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La pensée anti-68. Essai sur les origines d’une restauration intellectuelle

Même si cet ouvrage n’aborde que très peu les aspects purement scolaires de mai 1968, nous le signalons à l’attention de nos lecteurs, car dans la masse des productions liées au quarantième anniversaire des « événements », il se distingue par la qualité de sa démarche, la solidité de sa documentation et par tout ce qu’il apporte en compréhension à la fois de mai 1968 et des nombreuses lectures qui en ont été faites. Et cela permet du coup de mettre en perspective bien des débats ou polémiques autour de l’école.
L’auteur, universitaire, s’est, en quelque sorte, efforcé de prendre au sérieux l’appel de notre président à « liquider l’héritage de mai 1968 » en montrant comment cette diatribe électorale s’inscrivait dans un courant de rejet de ce moment fort de notre histoire, courant aussi hétérogène que l’est le camp des adversaires du « pédagogisme » (les deux ont beaucoup à voir d’ailleurs). « Républicains » peu attirés par la démocratie, trop « douce », trop peu « virile », libéraux se réclamant de manière abusive de Tocqueville, gauchistes reconvertis au charme de la droite, adversaires d’une mythique pensée-68 réduite parfois à quelques slogans ressassés tels le trop fameux « il est interdit d’interdire », néo-autoritaristes, penseurs plus soucieux de rhétorique chic que de recherche des faits (Régis Debray en est un bon exemple), lorsqu’ils qualifient la révolte de mai d’accoucheuse de la société de consommation, en oubliant que le mouvement de mai s’est surtout construit contre cette société : ce qui les unit est bien un rejet, souvent violent et presque toujours caricatural de ce qui a émergé, fût-ce dans la confusion et dans une certaine logorrhée en mai 1968. Serge Audier, fidèle à un certain Pierre Mendès-France, nous rappelle pourtant les apports intéressants du mouvement, remis en cause aujourd’hui par ces nouveaux réactionnaires que dénonça il y a peu Daniel Lindenberg.
Un livre important, d’accès aisé, où on trouvera aussi la parenté entre le pourfendeur de « l’école des crétins » et un certain penseur d’extrême-droite des années 60 (Monnerot), une analyse minutieuse des thèses de Finkielkraut, Marcel Gauchet ou Luc Ferry, on en saura plus également sur le rôle réel joué par Bourdieu, Derrida ou Foucault…
Bref, un grand plaisir intellectuel à lire cet ouvrage nuancé et rigoureux qui n’aura hélas pas le succès de gondole de tant de livres bâclés et de circonstance.

Jean-Michel Zakhartchouk