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Les Microlycées – Accueillir les décrocheurs, changer l’école
Ingrid Duplaquet : Ce livre ne pouvait pas mieux tomber ! Certes chaque Microlycée a son histoire, ses particularités mais il est important de pouvoir aussi compter sur les plus « anciens » qui ont une expertise, une analyse des situations. De plus, les bonnes pratiques, les conseils sont transférables et adaptables. Par exemple pour ce qui concerne la salle commune la pédagogie différenciée, la conception de l’évaluation, le tutorat, l’interdisciplinarité, la place des pratiques artistiques, un calendrier de l’année repensé, la place du coordonnateur…
Eric de Saint-Denis : On peut toujours donner des conseils, surtout pour la première année de démarrage d’une structure où l’énergie demandée à l’équipe éducative est considérable. Mais s’il y a des principes qui sont en effet exposés dans le livre (je pense à la bienveillance ou la dédramatisation de l’évaluation), il y a surtout des pratiques et celles-ci varient nécessairement d’un Microlycée à l’autre. C’est ce que nous avons essayé de montrer : principes généraux de fonctionnement et différences de mise en pratique d’un Microlycée à l’autre.
Nathalie Broux : Je me reconnais dans l’expérience d’Ingrid Duplaquet : en 2009, le Microlycée de la Courneuve naissait, et après une première année difficile, se « refondait » en 2010… Il fallait tout inventer, en s’inspirant de l’expérience des deux autres établissements à Sénart et à Vitry. Nous avions, dans l’équipe de la Courneuve, des identités propres, et nous avons toujours su nous fier à nos intuitions communes.
Mais un des grands drames de l’institution scolaire, c’est qu’elle passe son temps à réinventer les innovations… qui ont déjà été menées. Les Microlycées permettent de mutualiser les expériences, de ne pas perdre trop d’énergie, de se sentir appartenir à une communauté pédagogique… sans pour autant s’interdire quoi que ce soit. Au Microlycée de La Courneuve, nous avons choisi de garder un temps d’enseignement en lycée traditionnel, dans nos établissements d’origine… Quatre ans plus tard, nous sommes restés fidèles à cette double appartenance, vue au départ par les collègues des autres structures comme une forme d’incongruité. Nous réinventons sans cesse les « modèles », et c’est ce que nous pouvons souhaiter de mieux à l’équipe de Paris !
Eric de Saint-Denis : La salle commune n’est pas un modèle mais un très bon exemple de ce qui peut s’inventer dans les Microlycées. Les casiers des élèves y côtoient les casiers des profs et le travail s’y fait main dans la main avec les élèves autour d’une grande table qui sert le midi au repas et le reste du temps au travail. Patrick Rayou qui est venu observer le Microlycée de Vitry et a accepté de faire la préface du livre, a pu qualifier la salle commune d’espace « intermédiaire », entre le dedans et le dehors, entre ce qui s’est dit en cours et peut se développer ensuite à partir du cours. C’est aussi un espace de travail privilégié des élèves qui le préfèrent aux autres espaces disponibles, parfois à tort d’ailleurs ! Ils sentent bien que c’est là le cœur du Microlycée.
Nathalie Broux : Nous avons effectivement essayé de pointer dans ce livre les spécificités du fonctionnement des Microlycées. La salle commune en est une, car elle implique une co-existence très particulière entre les professeurs et les élèves, dont les espaces sont trop délimités dans le système traditionnel… En terme de porosité des espaces, cette fois professionnels, l’ouvrage évoque aussi le rôle de la coordination. Eric a été coordinateur à Sénart puis à Vitry et j’ai toujours cette fonction à La Courneuve. Il s’agit là d’endosser, comme le découvre Ingrid, de nouvelles fonctions, toutes délicates. Ce rôle est très intéressant, parce qu’il ne repose pas sur un statut hiérarchique, un titre officiel, un pouvoir, mais sur une légitimité issue du terrain, de l’expérience et des actes… qui doit « faire autorité ». C’est la force de la collégialité de l’équipe de coconstruire les décisions essentielles de la structure. Mais c’est aussi une lourde responsabilité d’être à la fois enseignante, « pilote », et d’assumer certaines tâches proches de la direction d’un établissement. Une aventure souvent épuisante, qu’il faut partager à deux, de préférence… Conseil de prudence pour faire face à certaines adversités !
