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Lycéen sans papiers : le couperet de la majorité

Elle sait peu de lui, de son histoire dont il ne souhaite pas parler, de ses souvenirs qui semblent l’effrayer tant il se ferme lorsqu’on le questionne. Arrivé à quatorze ans, seul, du Rwanda, il intègre une classe de quatrième dans la région lyonnaise. Rapidement, il a été placé dans une famille d’accueil qui aujourd’hui souhaite l’adopter. Venu orphelin, il est de nouveau comme un fils. Son parcours scolaire est sans histoire. Cette année, il redouble sa terminale S, troublé par ce qui lui arrive, ce nouveau parcours du combattant qui l’éloigne depuis l’an passé d’une vie ordinaire à laquelle il aspire.

Caroline Jouneau-Sion était son enseignante l’an passé. Elle se souvient d’un élève agréable, pertinent à l’oral, avec une analyse fine et des interventions pertinentes. Elle ignorait tout de sa vie antérieure sombre, tout comme ses collègues. Jusqu’à ses dix-huit ans, Arnaud était un lycéen comme les autres. Alors, constatant une baisse des résultats, lorsque l’équipe pédagogique appose sur son bulletin scolaire une appréciation générale mentionnant un manque de motivation, elle ne se doute pas que cette simple mention aura de désastreuses conséquences.

Un mot malheureux

Quelques mois plus tard, à sa majorité, il se voit refuser son titre de séjour. Pour la préfecture, l’« absence de motivation » notée en pied de bulletin signale qu’Arnaud n’est pas motivé pour s’intégrer en France. Le refus est assorti d’une obligation de quitter le territoire. Le Réseau éducation sans frontières (RESF) met à disposition un avocat pour faire appel. L’appel est rejeté début 2016. Le bulletin scolaire est à nouveau brandi malgré les témoignages écrits des enseignants expliquant en quoi Arnaud est un lycéen sérieux et impliqué. Les autres critères familiaux et d’intégration sont remplis. Mais voilà, il y a cette appréciation que l’équipe pédagogique regrette amèrement d’avoir formulé. « Nous savions que le bulletin est un document administratif. C’est cependant un choc de voir que l’on peut détourner des écrits professionnels pour nuire à un élève. Quand on écrit les bulletins, c’est codifié avec un type de vocabulaire particulier. Nous devrions être prévenus qu’ils peuvent être utilisés comme cela contre un élève », regrette encore l’enseignante.

Au rejet de l’appel, la mobilisation s’accélère, s’amplifie. Les élèves et les parents d’élèves sont prévenus. Les témoignages affluent en prévision d’une audience avec le Préfet. Arnaud reste discret, ne souhaite pas s’exposer, raconter. Son souhait est respecté et la communication reste douce, maîtrisée, sans recours excessif aux médias ni indiscrétion partagée sur les réseaux sociaux. Sa personnalité mobilise autour de lui, crée un mouvement qui transcende les statuts. Lorsqu’une assemblée générale d’enseignants a lieu, des délégués élèves participent et vice-versa. Les parents sont fortement présents dans les manifestations et organisent même les déplacements.

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A chaque fois qu’une rencontre à la préfecture a lieu, la délégation comprend un lycéen, un professeur, un parent, parfois Arnaud et toujours la mère de sa famille d’accueil. Au départ, seul son lycée est mobilisé. Puis, des élus, député, maires, sénateur, ont apporté leur soutien. Progressivement, d’autres personnes se joignent au mouvement. A la dernière mobilisation devant la Préfecture, elles étaient quatre cents.

Provisoire

Dès la deuxième mobilisation, un titre de séjour provisoire est délivré à Arnaud jusqu’au mois d’octobre. S’il peut préparer son bac sans crainte d’une expulsion, les nuages ne se sont pas pour autant écartés du ciel de son avenir. Il aimerait suivre une formation par apprentissage dans le secteur du bâtiment. Mais quel patron serait assez militant pour lui proposer un contrat de travail sans certitude aucune qu’il pourra séjourner légalement en France dès l’automne ? Ceux qui l’entourent sont inquiets sur ce qu’il adviendra après le lycée, lorsqu’il sera plus difficile de se mobiliser pour l’avenir de cet adolescent discret. Un comité de soutien est constitué pour rester mobilisés, vigilants et obtenir un titre de séjour définitif. Les membres de ce comité coordonneront les actions et informeront les collègues, les parents, les élèves, tous les partenaires qui se sont mobilisés ensemble. Et, dans l’immédiat, une pétition circule pour amplifier le mouvement de soutien.

Comme l’ensemble de ses collègues, Caroline Jouneau-Sion n’arrive pas à comprendre cette façon dont on assombrit le présent et l’avenir d’Arnaud, lui qui a probablement déjà vécu un passé si terrible qu’il ne peut le raconter. Elle ne comprend pas qu’alors que tous les critères d’intégration sont attestés, on pourrait le renvoyer vers un pays qu’il ne connaît plus, où il n’a plus de liens, uniquement de douloureux souvenirs. Motiver une expulsion par une mention sur un bulletin scolaire écrite sans en connaître les conséquences dépasse son entendement. Alors, comme ultime argument, elle brandit la machine à calculer pour souligner que ce qui a été investi pour l’éducation du jeune lycéen sera perdu s’il part alors qu’il est si décidé à devenir un adulte comme un autre, salarié et citoyen.

Si la raison l’emporte, un jour il réalisera son rêve simple, celui de travailler entouré de sa famille. Et elle l’emportera, nous l’espérons, mue par cet élan de solidarité pour un adolescent sympathique que l’on croyait jusque là sans histoire. Comme elle l’emportera pour tous ces mineurs sans papiers, pour peu qu’un souffle d’humanité souffle sur les règles administratives.

Monique Royer

Lien vers la pétition : http://www.educationsansfrontieres.org/spip.php?article54225