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L’adaptation et l’invention au quotidien

Histoires de crapistes
Vous lisez les Cahiers pédagogiques, visitez notre site, participez à nos webinaires ou aux rencontres estivales du CRAP ? Ou alors, vous avez vaguement entendu parler de ce mouvement pédagogique ? Nous lançons une série de portraits de militants du CRAP-Cahiers pédagogiques pour raconter l’histoire et la vie d’un collectif pas comme les autres, à travers ceux et celles qui le font vivre.
Nous connaissons actuellement une crise financière profonde. En racontant notre histoire, nos histoires, pour dire qui nous sommes, nos différences, nos engagements, nous espérons vous donner envie de nous rejoindre et de lire nos publications.

Hélène Limat, coordonnatrice d’un dispositif ULIS dans un collège de Calais et membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques, fait de l’adaptation la clé de voute de sa pratique professionnelle. Rencontre avec une enseignante qui vit à plein la liberté pédagogique pour favoriser l’accessibilité des apprentissages.

Elle est devenue professeure de lettres classiques en 2000, après un parcours sans heurt. Et c’est dans un contexte classique, ordinaire, qu’elle se voyait enseigner. Et puis, dans son collège de campagne, elle a vu arriver de plus en plus d’élèves en difficulté d’apprentissage, voire en situation de handicap. Elle s’interroge alors sur la façon d’adapter ses cours, échange sur la question avec sa cheffe d’établissement qui lui propose de suivre la formation d’enseignante spécialisée. Elle suit le conseil et un poste de coordonnatrice en ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire) lui est proposé.

« Je n’avais pas prévu cela. Je voulais rester en collège ordinaire. Je suis allée voir des collègues en ULIS pour mieux connaitre le dispositif. Et là, banco, j’ai dit oui ! » L’unité qu’elle rejoint, dans un collège de Calais, accueille treize élèves porteurs de troubles des fonctions cognitives, scolarisés de la 6e à la 3e. Ils ne sont pas là tous en même temps, en fonction de leur emploi du temps et des matières qu’ils viennent étudier dans le dispositif plutôt que dans leur classe d’accueil.

Travail en équipe

Elle change de métier, ou du moins de façon de le pratiquer, en prenant en compte la diversité des collégiens et en explorant d’autres champs disciplinaires que le sien. « Je suis amenée à retravailler avec eux différentes disciplines. Cela a nécessité beaucoup de formation, sur l’acquisition des programmes par exemple. Je demande aussi aux collègues ce qu’ils attendent pour mieux adapter. C’est très positif, ce travail en équipe. »

Elle partage son quotidien professionnel avec une équipe d’AESH (accompagnantes des élèves en situation de handicap), collabore avec des professionnels du médicosocial. « C’est passionnant de pouvoir travailler avec tout le monde, d’avoir un autre regard, hors du cadre de l’Éducation nationale, pour envisager le jeune dans sa globalité. »

Dans sa classe elle apprécie la liberté pédagogique « immense », qui la pousse à chercher encore et toujours comment adapter. « L’adaptation, c’est diagnostiquer ce qui va permettre aux élèves d’acquérir la compétence ou de rentrer dans l’apprentissage de la tâche. On vérifie quels sont les freins pour le jeune, et on met des petites marches pour qu’il accède aux apprentissages sans que le handicap ne le freine. »

Individualisation

Hélène Limat individualise donc beaucoup, y compris dans le choix du support, de la police et de la taille des caractères, et fait ressortir certains éléments du document avec des couleurs. « Quand on parle individualisation, il y a des constantes, des choses qui vont marcher avec les uns, mais pas avec les autres. Je peux me planter. On se plante, on s’interroge, on se forme. »

Ses élèves ont souvent des soucis de mémorisation. Elle réfléchit aux stratégies à mettre en place, recourt au dessin ou à la carte mentale, et même au chant pour un jeune qui mémorise principalement par le son. Pour les mathématiques, elle a adopté les ceintures de compétences, un exemple d’approche qu’elle puise dans la pédagogie coopérative. « Je travaille sur le « apprendre à apprendre« , pour que les élèves comprennent comment ils fonctionnent. »

Elle savoure la chance d’avoir une salle dédiée avec des espaces différents : un coin détente et bibliothèque, un autre pour les travaux de groupe, un autre encore pour les temps individuels ; des moyens aussi, avec des ordinateurs et des tablettes en nombre suffisant. « Cela me permet de moduler la classe pour les temps d’apprentissage et de coopération. »

