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Journal d’un confinement

Marseille, le 18 mars.

« Je ne sais pas d’où sort ce virus qui m’empêche de vivre mon quotidien. Qui m’a privé d’aller à mon lycée qui [est] si cher pour moi, avec mes camarades de la classe et mes professeurs qui sont toujours là pour nous, qui sont là jusqu’à présent. Pour nous aider à mieux préparer notre avenir et être autonome. Moi qui aime me faufiler dans les transports en commun. Aller me balader dans les rues de cette belle ville, Marseille. Je suis privé de tout cela et cela [me rend] triste. Je suis enfermé dans mon foyer depuis avant-hier pour des préventions et les consignes données par le gouvernement. »

Ainsi commence Mahamadou-Nana, mon élève qui ne parlait pas français il y a quelques mois à peine.

Dès le début du confinement, j’ai ressenti le besoin intense de garder le lien, coûte que coûte, avec tous mes élèves. Leur proposer des ressources numériques, cours après cours, à distance, ne me suffisait pas. Il me fallait les aider à s’exprimer, à ressentir, à écrire, à réfléchir, à s’interroger ; longuement, profondément, individuellement. Et être là pour eux. C’est ensemble que nous vivons une période tristement historique. Écrire notre Histoire par nos petites histoires. Ensemble. Loin les uns des autres mais unis autour d’un même projet, ancré dans le réel. Une manière de recréer notre classe, cet orchestre dans lequel chacun s’efforce de jouer au mieux sa partition pour créer du beau, dans lequel chacun est indispensable par sa sensibilité propre. Alors, la tenue d’un Journal de confinement est apparue comme une évidence.

Un stylo, une feuille blanche et leurs mots pour seuls outils

C’est l’essence même d’un projet littéraire autobiographique. L’art comme langage universel et comme échappatoire.

« Opération anti-covid 19, Journal d’un confinement » est né le lundi 16 mars. Depuis, les textes affluent. Lucas y décrit ses peurs pour sa maman femme de ménage, Antoine, pour la sienne exerçant dans le médical. Guillaume son manque de sport, Fah son immense solitude au sein de son foyer. Flavien, ses angoisses, Oscar s’interroge sur les origines de ce mal et les politiques mises en place. D’autres ne comprennent pas les réactions démesurées des citoyens et interrogent la responsabilité des réseaux sociaux ainsi que celle des médias. Je découvre avec plaisir leurs consciences citoyennes. Leur esprit critique semble être à l’affût. Tous à leur manière réussissent à mettre des mots sur leurs maux et à les partager.

Les évolutions sont intéressantes à constater. Les textes s’allongent. Je m’étonne d’ailleurs de ne pas avoir reçu, pas même une fois, les fameuses questions : « Combien de lignes, Madame ? », « C’est noté ? ». Eux aussi mesurent sans difficulté que notre partition a changé. Que l’essentiel est sans doute ailleurs. Yacine, si à l’aise à l’oral en classe mais en grande difficulté lors du passage à l’écrit, trouve de mieux en mieux les mots, qu’il m’aurait facilement livrés oralement mais si péniblement sur une feuille blanche. Il monopolise souvent la parole et l’attention au sein du groupe mais se referme dès qu’il est seul, à l’écrit. Aujourd’hui, il y est contraint. Aucune tentative d’évitement ne sera possible. C’est cette absence d’oralité qu’il faut alors pallier. C’est le contraire de l’immédiateté qui se joue. Le temps aide. Yacine, au départ, ne décrit que brièvement et quasi mécaniquement sa journée. Et puis, sa réflexion s’approfondit. Les écrits autobiographiques l’accompagnent dans sa réussite et dans ses réflexions. « Aujourd’hui, vendredi 20 mars, j’ai eu une poussée de petits frissons en cette matinée. Je ressens de la haine, de la peine ainsi que de la peur. De la peine pour tous ces sans-domicile fixes qui sont les premières victimes de cette “guerre” contre l’ennemi invisible. » Et si cet élève était en train d’apprendre par lui-même le sens même de l’écriture autobiographique et les bienfaits que cette dernière peut procurer ?

Pour relancer nos échanges et éviter les redondances, je propose parfois à mes élèves des pistes d’écriture, des embrayeurs tels que : Si vous ne deviez rester confiné qu’avec une seule personne (célèbre ou pas), qui serait-elle ? Pourquoi ? Quelle sera votre première action en sortant de cette période de confinement ? Si vous ne deviez choisir qu’un objet en confinement, quel serait-il? Pourquoi ? Quel geste du quotidien vous manque le plus ? Aboubacar, autre élève allophone, seul en foyer, profite de ces amorces de phrases pour se dire : « Si je devrais être confiné avec une seule personne, ce sera ma mère. Parce que ça me permettra de passer de plus le temps encore avec elle afin de renforcer l’amour entre nous et s’il s’agit de la fin du monde, je pourrais lui dire combien de fois je l’aime et que j’suis fier qu’elle soit ma mère. Ma première action en sortant de cette période de confinement, je remercierai Dieu de me protéger et partager le reste du monde et je serai très content de rencontrer à nouveau les amis et profs. Si je devais choisir un objet en confinement, sa sera la télévision, parce qu’avec cet objet je suis connecté au monde entier, et je suis au même niveau d’information avec les autres. Le geste du quotidien qui m’a manqué le plus, c’est de ne pas être libre dans mes faits et choix ».

L’école dont on rêve, pour laquelle nous œuvrons et nous battons chaque jour est celle de l’égalité des chances. C’est justement cette valeur qui est en premier lieu interrogée par la « continuité pédagogique », que je préfère nommer « lien pédagogique ». On ne peut en effet pas continuer dans un contexte si éloigné de nos habitudes de classe. Nous nous devons de réinventer, de construire, d’individualiser mais dans un délai si restreint.

Pallier la déshumanisation de nos cours

Nous le savons bien, un cours est motivant quand l’enseignant le vit, le transmet avec toute sa foi. Nos élèves en grande difficulté finissent par se réconcilier avec l’école parce que nous réussissons à leur faire croire en eux, à les encourager et sans doute parce qu’ils nous apprécient. Nous transmettons des savoirs, des compétences mais aussi des valeurs.

Au-delà de la fracture numérique, flagrante en lycée professionnel, se posent les questions sociales, culturelles et éthiques. Comment entrer dans tous les foyers dans une période où toutes les émotions, toutes les inégalités s’exacerbent ? Comment offrir à chacun les mêmes outils, la même force d’y croire et d’avancer, sans être physiquement à leurs côtés ? Certains sont si seuls. Alors, puisse l’unique acte d’écrire, pour eux mais aussi pour nous, les aider et les apaiser ; et nous permettre de mieux nous retrouver après le tumulte.

« Je remercie tous les médecins et les infirmiers, pompiers, polices qui sont la 24/24, 7/7 pour leur courage et leur détermination. Tous ceux qui sont là pour nous protéger : comme nos parents, nos professeurs, nos éducateurs, les bénévoles. Que le bon dieu veille sur nous et nous donne la solution pour vaincre ce virus. Qui nous prive de notre propre liberté. J’espère qu’ensemble on va y arriver, tous s’en sortir. » finira Mahamadou-Nana.

Mes collègues et moi nous étonnons parfois d’être le seul contact social pour certaines familles… L’enseignant, ne pourra pas être remplacé par des outils numériques. Il est un des garants de la cohésion sociale.

Maëlle Pretceille de Pressensé,
PLP Lettres-Histoire, Académie d’Aix-Marseille


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