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La Symphonie des prénoms
Dans une école maternelle de Dijon, une professeure des écoles, en collaboration avec des chercheurs du CNRS, a conçu La Symphonie des prénoms, un dispositif associant partitions colorées et métallonotes pour initier les enfants au décodage par la musique et le chant. Lauréate du prix « égalité des chances » en 2024, sa démarche, qui a donné naissance à une application et une association, séduit un nombre croissant d’enseignants à travers la France.Je suis enseignante depuis vingt-cinq ans, spécialisée dans l’apprentissage de la lecture, après vingt ans d’exercice auprès d’élèves en cours préparatoire (CP). J’ai commencé à enseigner dans le Val de Saône, à Seurre et à Varanges, dans de petites écoles situées au sud de Dijon (Côte-d’Or).
J’ai toujours débuté mes séances de classe en chantant. C’est pour moi un excellent moyen de créer du lien, de sourire à chacun lors des étirements de l’échauffement corporel. Puis viennent les chansons, qui favorisent un climat de bienêtre et la cohésion du groupe. Je choisissais mes chants en fonction du son travaillé dans la séance de lecture du jour.
En avril 2021, accompagnée d’Emmanuel Bigand, chercheur au CNRS et titulaire de la chaire Musique, cognition, cerveau à l’Institut universitaire de France, de Céline Choquet, conseillère pédagogique en éducation musicale, et de Marion Pineau-Girard, professeure de musique en Inspé, j’ai pu m’engager dans une classe expérimentale de musique afin de trouver des pistes pour faciliter l’entrée en lecture.
Ces rencontres m’ont conduite à faire le choix de travailler en maternelle afin d’augmenter ces temps musicaux et de favoriser les apprentissages qui préparent à la lecture. Ce changement de niveau intéressait également les chercheurs car, selon eux, plus le cerveau de l’enfant est jeune, encore immature et malléable, plus les bienfaits de la musique sont importants pour son développement.
Emmanuel Bigand m’a proposé de participer au tournage d’un film. Arte venait de le contacter pour réaliser un documentaire autour du livre La Symphonie neuronale. Cet ouvrage, qu’il a coécrit avec Barbara Tillmann, directrice de recherche au CNRS en sciences cognitives, met en lumière les bienfaits de la musique à tous les âges de la vie.
Même s’il est reconnu que la pratique musicale est favorable à tous les apprentissages dits fondamentaux, j’ai décidé de centrer ma réflexion sur le développement de l’écoute, la discrimination phonémique et le travail précoce du décodage.
Une idée m’est alors venue : avec le métallonotes (un xylophone avec des lames en métal) de ma classe, il m’était facile de créer une petite partition en couleurs pour chaque enfant. Ainsi, chacun disposait d’une mélodie composée d’un nombre de notes équivalent au nombre de syllabes de son prénom.
Grâce à ce dispositif, les enfants possèdent tous une carte-partition et déchiffrent ainsi une succession de couleurs. Il suffit de mettre les partitions à leur disposition, à côté du métallonotes, en leur montrant la correspondance entre les couleurs et les lames de cet instrument, dont l’atout majeur est que chaque lame est manipulable.

En attirant leur attention sur la présence de la clé de sol, nous leur indiquons où commencer à jouer. Autrement dit, où commencer à lire.
Puis, apprendre à prendre le temps. Le temps d’écouter, de réécouter la résonance de quelques notes, d’essayer de les reproduire pour chanter, pour le plaisir, son prénom ou celui d’un camarade.
La première semaine, je réserve deux ateliers de dix minutes environ où j’explique aux enfants comment repérer la clé de sol qui indique le sens de lecture.
Je prends le temps avec chacun de l’aider à déchiffrer sa mélodie, par exemple « rouge, puis vert et enfin jaune ». Puis, je montre avec mon index sur la partition chacune des couleurs à suivre et invite chaque enfant à les jouer successivement.
Les lectures de partitions s’automatisent ensuite chaque matin en arrivant dans la classe. Je montre à nouveau si besoin les couleurs à suivre. Ce sont aussi très souvent les parents qui jouent ce rôle, l’instrument se trouvant à l’entrée de la classe. Enfin, dans le coin musique, en autonomie, les enfants piochent les cartes de leurs copains et déchiffrent seuls les partitions.
