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Elève en difficulté au primaire : futur décrocheur ?

Un élève potentiellement décrocheur fait-il partie des «exclus de l’intérieur » dont parlent Pierre Bourdieu et Patrick Champagne, de ceux qui ont décroché sourdement des apprentissages ?

On peut le dire, oui. Au primaire, l’élève peut avoir l’illusion de ne pas trop mal s’en sortir ; lorsqu’il arrive au collège, il est mis face à ses difficultés d’apprentissage, sans avoir la possibilité de compromis et d’adaptation. La rigueur qui lui est imposée peut l’entrainer vers le repli ou vers l’indiscipline, ce qui gêne d’autant plus ses apprentissages. Les décrocheurs actifs du secondaire sont donc aussi ceux dont les apprentissages ont été fragiles, adossés à des relations interpersonnelles fortes, avec son enseignant, ses pairs, sa famille, et pour qui la transition du primaire au secondaire va être un facteur déclenchant du décrochage ultérieur.

Et que penser d’un diagnostic précoce ? Parvient-on seulement à recenser des indicateurs prédictifs d’échec ?

Plusieurs études longitudinales (sur onze ou douze ans) effectuées au Québec ont montré qu’un diagnostic de risque de décrochage posé dès les premières années de scolarisation par les enseignants et les éducateurs était souvent avéré par un décrochage actif au secondaire. Cette catégorisation « d’élèves à risque » n’est sans doute pas dans la culture française, car entre typologie et stigmatisation, il n’y a qu’un pas, que les enseignants ne veulent pas franchir.

D’après Catherine Blaya, plusieurs études dans le monde s’accordent sur certains facteurs de risque de décrochage : être un garçon, appartenir à une famille désunie ou reconstituée ; avoir des parents ayant été peu scolarisés ou ayant une vision de l’école négative ; être en échec et avoir un retard scolaire ; avoir souvent déménagé ; être scolarisé en classe spéciale ; avoir peu de support familial pour les devoirs ; en France, avoir redoublé.

Dans la catégorie « comportement et affectivité », sont cités le plus souvent : les troubles de comportement, le retrait social et l’anxiété, l’estime de soi négative (« je suis nul »). Du point de vue scolaire, outre la faiblesse du rendement scolaire (en dessous de la moyenne) et des retards dans l’acquisition des apprentissages de base, la motivation et l’engagement sont des facteurs ayant fortement mobilisé la recherche.

Ces indicateurs visent donc à accorder aux élèves concernés une attention particulière.

Oui. Et la remédiation aura toutes les chances d’être plus efficace si on s’attèle, dès les premières années de scolarisation, à améliorer l’entrée dans les apprentissages et à les renforcer tout au long du primaire et des premières années de collège. Au risque de reprendre des discours ministériels, il apparait, sur la base de travaux de recherche aussi bien français que québécois, scandinaves, américains, belges, anglais, que la maternelle est une phase fondamentale, que l’école primaire est le lieu à privilégier, où se construisent les compétences et les connaissances et que la transition entre le CM2 et la 6e doit être impérativement réorganisée pour que cesse ce clivage entre ce que l’on pourrait bien voir comme deux conceptions de l’enseignement et de la transmission des savoirs, ou ce cloisonnement disciplinaire, temporel, pédagogique à rénover.

Réorganiser la transition entre le CM2 et la 6e, mais de quelle manière l’envisager ?

La question se pose d’organiser une transition plus progressive, dont la mise en place achoppe, entre autres, sur le métier d’enseignant et le concept de bivalence ou polyvalence des enseignants de début de collège. Les enseignants proposent actuellement une meilleure collaboration entre enseignants du premier et du second degré. Ainsi, des enseignants de fin de primaire et des enseignants de mathématiques de début de collège ont travaillé sur deux domaines dans lesquels les élèves des deux niveaux éprouvaient des difficultés : la résolution de calcul et la résolution de problèmes. En partageant le matériel pédagogique et les stratégies pédagogiques, cette collaboration permet une continuité dans les enseignements et les apprentissages. Une initiative qui parait à soutenir et développer donc !

Annie Feyfant
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyses de l’IFE (ENS-Lyon)