Ingrid Duplaquet : En même temps, quand on démarre l’aventure, on a des doutes, des interrogations, un certain stress aussi. Ce livre montre aussi que le Microlycée réussit, certes, mais pas toujours, qu’il y a des difficultés, des doutes et des échecs. Quelque part il y a quand même, et toujours, de la réussite et de l’espoir. Les témoignages des élèves sont révélateurs sur ce point.
Eric de Saint-Denis : Le Microlycée n’est pas une structure miraculeuse. Elle crée juste les conditions de la remise en route scolaire, de la reprise de confiance en soi et de la possibilité d’aller vers des études supérieures. C’est vrai que les élèves le disent, ils se remettent à croire en eux et c’est déjà énorme ! Mais cela ne résout pas tous les problèmes et ces élèves se trouvent très vite confrontés à leurs difficultés scolaires ou comportementales. Se remettre à écrire, à rendre des copies lorsqu’on n’a pas été à l’école durant deux ou trois ans, ce n’est pas simple. D’ailleurs, un certain nombre, plus ou moins 20% selon les années, ne parvient pas à se rescolariser et ne construisent aucun projet. Mais la majorité poursuit des études et montre que le travail effectué dans les Microlycées leur a permis de se lever les obstacles qu’ils rencontraient avant de revenir à l’école.
Nathalie Broux : Le plus dur, finalement, pour l’équipe, c’est la première année. Elle est très exaltante, mais il n’y a pas encore assez d’équilibre entre les doutes et la confiance… Lorsqu’une première année est passée, même si l’on a connu des déconvenues, on est rassurés sur le fait que l’on est crédibles, et même efficaces pour certains élèves, qui obtiennent leur baccalauréat, font des retours positifs à l’équipe, et semblent avoir repris pied. Une fois cette première étape passée, l’équipe travaille un peu plus sereinement… même si le Microlycée est un lieu de perpétuelle remise en question. Mais n’est-ce pas pour cela que l’on s’y aventure ?
Ingrid Duplaquet : Ce livre donne donc des pistes concrètes et pose des valeurs, qui sont d’ailleurs pour la plupart tout à fait transférables en lycée plus traditionnel !
Nathalie Broux : Nous avons conçu le livre sous l’angle de la transférabilité de notre expérience, c’est pourquoi le sous-titre est double : « Accueillir les décrocheurs, changer l’école ». Nous souhaitons, de manière la plus énergique possible, aller à l’encontre de deux idées reçues.
Tout d’abord, les décrocheurs qui n’auraient « plus rien à faire à l’école »… S’ils en sont sortis, c’est pourtant souvent malgré eux. Ils sont un miroir très signifiant tendu à l’institution, qui exclut trop vite des élèves qui ont pourtant certains « messages » à faire passer, dans l’ombre ou dans certains éclats, au système… Nous voulons réhabiliter la réflexion que nous imposent ces élèves lorsqu’ils se rescolarisent… Nous avons beaucoup à apprendre de ces jeunes !
L’expérimentation pédagogique n’est pas une bulle mais un laboratoire : le but des Microlycées n’est pas de s’isoler du système pour s’en protéger, le critiquer de manière stérile ou rester définitivement à la marge… Il s’agit de faire un pas de côté, pour observer les pratiques de l’institution, et essayer de proposer des réponses à ce qui dysfonctionne… à toutes les échelles des pratiques de l’école. Ainsi, nous refusons d’être réduits à être un « cas d’école » et voulons faire la démonstration qu’une autre Education nationale est possible, si chacun, de l’intérieur ou depuis sa périphérie, travaille à sa transformation.
Sur notre librairie :
Les Microlycées – Accueillir les décrocheurs, changer l’école
Nathalie Broux, Eric de Saint-Denis, ESF, 2013.
Le sous-titre du livre, « accueillir les décrocheurs, changer l’école » indique bien la double ambition de cet ouvrage : présenter une expérience exemplaire de « raccrochage » d’élèves jusque là en échec, à savoir les microlycées de l’académie de Créteil, mais aussi en tirer parti pour les indispensables changements dans notre école si on veut qu’elle soit plus « bienveillante » et plus juste.
Comme il est dit en conclusion, « le Microlycée, si son rayonnement reste modeste, a toutes les grandes ambitions de l’école républicaine, dont il réalise à son échelle certaines utopies ».