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Le jeu pour diversifier les apprentissages
Au début de sa carrière, elle a tâtonné, se conformant à un enseignement classique sans trouver la façon de transmettre qui attirerait l’attention qu’elle espérait sur sa matière. Elle avait toujours voulu être enseignante. Bonne élève, elle avait pris goût aux Sciences de la vie et de la Terre (SVT). Elle a réussi son CAPES dans cette discipline, a enseigné en collège puis en lycée. Elle attribue ses difficultés initiales à une formation écourtée, qui l’a mise rapidement dans le bain sans se sentir réellement prête. Elle a cherché sur le forum national SVT puis sur les réseaux sociaux des idées, des conseils. En 2010, elle est arrivée à Orsay au sein d’une équipe pédagogique accueillante, dynamique et partageuse. « Les deux m’ont aidée à évoluer : des collègues ouverts dans mon établissement et les ressources trouvées sur les réseaux. » Dans les deux cas, le partage et les échanges l’aident à essayer de nouvelles choses, construire sa façon d’enseigner et ont même sans doute contribué à l’obtention de son agrégation.
Dans son lycée, une professeure de Sciences physiques, Geneviève Ponsonnet, lui parle de la classe inversée. Elles se lancent ensemble, recherchent des capsules vidéos qui s’avèrent rares. Elle décident alors d’en créer avec l’exigence de déclencher une réflexion favorisant les apprentissages. « En se demandant que faire après le visionnage de la vidéo par les élèves, cela m’a amenée à mieux construire et articuler ce que je faisais en classe. » Elle poursuit ses découvertes en assistant à des événements comme Educatice ou les congrès de la classe inversée. Là, elle fait la connaissance de Grégory Michnik, enseignant en SVT à Valenciennes, dans l’académie de Lille.
Au cours de leurs échanges, naît l’idée d’un jeu qui permettrait d’apprendre en réalisant des missions. « Survive on Mars » voit le jour en juillet 2016 et propose d’explorer de façon scénarisée des notions de cours. La plupart du temps en petites équipes, les lycéens investissent des rôles de scientifiques pour rechercher les solutions. Le décor est celui d’une base spatiale sur Mars en 2076, pour laquelle il faut trouver des ressources en eau ou en nourriture, effectuer des réparations… Les missions donnent lieu à un compte-rendu dans une forme choisie par les élèves et valorisée si elle est créative, sous forme de bande dessinée, de scène de théâtre ou encore de vidéo.
Jouer en classe
Progressivement, d’autres enseignants, notamment de sciences et de français, se joignent au projet, l’enrichissent pour des collaborations ponctuelles ou à plus long terme. Ils sont aujourd’hui plus d’une quinzaine et le site s’est étoffé allant voir du côté des escape games et toutes sortes de jeux à utiliser en classe. Mélanie Fenaert s’est lancée elle aussi dans la production et l’usage des escape games. Ses classes de seconde découvrent par exemple la structure de l’ADN avec ADN’igme, créé par Patrice Nadam et Nathalie Lepouder. Ses élèves y ont pris goût, les réclamant et les citant comme des moments marquants de leur année scolaire. Quelques rares réfractaires s’étonnent de jouer dans un cadre scolaire mais l’entrain collectif parvient à amenuiser leurs réticences.
Les missions sont réalisées par groupe de trois à neuf selon l’activité. « Ils se rendent compte qu’ils ne peuvent réussir leur défi s’ils ne s’organisent pas et ne s’accordent pas. C’est une situation immersive pour laquelle la coopération et la collaboration sont nécessaires. » Au cours du premier trimestre, l’utilisation de « Survive on Mars » ou d’escape games est aussi un moyen de vitaminer la dynamique de groupe et un premier pas vers l’autonomie. La situation est forte émotionnellement et l’enseignante veille à glisser des indices sans dévoiler la solution lorsqu’un groupe semble perdre pied. Elle donne quelque clés pour bien collaborer. À la fin, la classe est rassemblée pour un débriefing où sont exprimées et synthétisées à la fois les énigmes résolues et la façon dont la recherche a été vécue et organisée.
