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Le bienêtre l’école : un moyen et non une fin en soi

Couverture du n° 575 des Cahiers pédagogiques

Considérer le bienêtre comme un moyen pour de meilleurs apprentissages et non comme une finalité permet de valoriser l’effort, la persévérance et le dépassement de soi. Démonstration en quatre exemples.

Il peut être choquant de considérer le bienêtre à l’école comme un moyen et non une fin. Quoi, il ne faudrait pas avant tout chercher à ce que les élèves se sentent bien à l’école ? N’est-ce pas déjà un objectif en soi, souhaitable, incontournable ? Quoi, ravaler cette belle aspiration à la simple recherche, utilitariste, de moyens plus efficaces pour que les élèves apprennent à l’école ?

Moins que jamais il ne faut s’enfermer dans une logique binaire. Il n’est pas dévalorisant pour la recherche du bienêtre que d’être considérée comme un détour nécessaire pour que d’efficaces apprentissages se produisent. D’autant que ce moyen s’accorde alors à de grandes valeurs démocratiques et au respect des enfants et des individus apprenants. Au fond, si le bienêtre n’est pas une fin en soi à l’école, il partage cette caractéristique avec par exemple l’effort, le calme dans la classe ou l’esprit d’initiative, dans une école où notre devoir d’enseignant est bien d’amener tout le monde sur les chemins de l’apprentissage.

En revanche, il me semble que si la priorité revient au bienêtre, il y a risque que ce soit au détriment des apprentissages, de la formation culturelle et citoyenne, surtout quand on envisage les choses à long terme.

Je prendrai quelques exemples où la question du bienêtre doit être relativisée ou revisitée :

Les devoirs à la maison

Pour certains, ceux-ci doivent être supprimés, solution miracle pour faire reculer les inégalités (j’ai tendance à penser que c’est comme se passer du thermomètre pour éviter la fièvre). Et une des raisons invoquées, c’est le stress que cela provoquerait, stress et inquiétude nuisant au bienêtre. Pourtant, les familles les réclament et s’inquiètent quand leurs enfants n’en ont pas, pensant peut-être à bon droit qu’ils sont traités différemment que dans des endroits plus favorisés, même s’ils peuvent aussi se réjouir pour la paix des familles mais non sans mauvaise conscience. En fait, ne peut-on pas aborder la question autrement, réfléchir en termes de travail personnel, qui doit aussi avoir sa part de décontextualisation (hors de l’école) et qui sera abordé différemment si on est dans le cadre d’une évaluation formative, avec droit de recommencer, d’une pratique régulière de la métacognition et d’activités méthodologiques et si on a suffisamment explicité les consignes et la visée d’un travail raisonnable, faisable ? Alors on peut se permettre une certaine exigence, la demande d’un certain effort, en « dé-moralisant » la question et en lui donnant du sens. Et un bienêtre différent, la joie d’avoir surmonté des difficultés, d’avoir pu améliorer son travail, la jubilation d’avoir réussi à écrire ce poème, à résoudre ce problème, je les ai souvent constatés chez mes élèves. Je pense à Safia, fière de me dire que son père, à qui elle a lu son conte écrit en partie à la maison, a bien aimé. Ou à ces parents me remerciant d’accorder une deuxième chance à leur enfant en lui permettant de refaire son travail après mes commentaires. Le bienêtre peut naitre ainsi du défi relevé, de la joie d’avoir surmonté des difficultés.

Le travail de groupe

Lorsqu’on met en place un travail de groupe, la tentation existe de privilégier les affinités comme critère de constitution. Après tout, travailler avec des copains, c’est plaisant, comme l’est d’ailleurs le travail d’équipe dans l’établissement avec des collègues qu’on aime bien. Devoir coopérer avec des personnes qu’on n’a pas choisies peut être plus difficile et parfois franchement désagréable. J’ai connu ces jeunes filles sérieuses se plaignant de devoir travailler avec des camarades peu engagés et parfois perturbant le bon ordre du travail ou le ralentissant.

