Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Lire mieux à voix haute

Retour au sommaire

Plus de vingt ans d’enseignement en Guyane, dans les Hauts-de-Seine, à Saint-Martin, et actuellement à Mayotte, ont orienté Rachel Sarr vers des recherches sur le fonctionnement du langage, au Centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte. Elle nous explique pourquoi.
Votre longue expérience dans les DOM est-elle en lien avec votre choix d’engager un master puis une thèse en sciences du langage ?

C’est le fruit de mes questionnements. Dans les DOM, j’ai beaucoup enseigné le français. J’accueillais de nombreux élèves allophones en classe ordinaire : il y avait beaucoup d’élèves des pays voisins, du Brésil, du Surinam, quand j’étais en Guyane. La population haïtienne était très représentée surtout à Saint-Martin.

Qu’est-ce qui vous a conduite à vous orienter vers un directeur de thèse en phonologie et à travailler sur la fluence en lecture ?

En tant que praticien de l’éducation, on a en quelque sorte une double casquette, celle d’enseignant et de chercheur. C’est une remise en question permanente. C’est ainsi qu’en octobre 2013, j’ai opté pour un master recherche « Fonctionnements linguistiques et dysfonctionnements langagiers » nouvellement appelé « Psycholinguistique et linguistique clinique ». C’est une formation qui apporte des connaissances sur le développement du langage, de ses atypies et de ses troubles.

Une fois le master obtenu, j’ai voulu poursuivre dans cette voie-là. L’idée de la fluence en lecture a muri pendant mon cursus de master 2. Ma problématique était : comment faire en sorte que les élèves lisent plus vite et mieux ? J’ai trouvé beaucoup de contributions dans le paysage anglo-saxon alors qu’en 2013 en France, on en parlait très peu. J’ai voulu poursuivre cette approche réflexive en travaillant cette fois sur toutes les composantes de la fluence. En master 2, j’avais évalué la vitesse de lecture et l’exactitude dans ma classe de CP ; en thèse, je voulais également évaluer la prosodie, le regroupement des mots, la lecture silencieuse, ainsi que la compréhension de phrase et de texte.

Vous avez mené une étude que vous qualifiez de quasi expérimentale. Pouvez-vous présenter le protocole que vous avez mis en œuvre ?

La population comprenait un groupe entrainé et un groupe contrôle. Il y avait un pré test pour 152 élèves du CP au CM2 et l’échantillon final comptabilisait quatre-vingt-huit élèves, soit quarante-six garçons et quarante-deux filles. S’ensuivaient des post tests après huit semaines de quatre jours d’entrainement et des post tests différés trois mois après. L’expérimentation avait lieu dans trois écoles dans le Morbihan, une privée et deux publiques dont une bilingue. J’ai constitué vingt-quatre groupes homogènes de trois élèves. Les séances étaient courtes (vingt à trente minutes), intensives et régulières.

Et pour la construction de ces séances, quels sont les emprunts à des recherches déjà existantes, et quels sont les apports liés à votre propre expérience ?

Je me suis appuyée sur les différentes phases d’une séance type proposée par les guides des éditions La Cigale pour le cycle 2 et j’ai emprunté des supports textes de Françoise Picot pour le cycle 3. J’ai étoffé le dispositif : en début de séance il y a un rappel de ce qui a été fait dans les séances précédentes.

Le dispositif a aussi été enrichi avec l’apport des neurosciences affectives et sociales : au début et à la fin de chaque séance, on demande à l’élève de verbaliser ses ressentis et ses émotions. Il y a eu un souci de travailler sur toutes les composantes de la fluence. Généralement, on travaille surtout sur la vitesse de lecture. Or mon souci était de voir quelle était la composante de la fluence en lecture sur laquelle l’entrainement avait le plus d’effet. Au niveau de la compréhension, j’ai voulu aussi approfondir, ne pas travailler seulement sur la microstructure mais aussi sur la macrostructure par le biais d’un rappel de texte.

Et à quel moment travailliez-vous la compréhension ?

En fait, chaque semaine il y avait l’étude d’un nouveau texte informatif ou narratif sur lequel on travaillait le lexique et la compréhension avec le rappel. Avant de lire à haute voix, il était important que les enfants comprennent bien l’ensemble du texte. Je faisais des exercices de discrimination visuelle en complément : « Cherchez-moi le plus vite possible tel mot dans le texte. »

S’agissant de la compréhension, j’y revenais au cours de la semaine, mais rapidement : « Est-ce que tu peux me rappeler de quoi parle l’histoire ? » La découverte des neurones miroir permet de mettre en avant l’importance du geste professionnel : l’adulte est un modèle pour les élèves lors des ateliers de fluence.

Pour revenir sur la compréhension, il y a eu ce travail sur la compréhension dans le cadre de l’entrainement, mais les résultats aux différents tests indiquent qu’il est important de continuer à travailler la compréhension en dehors des séances d’entrainement.

Oui, dans les pratiques de classe, car lire, c’est comprendre. Certains considèrent qu’en CP il faut travailler surtout le déchiffrage au début et ensuite la compréhension mais en fait, non, il faut travailler l’accès au sens dès le départ en passant par la compréhension orale, parce que c’est elle qui prédit la réussite ultérieure en compréhension de l’écrit

Les progrès sont beaucoup plus marqués au cycle 2 qu’au cycle 3. Il y a des dominantes : au CP, ce sont les progrès en vitesse de lecture qui sont spectaculaires. Au début, j’ai pris des élèves qui ne lisaient que sept mots par minute alors que pour mon master 2 ils lisaient vingt mots par minute. Au cycle 3 il y a de très fortes améliorations de la prosodie : fluidité, ponctuation, liaisons et intonation. Les résultats montrent l’importance d’une prise en charge précoce des difficultés des élèves.

Et la précision ?

C’est ce qu’il y a de plus remarquable à tous les niveaux. Les enfants font beaucoup moins d’erreurs, même trois mois après. Au niveau de la lecture silencieuse de listes de mots en revanche, il y avait très peu d’impact.

Vous avez fait le choix de mener des ateliers de trois élèves en dehors de la classe avec l’aide d’intervenants extérieurs. Quelles limites y voyez-vous ?

Quand je suis intervenue dans le cadre de décloisonnements en lecture, il y a quelques années, j’étais sur le dispositif Plus de maitres que de classes qui n’existe plus. Aujourd’hui, on peut se tourner vers la direction. L’autre option consiste à se rapprocher des membres du Rased pour de la co-intervention ou un travail en atelier. Encore faut-il que ces derniers soient volontaires et disponibles.

Propos recueillis par Marie-Laure Elalouf

Bibliographie

Rachel Sarr, Entrainement à la fluence de lecture à l’école primaire. Recherche sur les effets et les déterminants de la performance, thèse dirigée par Bernard Laks à Paris-Nanterre, 2019.


Sur notre librairie