Français, maths, méthodologie

À chaque séance, trois ateliers sont proposés avec souvent des mathématiques, du renforcement en français et de la méthodologie d’apprentissage des leçons. Les élèves en choisissent deux et vont chercher le matériel dont ils ont besoin un moyen de travailler l’autonomie. « Je passe beaucoup par la manipulation en faisant le pari que cela va les aider à comprendre. »

Elle a conçu du matériel pour le français, les maths, a réalisé des quiz de révision avec son AESH. La créativité est de mise dans sa pratique professionnelle. Elle fabrique avec les élèves des cartes mentales, avec lesquelles « ils apprennent à extraire les éléments essentiels de la leçon en y associant des images ». En fin de séance ou de journée, un temps calme est réservé aux jeux, aux puzzles ou encore à des séances de relaxation.

Partage et conseil

Elle partage ses ressources avec ses collègues de français, se réjouit de voir une enseignante utiliser la carte mentale pour ses heures de soutien auprès d’élèves de 6e. Dans son métier de coordonnatrice d’ULIS, elle a aussi un rôle de conseil et d’appui auprès de l’équipe enseignante. Sans apposer un jugement de valeur elle constate : « Les profs disciplinaires ne sont pas tous au même stade sur le regard inclusif. »

Alors, elle privilégie « la communication entre deux portes » pour évaluer leurs besoins, échanger sur les élèves, récupérer à l’avance des cours pour anticiper sur les freins possibles de compréhension. « L’avantage de cette ULIS ancienne, c’est qu’il y a une vraie bienveillance. » Pleinement intégrée dans l’équipe pédagogique, elle participe aux conseils de classe, fait partie de l’équipe de suivi de scolarisation, et anime des formations internes sur l’adaptation.

Elle aimerait aller plus loin. « Dans l’idéal, c’est vrai qu’il pourrait y avoir un transfert des adaptations pour les élèves en difficulté d’apprentissage. Mais c’est variable sur le terrain. Certains viennent me chercher comme personne ressource, d’autres ont baissé les bras, d’autres se sont approprié les adaptations. »

De temps en temps, elle se questionne sur l’avenir, sent l’appel de sa discipline la titiller. « J’essaie de faire de la coanimation en lettres. Je suis contente de retrouver ma discipline. »

Poser des limites

Elle mesure l’investissement qu’elle déploie pour considérer les élèves dans leur globalité. Elle est en lien constant avec les familles qui la contactent par SMS ou messagerie électronique, ou lors de rendez-vous. Les difficultés sociales sont là, flagrantes, pour lesquelles elle se sent impuissante. Elle se souvient du travail livré au pied des immeubles lors des confinements, là où la misère lui sautait aux yeux. « Je suis rentrée dans leur drame social. »

Son métier réclame de l’empathie, mais il lui est parfois difficile de poser des limites lorsque l’écoute et l’accompagnement sont primordiaux. Elle apprécie cela aussi, faire équipe avec les collègues enseignants, les familles, les services partenaires. Le paradoxe s’impose les jours de fatigue et s’estompe devant l’intérêt d’une certaine liberté pédagogique.

Les Cahiers pédagogiques sont un endroit « hyper stimulant et rassurant », où elle se ressource. Lectrice de la revue depuis un bon moment, elle a été contactée pour coordonner un dossier sur les ULIS. Elle n’avait jamais osé proposer une contribution auparavant, ne se sentait pas capable de le faire.

Et puis, ce dossier a été un véritable lancement. Elle a intégré le comité de rédaction, se régalant des débats bouillonnants et des échanges de pratique. « Je me sentais un peu isolée dans ce que je tentais. Là, je vois l’éducation nouvelle en œuvre, des gens qui se confrontent, partagent, s’écoutent même quand il y a des divergences. Je me sens à ma place. » Là encore elle trouve de quoi estomper ses doutes, stimuler sa créativité, dans le foisonnement du collectif.

Monique Royer

Sur notre librairie :

Hors-série n°51 – ULIS, Unité localisée pour l’inclusion scolaire

Dossier coordonné par Gwenael Le Guével et Hélène Limat

Il ne suffit pas de décréter l’inclusion scolaire pour qu’elle se mette en place. Ce dossier pose la question du comment, en croisant les regards sur les dispositifs, les partenariats, les pratiques pédagogiques et la formation des professionnels, pour donner des pistes et des outils pour vivre « différent » au sein de ses semblables.