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La fabrique des « meilleurs »

Cet ouvrage d’un journaliste du Nouvel Observateur, qui se veut une « enquête sur une culture d’exclusion », irritera sans aucun doute les défenseurs d’une « exception française » qui ferait de notre école la meilleure du monde si elle voulait bien revenir à son âge d’or. Pour Patrick Fauconnier, il n’y a guère de raison d’être fiers d’une école qui est bien plus forte pour sélectionner des élites (mais pas forcément sur de bons critères et en se privant de bien des talents) que pour faire réussir tous les élèves. On ne pourra qu’être d’accord avec nombre de constats. L’auteur utilise de nombreuses analyses sociologiques pour montrer que notre système fonctionne davantage comme machine à éliminer que comme « pépinière », est arrogant et prétentieux, peu motivant et peu généreux. S’en prendre à mai 68 est grotesque quand il faudrait au contraire bel et bien mettre davantage l’imagination au pouvoir, par exemple pour éviter les exclusions (à cet égard la suppression des TPE aujourd’hui, du Conseil de l’innovation hier, sont des absurdités). La sélection précoce est un gâchis et le mépris pour l’enseignement professionnel un scandale. Bref, on se trouvera conforté dans un certain nombre de combats (et on pardonnera ici ou là quelques approximations, comme la présence des TPE en 2de !)

Dans la seconde partie, étayée par de nombreux chiffres et témoignages, l’auteur s’intéresse aux « secondes chances », avant de montrer comment les surréglementations et absences de souplesse brident l’emploi, notamment des jeunes, et renforcent du coup l’exclusion. On trouvera des données nombreuses et « parlantes » pour étayer des thèses qui se veulent avant tout pragmatiques et dénuées d’a priori idéologiques. Mais pour autant, bien des propositions méritent discussion pour le moins et on s’agacera quelque peu, même si l’auteur s’en défend, des incessantes comparaisons en faveur des pays anglo-saxons. S’il est bon de ne pas diaboliser et caricaturer le système américain, il a peut-être moins de mérite qu’il est dit ici (on sait par exemple que la prison est un moyen de gérer la pauvreté et l’exclusion aux USA, que les différenciations sociales se sont bien accrus ces dernières années, etc.). À l’inverse, le service public « à la française » a aussi qualités et atouts qui sont parfois sous-estimés dans cet ouvrage, même s’il est interpellé avec une saine vigueur. Il y a donc matière à débats à partir de ce livre documenté, d’accès aisé, à usage d’un grand public et qui évite dans l’ensemble les anathèmes et les slogans, ce qui n’est pas son moindre mérite.

Jean-Michel Zakhartchouk