Toute l’équipe enseignante de l’école maternelle a alors rejoint ce projet : la Symphonie des prénoms est ainsi née collectivement, lui donnant de la force puisque je n’étais plus seule à utiliser cette méthode.
Cette pratique a ensuite eu la chance d’être récompensée en juin 2024 par le CSEN (Conseil scientifique de l’Éducation nationale) par le prix « égalité des chances ». Le conseil a reconnu que ce projet participait à la formation du cerveau chez les jeunes enfants et à l’augmentation de leurs compétences sur tous les apprentissages fondamentaux. « Plus les réseaux neuronaux mobilisés dans le décodage seront activés de façon précoce, plus ils seront prédicateurs de réussite scolaire pour tous. »
En novembre 2024, nous avons été conviés à recevoir le prix au ministère, rue de Grenelle. Ce fut évidemment un grand moment. Je devais présenter les objectifs du projet, son appui scientifique, sa mise en œuvre, ses résultats et les perspectives envisagées.
Portée par cet élan, et pour ouvrir le champ des possibles, j’ai décidé en janvier 2025 de me lancer dans l’édition d’un site pédagogique. Une association loi 1901, La Symphonie des prénoms, a été créée. C’était pour moi le meilleur moyen d’offrir au plus grand nombre d’enseignants et d’éducateurs la possibilité d’utiliser facilement cette approche.
Pour ce faire, je me suis entourée de personnes compétentes (développeur, graphiste) qui ont pris en charge le site, son esthétique, sa maintenance et, surtout, la création d’une application, un outil « clé en main » pour tout enseignant désireux d’expérimenter la méthode, musicien ou non.
Pour le financement, j’ai dû me débrouiller seule. L’Éducation nationale n’ayant pas de budget pour développer une telle application, j’ai lancé une cagnotte en ligne.
Je me suis tournée vers la mairie de Dijon, qui a reconnu le potentiel de la méthode pour les petits Dijonnais. Nathalie Koenders, maire de Dijon, a décidé de soutenir le projet en finançant l’abonnement pour chaque école dont au moins un enseignant souhaitait l’expérimenter. Certaines enseignes renommées de Dijon, comme la librairie indépendante Autrement dit ou le magasin de musique La Clé de sol, m’ont également apporté leur soutien.
Je me suis aussi tournée vers un éditeur de musique, car cette méthode repose sur leur instrument, le mini-métallonotes. Très vite, le directeur a reconnu la plus-value pédagogique de cette démarche et a mis en place un soutien important. Cet éditeur a même pris en compte mes remarques concernant la mailloche fournie. Désormais, l’instrument est livré avec des mailloches à embout en caoutchouc, au son plus doux et mieux adapté à la vie de classe.
Petit à petit, les partages sur les réseaux sociaux ont pris de l’ampleur et plusieurs médias (presse, radio, télévision) ont relayé la future sortie de l’application. Beaucoup de personnes ont été sensibles à ma démarche et, m’accordant leur confiance, ont fait un don. En cinq mois, 10 000 € ont ainsi été récoltés, ce qui m’a permis de rémunérer le développeur et la graphiste.
Depuis le 15 juin 2025, à la date prévue, l’application est mise en ligne. On peut s’y abonner pour 15 € par an, au profit de l’association La Symphonie des prénoms, qui œuvre pour sensibiliser le grand public aux bienfaits de la musique. Cette cotisation sert en partie à payer les frais engendrés par le site (maintenance).
Depuis, des enseignants de Lyon, Narbonne, Montpellier, Caen, s’inscrivent. Ce sont aujourd’hui une trentaine de collègues qui utilisent la méthode dans l’Hexagone.
Mon plus grand bonheur serait que des professionnels, qui pensent à tort depuis trop longtemps que la musique est un domaine qui ne serait pas pour eux, entrent eux aussi, à petits pas, dans ce monde évidemment accessible à tous.
Réduire les écarts scolaires en apportant du bienêtre et du plaisir à apprendre : c’est bien là le cœur de notre métier.
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