Tache d’huile
Mélanie Fenaert a eu le plaisir de recevoir un prix pour Code Nobel, un des escape games qu’elle a créé. Mais ce qui la ravit encore plus, c’est de voir la pratique qui se diffuse, la créativité des enseignants et la diversité des apprentissages qu’elle favorise. Le site S’cape est un recueil sans cesse renouvelé de jeux d’évasion et de pratiques pédagogiques, où les projets présentés et leur analyse montrent la richesse des initiatives. Mélanie Fenaert cite des exemples qui vont au-delà des SVT, concernent les différents niveaux du primaire au lycée, sont liés à une discipline ou à des thèmes transversaux sur la citoyenneté, le développement durable, par exemple, ou encore sont utilisés en tout début d’année pour découvrir l’établissement, ses règles de vie et de fonctionnement.
« Ce n’est pas forcément une pratique à généraliser et mettre en œuvre tout au long de l’année. C’est une possibilité qui doit être utilisée en fonction de la personnalité de l’enseignant et de celle des élèves. » C’est ce qu’elle explique aux professeurs de sciences lors des formations qu’elle co-anime avec Yasmine Bellagha, sur le thème de l’utilisation des jeux sérieux, dont les escape games en classe. Les séances sont basées sur une mise en situation avec un jeu d’évasion créé pour l’occasion, dont les énigmes traitent du thème de la formation. « Le plus important est de faire vivre l’expérience pour faire comprendre ce qu’il y a de pédagogique dans le jeu. »
La « Formation infernale » est une séance constituée d’énigmes à résoudre en équipe dans un temps limité qui portent soit sur des outils à utiliser en classe, soit des notions de cours associées à des jeux. Par exemple, des QR-codes mènent à des protocoles de chimie et des scènes en réalité augmentée permettent de visualiser des thèmes particuliers. « Lors des formations, on fait découvrir plein de choses différentes. » Pour les enseignants, la révision de notions est sans doute la plus facile à réaliser par la suite avec un escape game en classe, mais l’objectif est qu’ils ne se limitent pas à ce domaine.
En plein escape game Code Nobel
Le temps manque souvent pour qu’au cours de la formation, les participants puissent visiter toutes les énigmes à résoudre. Peu importe, les échanges entre les enseignants présents sur ce qui a été vécu et ce qui a été appris offrent la prise de recul nécessaire pour choisir ou non à leur tour une mise en pratique avec leurs classes.
La vertu de l’essai
Le principe du « faire faire et faire plutôt que dire pour comprendre », elle l’utilise également sur le thème de la classe inversée. Là, avec ses collègues formatrices, elle propose, avant la formation, d’aller réaliser de petites activités sur la plateforme Magistère, en préparation du premier temps en présentiel. Elle a aussi exploré les MOOC, avec un programme de révision des programmes de sciences pour les 1res ES et L hébergé par la plateforme FUN, une aventure encore une fois collective pendant laquelle il a fallu à la fois concevoir l’architecture des cours et les vidéos.
Elle vit comme une motivation supplémentaire le fait d’être à la fois prof en lycée et formatrice d’enseignants. Dans les deux registres, elle se sent utile et sa créativité se nourrit de collaborations pour elle essentielles. Elle prône le droit à l’imperfection, la vertu de l’essai, encourage à demander un avis aux apprenants, quels qu’ils soient, et d’améliorer les pratiques en retour.
Depuis cette année, elle est interlocutrice académique pour le numérique en SVT pour l’académie de Versailles. C’est une fonction qui lui plaît beaucoup. « Elle me permet d’associer des choses de mon métier, d’être au service de mes collègues, en alimentant le site internet avec des articles, en animant le groupe d’expérimentation pédagogique académique en SVT. » De ses débuts balbutiants à son métier vécu aujourd’hui dans ses multiples facettes, elle construit un chemin où le collectif prend une place majeure dans la classe et dans un travail d’équipe s’affranchissant des cloisons disciplinaires et géographiques.
Monique Royer
Pour en savoir plus:
La chaine Youtube de Mélanie Fenaert
S’cape, site des escape games pédagogiques créé par Patrice Nadam, avec notamment Johnny Eisenhauer
ADN’igme, escape game créé par Patrice Nadam et Nathalie Lepouder
Code Nobel, escape game en génétique de Mélanie Fenaert, qui a reçu un SEG award en 2018