter les adultes parler. Et ça m’est revenu, quand j’étais salariée et que je regardais l’heure : « Il n’est que 15 heures ! ». Mais maintenant que je suis indépendante, j’ai la chance de gérer mes horaires.

Le système de notes me stressait énormément. Je trouve que ça n’est pas idéal pour la confiance en soi. Si on amenait les élèves à s’autoévaluer, avec des objectifs, ce serait mieux que de les pousser seulement à avoir une meilleure note.

Comment en êtes-vous arrivée à faire des livres ?

J’ai toujours aimé les beaux livres, mais j’ai des soucis de concentration pour la lecture : si le sujet me tient pas en haleine, je ne finis pas le livre. Mais j’ai toujours aimé le français en classe, notamment écrire des histoires. Il y a encore trois-quatre ans, je ne savais pas que j’allais devenir autrice, les livres sont venus étape par étape dans mon cheminement professionnel : il y a eu d’abord le graphisme, puis l’illustration, puis l’édition. Un peu comme un escalier.

Comment est né le projet de la série ?

Après l’Eracom, une école d’art et de communication à Lausanne, j’ai fait mon premier stage dans la maison d’édition Helvetiq pendant quatre mois. Quand j’ai eu une idée de livre sur les oiseaux, sept ans après ce stage, je les ai recontactés. Je m’étais découvert une passion pour les oiseaux, j’avais fait une exposition d’une dizaine de tableaux, mais j’étais restée sur ma faim, j’avais envie d’en monter plus et de faire un projet plus complet. Le livre me semblait le meilleur objet pour ça. C’était un projet qui demandait une forme de maturité.

Tout est allé super vite : neuf mois après que j’ai envoyé le projet à mon ancien patron, le livre était sorti. C’était un seul livre, pour moi, je n’avais pas fait de plans sur la comète. Je voulais montrer un travail fini de bout en bout, et j’ai continué la série parce qu’il y a eu un très bon accueil et que j’ai adoré l’expérience. C’était une bonne surprise.

Au départ, il y avait juste mon idée d’un livre très illustré sur les oiseaux, un guide, mais pas avec des photos. J’ai rencontré une ornithologue, je lui ai posé des questions tout au loⁿg du processus. J’ai fait aussi beaucoup d’observations sur le terrain, regardé des documentaires, constitué une bibliothèque. Et puis, dès qu’il y avait des évènements ou des sorties du Centre ornithologique lausannois, par exemple pour baguer des martinets, j’y allais. Ça m’a permis de poser des questions, de vivre des expériences, de sélectionner les espèces, et de trouver des histoires intéressantes à raconter. Je voulais mettre un peu de poésie, pour que ce ne soit pas un truc rébarbatif.

Faire un livre pour les enfants sur les oiseaux ou sur les arbres, c’est assez évident, mais les insectes ?

L’ambigüité m’a intéressée. Moi-même, j’ai peur des araignées (qui ne sont pas des insectes). Ce sont de petites bêtes avec lesquelles on doit cohabiter. Il y en a qu’on trouve très belles, d’autres qu’on ne veut pas rencontrer. Ces petites bêtes, on les aime moins, elles n’ont pas d’expressions, il y a une distance qui se crée, on n’hésite pas à les tuer. Il y a des peurs irrationnelles.

J’ai voulu donner des informations sur les insectes, leur donner une personnalité, raconter ce qu’ils mangent, comment ils vivent, ça permet peut-être de mieux les connaitre donc de mieux les accepter. Ils sont hyper importants dans l’écosystème : s’ils n’existent plus, on ne peut plus manger, parce qu’il y a un lien direct entre ce qu’on mange chaque jour et le travail des insectes. Grâce à leur travail de pollinisation, nous pouvons avoir du café, de la farine, des fruits, etc. Je voulais aussi parler de ça, les mettre en lumière. Les illustrations sont colorées, épurées, elles montrent les insectes dans des situations où on peut les trouver beaux ou attendrissants, j’espère qu’elles aident un peu.

Ils font leur vie comme nous faisons la nôtre. Pourquoi on occuperait tout le terrain ? Je ne suis pas allée aussi loin que ça dans le livre, mais c’est ma manière de nous décentrer un peu de nos sociétés anthropocentrées et de nous remettre un peu à notre place.

Savez-vous si vos livres sont utilisés par des enseignants ?

J’ai reçu récemment un message du Centre de distribution des ouvrages scolaires suisse romand, mes trois livres ont été ajoutés au catalogue, les enseignants peuvent donc les commander. J’ai rencontré des maitresses qui font l’école à la forêt, et qui utilisent surtout Arborama pour intéresser les enfants, leur apprendre des choses très concrètes.

J’ai moi-même fait des ateliers en mars avec des enfants de 7 à 11 ans (en Belgique et en Suisse), organisés par des bibliothèques ou des librairies, parfois dehors ou dans les classes. Ils ont des retours assez francs, ils n’y vont pas avec des pincettes. J’ai trouvé plus de curiosité que de peur, chez les enfants, ils ont envie de tester, d’explorer, ils me racontent leurs aventures. Avec les insectes, j’essaye de les faire parler de leurs émotions, de mettre les mots sur leurs peurs. J’ai aussi apporté des insectes naturalisés que m’avait prêtés un ami entomologiste, on les a regardés à la loupe. Ils ne bougent pas, donc, pour certains, ça a permis qu’ils osent regarder.

J’ai observé des réactions genrées, aussi, les garçons préfèrent souvent les coléoptères et les filles, les papillons et les coccinelles. Ils ont déjà grandi avec une imagerie très présente, transmise par exemple à travers les livres ou les vêtements.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

 


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