Et pourtant, un des buts du développement de la coopération, du travail de groupe n’est-il pas de savoir travailler précisément avec ces personnes qu’on n’a pas choisies, comme ce sera le cas souvent dans la vie professionnelle ? De plus, une répartition par affinités a tendance à reproduire des clivages scolaires ou sociaux et entrer en contradiction avec la recherche d’une hétérogénéité féconde. Là encore, le bienêtre peut émerger mais sur la base d’un dépassement des différences, dans la conquête d’un « commun » pas évident au départ.

La question de l’ennui et de la lassitude

Les adversaires des pédagogies actives clament qu’elles cèdent à l’injonction du divertissement permanent, opposé à l’ennui, qu’il faudrait éviter à tout prix. Or, celui-ci est souvent, disent-ils, le prix à payer de l’attention, de la concentration, de la nécessité des tâches répétitives et des entrainements nombreux qu’il faut pratiquer, comme le nageur de compétition qui fait quotidiennement ses kilomètres de bassin.

Il est vrai qu’il peut exister cette dérive dans certaines pratiques. Il est vrai qu’une certaine dose d’ennui est acceptable, mais à condition que celui-ci soit assumé, accepté, compris. Le champion de natation sait que c’est nécessaire pour être performant. La persévérance, le courage d’affronter les obstacles, le détour par des moments plus fastidieux, tout cela fait partie d’une pédagogie au service de la réussite à long terme et peut en apparence s’opposer à un état de plaisir. Mais parmi mes plus beaux souvenirs de classe, je pense à ces élèves se privant de récréation pour finir leur panneau sur les Grandes Découvertes ou ceux acceptant sans rechigner de répéter, répéter encore leur scène de théâtre alors que par ailleurs ils ne n’étaient guère acharnés au travail scolaire. Le bienêtre ne peut être le plaisir immédiat et je souscris à la belle réflexion d’Eveline Charmeux distinguant le « plaisir de lire » à celui « d’avoir lu », le premier pouvant venir par surcroit, mais à l’école, l’important pour certains élèves est d’être arrivés au bout, en peinant parfois (« je suis fier d’avoir lu ce gros livre »). Le problème est de trouver le moyen de faire durer motivation et mobilisation au point d’accepter les moments d’ennui ou même de souffrance.

L’évaluation

Je suis toujours réservé lorsqu’on parle d’évaluation bienveillante. C’est le climat dans lequel s’opère l’évaluation qui doit l’être, mais celle-ci se doit d’être vraiment juste et efficace, et aboutir au découragement et à la mésestime de soi ne peut être un facteur d’efficacité. Dans un environnement de travail bien pensé, les remarques parfois rudes qui peuvent être faites, l’exigence sont parfaitement acceptées, même si cela coute. Il est vrai que c’est plus aisé si on a supprimé la notation traditionnelle. Mais il ne faut surtout pas laisser penser que l’évaluation positive a surtout pour but de ne pas traumatiser les élèves comme le clament les détracteurs. Elle est là pour indiquer le chemin à parcourir, les marges de progression à partir de normes raisonnables, mais claires.

On pourrait trouver bien d’autres situations pédagogiques où le bienêtre s’inscrit dans un ensemble qui n’exclut jamais l’effort parfois douloureux, la fatigue ou la tentation du découragement. En fin de compte, dépasser sa « zone proximale de développement », être un peu au-delà de ce dont on est capable (ou qu’on croit être capable) ne peut exister dans un seul environnement de plaisir. L’important, encore une fois, c’est de comprendre pourquoi des efforts, de la persévérance sont nécessaires et surtout de ne pas mettre de la « moraline », là où il s’agit de combiner par exemple effort et évitement d’effort, gestion de ses capacités et dépassement de celles-ci, et pour l’enseignant la bienveillance et l’exigence.

Jean-Michel Zakhartchouk
Membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques

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Le bienêtre à l’école

Coordonné par Andreea Capitanescu Benetti et Maëliss Rousseau
La recherche en éducation met de plus en plus l’accent sur l’importance du bienêtre à l’école, et les conditions à mettre en œuvre pour que les élèves persévèrent et réussissent scolairement, voire développent leur personnalité. Cela demande de faire émerger une relation apaisée entre les élèves, les enseignants, et les savoirs.