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Le respect, c’est bon pour les neurones

Les recherches en neurosciences le confirment : un cadre éducatif bienveillant favorise l’apprentissage. Quand la science valide les valeurs humanistes !

Ces dernières années, les connaissances en neurosciences cognitives et affectives se sont considérablement développées, et nous éclairent sur ce qui est nécessaire pour un bon développement de l’enfant, ou au contraire ce qui l’entrave. Certains enseignants savaient déjà qu’une éducation empathique et soutenante permet à un être humain de bien se développer. Les neurosciences affectives le confirment et apportent un éclairage qui pourrait modifier notre vision de l’éducation. On sait maintenant que les relations que l’enfant ou l’adolescent entretient avec ses parents, ses enseignants ou ses camarades ont des effets profonds sur le développement du cerveau.

Le développement du cerveau débute pendant la gestation et achève sa maturation très tardivement. Lors des premières années de vie, ce cerveau en construction est extrêmement immature, et de ce fait beaucoup plus fragile et vulnérable au stress que celui d’un adulte. Le stress, à l’origine une réaction normale produite pour faire face aux dangers, permet à l’organisme de s’adapter à son environnement et peut avoir des effets positifs. Quand il est modéré, il peut être stimulant et source de dépassement. Cependant, il déclenche la sécrétion de molécules, telles que le cortisol et l’adrénaline, qui peuvent avoir des effets délétères sur l’organisme.

Maltraitance émotionnelle

Le cortisol, quand il atteint des niveaux très élevés ou s’il est sécrété de façon prolongée, a des effets très toxiques pour les neurones, la myéline (membrane graisseuse qui entoure les fibres nerveuses et accélère la transmission de l’influx nerveux) et la transmission synaptique (transmission chimique et électrique entre les neurones). Il a été montré également qu’une trop grande quantité de cortisol interfère négativement sur l’expression du BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor), facteur de croissance neuronale qui agit sur le développement et la plasticité du cerveau. Par exemple, l’hippocampe, une structure cérébrale principalement dévolue à la mémoire et qui est au cœur de tout apprentissage, est particulièrement sensible au stress, et des recherches ont montré que son volume est diminué chez des enfants humiliés physiquement ou verbalement1. Si la maltraitance physique est largement connue et définie, la maltraitance émotionnelle est peu abordée, malgré sa récurrence et ses conséquences sur le développement de l’enfant qui sont bien réelles. Il s’agit de tout comportement ou parole qui rabaisse l’enfant, le ridiculise, le critique, le punit, lui procure un sentiment d’humiliation, de honte, tout ce qui lui fait peur ou le terrorise. Dans une étude en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), il a été montré que la maltraitance émotionnelle durant l’enfance a des effets négatifs sur la morphologie du cortex préfrontal médian et orbitofrontal, des structures soutenant le fonctionnement cognitif en général et la régulation des émotions, expliquant ainsi les difficultés rencontrées par ces enfants dans leur vie relationnelle.

À court terme, ces violences diminuent drastiquement l’estime de soi, dont on sait depuis longtemps qu’elle est une condition nécessaire aux apprentissages et qu’elle a une influence considérable sur les performances scolaires2. À plus long terme, la maltraitance émotionnelle augmente le risque de développer des pathologies comportementales et psychiatriques à l’âge adulte (délinquance, anxiété, dépression, addictions à l’alcool ou aux drogues).

Ainsi, en s’appuyant sur une cohorte composée de 7 771 enfants, exposés occasionnellement ou fréquemment au harcèlement à l’école entre l’âge de 7 et 11 ans et suivis jusqu’à leurs 50 ans, des chercheurs ont montré que les séquelles psychiques sont encore vives plusieurs dizaines d’années après, avec un niveau de stress plus élevé et des risques de dépression, troubles anxieux et pensées suicidaires nettement plus présent3. Dans le même ordre d’idées, il a été montré que les paroles blessantes, humiliantes et méprisantes peuvent entrainer une altération des zones cérébrales impliquées dans la compréhension du langage.

Pour une formation à la relation

À l’inverse, dès que les enseignants ou plus généralement les adultes en posture d’encadrants sont chaleureux, bienveillants, soutenants, l’enfant secrète des molécules cérébrales (notamment ocytocine, dopamine, endorphines, sérotonine) qui le rendent heureux, sociable, apaisé, motivé et créatif. Une relation enseignant-élève étroite et soutenante agit comme un puissant régulateur de stress et permet à l’élève de mettre son énergie dans le travail scolaire et dans les relations avec ses pairs, en créent ainsi un état d’esprit serein propice à l’apprentissage.

En conclusion, de très nombreuses études montrent les répercussions néfastes du stress sur le cerveau de l’enfant et de l’adolescent, et plus généralement sur leur comportement et leur cognition. Ces études doivent inciter les enseignants à tout faire pour mettre en place un cadre éducatif stimulant, motivant, bannissant la peur, le stress, et respectant l’enfant dans ce qu’il est.

Dans ce cadre, une véritable formation à « la relation » est nécessaire de sorte que tous les enseignants se sentent outillés pour faire face aux nombreux défis relationnels auxquels ils sont quotidiennement confrontés. Cependant, il semble difficile de demander aux enseignants de faire différemment, sans prendre en compte le contexte plus global, en particulier la dégradation des conditions d’enseignement et la dévalorisation du métier. Ce contexte est notoirement défavorable à l’instauration de relations respectueuses avec tous les élèves.

Aline Frey
Maitresse de conférences à l’Inspé d’Aix-Marseille, laboratoire de neurosciences cognitives (LNC)

Notes
  1. Martin H. Teicher, Carl M. Anderson & Ann Polcari, « Childhood Maltreatment is associated with reduced volume in the hippocampal subfields CA3, dentate gyrus, and subiculum », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America n° 109(9), 2012, p. E563-72.
  2. James D. Wiggins, Elizabeth L.Schatz & Richard W. West, « The relationship of self-esteem to 
grades achievement scores, and other factor critical to school success », School counselor n° 41(4), 1994, p. 239-244.
  3. Ryu Takizawa, Barbara Maughan & Louise Arseneault, « Adult health outcomes of childhood bullying victimization: evidence from a five-decade longitudinal British birth cohort », The American Journal of Psychiatry n° 171(7), 2014, p. 777-784.