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La musique à la portée de tous, partout

Une présentation des CMR, jadis centres musicaux ruraux, et des actions qu’ils proposent en direction des élèves scolarisés.

Favoriser l’accès à la musique pour tous, faire en sorte qu’elle soit un choix possible pour le plus grand nombre, tel est le projet des CMR depuis soixante-cinq ans ! Il se traduit par des activités musicales variées et adaptées, allant de la petite enfance aux personnes âgées ou en situation de handicap, en prenant en compte les temps scolaires et périscolaires, ainsi que les pratiques en amateurs des petits et des grands. La Fédération des CMR est un réseau associatif national. Quatorze associations départementales portent et font rayonner le projet fédéral sur le territoire.

Fondés sur des valeurs d’éducation populaire, les CMR1 contribuent à favoriser l’accès à la musique pour tous et inscrivent leur action dans la ruralité en proposant des activités dans trente-cinq départements auprès de publics variés et notamment auprès des élèves scolarisés.

Depuis les lois Ferry instituant à la fin du XIXe siècle l’enseignement primaire public et gratuit, la musique fait partie des programmes scolaires, dispensés par l’instituteur. Au fil du temps, des modalités de collaboration entre cet enseignant généraliste et des musiciens professionnels ont été aménagées. Dès leur création, les CMR ont participé à ce mouvement. Puis, constatant que l’intervention au sein d’une classe exige des compétences particulières, ils ont ouvert en 1953 un centre de formation professionnelle initiale à Montry (77), définissant ainsi le métier de musicien intervenant.

En 1984, s’appuyant sur ces expériences, et sur la demande des collectivités locales, les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture ont créé conjointement les CFMI (centres de formation de musiciens intervenants), poursuivant avec l’institution du diplôme universitaire de musicien intervenant (DUMI) la professionnalisation des intervenants extérieurs en musique, en mesure d’apporter des connaissances et compétences spécialisées auprès des enseignants. On estime aujourd’hui à 5 000 les artistes pédagogues titulaires du DUMI, en poste au sein de collectivités territoriales ou d’associations, qui travaillent au quotidien dans les écoles, pour qu’une éducation musicale riche, dispensée selon des projets développés dans la durée, soit ouverte gratuitement à l’ensemble des enfants.

Leur valeur ajoutée au sein des équipes éducatives est reconnue, et les futures promotions des CFMI ont vocation à permettre la généralisation de leur présence au sein de la totalité des établissements primaires du territoire national.

Créés en 1948, les CMR ont été précurseurs dans l’intervention musicale en milieu scolaire et sont agréés pour leur action éducative complémentaire de l’enseignement public. Leurs interventions réalisées par 300 professionnels actifs dans le temps scolaire bénéficient à 130 000 enfants chaque année.

Leurs interventions sont structurées par le projet musical, qui s’inscrit lui-même dans le projet d’école. Il est construit en collaboration avec les enseignants autour des trois piliers de l’éducation artistique et culturelle : la pratique artistique, les connaissances et la rencontre avec les œuvres et les professionnels des arts et de la culture. En termes pédagogiques, il n’est plus à prouver la contribution des activités musicales à l’appropriation des différentes matières du socle commun de compétences et de connaissances et les apports pour l’enfant (sens critique, affirmation de soi, ouverture d’esprit). Ces activités se pensent sur de longues périodes : l’année scolaire voire plusieurs années sont nécessaires pour une assimilation et une réinterprétation. Elles nécessitent de la concentration et sont donc naturellement à inscrire dans le temps scolaire.

DES ARTISTES AU SERVICE DE TOUS

En termes artistiques et culturels, les musiciens intervenants sont avant tout des artistes, ouverts à une pluralité de cultures et de styles musicaux. Ils sont également acteurs du développement culturel. Leur savoir-faire et la régularité de leurs interventions sur le temps scolaire les mettent en capacité de conduire des actions artistiques et culturelles diversifiées, impliquant les différents acteurs locaux. Ils influent sur la découverte puis la fréquentation régulière des lieux et activités culturels de proximité par les familles.

