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Les enfants migrants à l’école

Maïtena Armagnague, Claire Cossée, Catherine Mendonça-Dias, Isabelle Rigoni, Simona Tersigni, dir., Le Bord de l’eau, 2021.

Avec ce livre, l’équipe centrale du programme EVASCOL (2015-2017) poursuit la publication de ses travaux. Le programme EVASCOL, financé par le Défenseur des droits, entendait décrire les conditions de la scolarisation des élèves migrants, c’est-à-dire arrivant à l’école en France en cours de scolarité (ou, pour certains, à l’âge de la scolarité mais sans scolarisation pré-migratoire), à partir d’une enquête pluridisciplinaire (didactique, sociologie et sciences de l’éducation) dans quatre académies. Les autrices ont lancé, en complément, d’autres programmes de recherche avec la même cible, d’où un matériau particulièrement riche, qui lève en bonne partie les inconnues sur le sujet. Outre le rapport EVASCOL (2018), plusieurs dossiers de revue sont parus. Le présent livre prolonge ces études, avec neuf contributions portant sur diverses dimensions du problème.

Dans le champ des Cahiers pédagogiques, on notera en particulier le chapitre de Tatiana Eremenko, qui expose la complexité de la connaissance statistiques sur ces flux d’élèves. En 2018, ils étaient en France quelque 18 000 en provenance de pays d’Europe, pour 40 000 en provenance de pays tiers, dont 15 000 seulement avec un visa long séjour, les autres étant demandeurs d’asile, la grande majorité avec leurs familles, ce qui signifie des conditions de vie difficiles. Mustapha El Miri, quant à lui, a recueilli la parole de jeunes migrants indépendants entre 13 et 19 ans. Presque absents des statistiques, ils frappent parfois, avec l’aide d’associations, à la porte des lycées professionnels. Ils vivent en foyer ou en squat. Le chapitre donne de longs extraits d’entretiens qui révèlent ce qui pousse ces jeunes à migrer malgré les risques : tout simplement l’espoir d’une bonne vie. « Je veux la vraie vie comme toi », dit l’un. Mais leur vie actuelle génère une « indisponibilité scolaire » qui rend leur scolarité incertaine. Maïtena Armagnague consacre son chapitre à l’examen de cette notion qui n’existe pas institutionnellement mais qui semble décisive à la sociologue. Elle observe qu’à défaut d’informations correctes, les enseignants ont tendance en lire en termes de capacités scolaires ce qui résulte en réalité d’une « disponibilité scolaire » et ne repèrent pas combien « l’indisponibilité » peut expliquer les difficultés d’apprentissage.

La juriste Marie-Françoise Valette décrit de son côté la bataille menée par le Forum européen des Roms et gens du voyage (FERV) devant le comité européen des droits sociaux, pour aboutir en 2018 à une décision rappelant la France à ses obligations pour assurer le droit à l’éducation et à la formation des enfants vivant en bidonville, campements et squats (environ 9 000 enfants). Le gouvernement français a répondu par des arguties qui ne laissent pas augurer grand changement. Lorsque ces enfants sont scolarisés, la posture des enseignants n’est pas exempte de misérabilisme. Claire Cossée décrit ces ambivalences dans un chapitre ethnographique, à partir de l’animation d’ateliers avec des enfants bulgares. Les associations et travailleurs sociaux, qui jouent un rôle important aux côtés des familles et des jeunes pour soutenir les scolarités, sont d’ailleurs pris aussi dans des contradictions. Cherchant à les repérer, la sociologue Isabelle Rigoni dessine une configuration traversée de tensions telles que les acteurs socio-éducatifs et scolaires apparaissent sensiblement démunis.

Catherine Mendonça-Dias, spécialiste de la didactique du français langue seconde (FLS) rappelle les conditions de l’émergence de cette appellation (mention au CAPES en 2013), et détaille ce qu’elle nomme la « constitution compliquée [de son] identité didactique ». Le FLS ne dispose pas de référentiel de compétences alors que ce serait fort utile pour guider les enseignants dans l’organisation des parcours d’apprentissage. La fréquentation d’une UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) est fixée en termes de durée, indépendamment des niveaux acquis, ce qui peut obérer les poursuites de scolarité. L’offre scolaire des sections internationales ou européennes est incomparable. Les élèves migrants auraient les compétences linguistiques pour y aller, si les langues de ces sections leur convenaient.

Si… On pourrait continuer, mais cela sortirait du champ de cette note de lecture.

Françoise Lorcerie