Le projet Opéras ? Opéras ! de l’école d’Ampuis, dans le Rhône, a concerné sept classes des cycles 2 et 3. Il était dirigé par les enseignantes, et recevait l’aide d’une musicienne intervenante, Marie-Angèle Oyono. Il comportait une part de fréquentation du genre opéra par les enfants et une dimension pratique importante. Les enfants ont pu voir Carmen, dans la version ballet de Roland Petit, à l’opéra de Lyon, Bastien et Bastienne de Mozart, ou encore Brundibar de Hoffmeister. Ils ont même pu monter sur scène pour chanter le chœur des villageois de Cosi fan Tutte. Cette production leur a donné l’occasion d’une rencontre avec un chanteur lyrique, Zoltàn Csekö, occasion de questionner un artiste sur son métier et sur l’œuvre qu’ils allaient interpréter. Mais le clou du spectacle fut certainement pour eux les deux opéras pour enfants montés et donnés à la fin de l’année scolaire : Myla et l’arbre bateau d’Isabelle Aboulker et Nous n’irons pas à l’opéra de Julien Joubert. L’ensemble du projet a immergé les élèves dans le monde lyrique. Cela n’aurait pas été possible sans l’important investissement des enseignantes tout au long de l’année scolaire, investissement professionnel, mais aussi personnel. Elles ont suivi des conférences pédagogiques sur le genre, travaillé la mise en voix, assisté aux réunions de préparation des représentations. Cet investissement s’est naturellement poursuivi en classe, avec un travail sur les instruments de musique ou encore la lecture et l’étude d’œuvres du répertoire enfantin. Ainsi, au-delà de l’intervention musicale auprès des enfants, l’action des CMR et des musiciens intervenants est un vecteur de diffusion de savoirs culturels et de formation pédagogique pour les enseignants.

La réalité du monde rural et de l’offre culturelle limitée qui en résulte fait partie du quotidien des CMR : 78 % des collectivités territoriales dans lesquelles la Fédération nationale des CMR intervient sont des communes qui comptent moins de 5 000 habitants, dont 52 % en comptent moins de 2 000. La situation sur les territoires ruraux demeure profondément contrastée et inégalitaire. L’absence d’équipement approprié, de volonté politique, d’économie culturelle faute de moyens, la disparité des compétences et des effectifs des services culturels et éducatifs au sein des communes induisent encore de trop nombreuses zones blanches, qui contraignent encore aujourd’hui toute une frange de la population à ne pouvoir exercer son droit à la culture.

LES ARTS AU CŒUR DU VILLAGE

Impulser des projets culturels et musicaux sur de petites collectivités en cohérence avec les besoins des populations locales, permettre un accès à la musique là où l’offre institutionnelle connait ses limites ou en complémentarité de celle-ci, offrir la possibilité de s’impliquer dans des projets culturels et dans une vie associative sont autant d’actions placées au cœur du projet CMR.

L’école Maurice-Chabaud de Malataverne (26) a proposé un parcours Arts et culture interdisciplinaire et intercycle mettant en valeur le patrimoine local : la grotte Mandrin, la rivière Riaille ou la chapelle du Rac, etc. Une exposition dispersée dans l’ensemble du village a été réalisée par l’ensemble des classes, quatre de maternelle, six d’élémentaire. Neuf lieux d’exposition furent investis, de la chapelle du Rac au passage à gué, du grillage de l’école au cabinet de kinésithérapie, inscrivant l’action pédagogique dans l’espace de vie des enfants et de leurs parents. L’action de la musicienne intervenante, Audrey Tardy, s’est faite à partir du projet conçu par les enseignants. La musique était un plus, inaccessible sans intervention d’une spécialiste ; les lieux étaient animés de chansons, de présentations de créations instrumentales. La part sonore comprenait également la confection d’une émission de radio en collaboration avec Radio Soleil FM.

Pour autant, cette capacité d’action des CMR n’est pas sans difficulté : malgré la reconnaissance des collectivités dans l’ingénierie culturelle des CMR, le manque de moyens nécessite bien souvent de déployer des actions engageant les fonds propres de la fédération. Elle demande un investissement des musiciens intervenants pour accepter de vivre au quotidien l’épreuve du milieu rural (multiples déplacements nécessitant des temps de transport élevés, manque de moyens et de partenaires culturels pour développer des projets d’ampleur sur le territoire, etc.). Aussi, les CMR se mobilisent pour offrir les conditions les plus favorables possible à leurs musiciens et aux publics, à favoriser leur inscription dans les territoires et à garantir la qualité et l’innovation pédagogique de par l’action du réseau.

Loin de l’isolement que certains musiciens pourraient ressentir, le réseau CMR encourage le partage pédagogique, la participation à de nombreux groupes de travail et de réflexion, la mise en relation avec d’autres musiciens et acteurs culturels, la création artistique par des initiatives nationales, la mise à disposition de matériel pédagogique et de ressources, la formation, etc.

Le cœur du projet des CMR est des plus ambitieux : le musicien intervenant, par son implantation dans l’école, mène des activités qui bénéficient à l’ensemble des enfants.

Didier Jalquin
Coordinateur du secteur milieu scolaire et médiation culturelle des CMR

Notes
  1. www.lescmr.asso.fr