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École : sens commun… ou bon sens ? Manipulations, réalité et avenir
Il est peu dommage que l’on ait choisi pour cet ouvrage un tel titre, peu parlant et peu pertinent : il faudrait éviter d’utiliser positivement la notion de «bon sens» qui ne veut pas dire grand-chose et qu’on ne peut opposer ainsi à un «sens commun» comme le vrai serait opposé au faux. En fait, ce qui fait l’intérêt de ce livre, c’est la mobilisation d’une argumentation solide et multiforme, souvent nuancée et précise, face à l’entreprise de
désinformation que mènent de petits groupes très actifs, complaisamment relayés par certains médias et soutenus
par des intellectuels peu soucieux de rigueur contre l’école qualifiée de «grand corps malade» ou de «fabrique du crétin». Gérard de Vecchi a une longue expérience
du terrain, comme enseignant puis formateur et s’appuie sur celle-ci, mais aussi sur celle des pédagogues, dont
les Cahiers pédagogiques, pour patiemment remettre en cause les idées reçues, rétablir la vérité des données, notamment chiffrées, établir des propositions constructives bien plus utiles aux enseignants que les lamenti catastrophistes.
On retrouve des thèmes classiques : le niveau, la lecture, la pédagogie, le rapport aux élèves. Sur chacun de ces points, les points de vue des Brighelli, Le Bris, Lafforgue
ou Finkielkraut sont analysés rationnellement sans anathèmes (la réciproque n’est hélas pas vraie), avec de nombreux encadrés synthétiques ou rapportant des faits précis qui facilitent la lecture. Du coup, l’ouvrage est une utile synthèse des débats sur l’école (encore que pour débattre vraiment, il faut être deux et il est si difficile de le faire avec des contradicteurs d’aussi mauvaise foi dont certains voudraient même traduire les pédagogues
devant des tribunaux tandis que d’autres manient l’insulte et le mépris).
On peut ici ou là n’être pas d’accord avec tel ou tel développement. Pour ma part, j’apprécie moins le chapitre qui réfute le «vaste complot international pour décérébrer
nos enfants» qui me semble pourtant trop complaisant pour les thèses de Nico Hirtt ; celles-ci participent aussi,
selon moi, de la désinformation, à travers des citations d’institutions européennes souvent détournées de leur sens. De même faudrait-il, par endroits, reconnaître aussi les erreurs commises par les pédagogues à certains moments : par exemple sur la question de la lecture, on peut, tout en rejetant les positions de Robien et des intégristes du syllabique, admettre un manque de vigilance dans les années quatre-vingt, quant au travail indispensable sur les correspondances graphies-phonies, ou encore les dérives possibles lorsqu’on pratique les situations-problèmes qui doivent rester un dispositif parmi d’autres. Il est vrai
que dans le climat de polémiques actuelles, tout effort d’honnêteté de la part des pédagogues est interprété comme signe de faiblesse sur le thème « vous voyez, vous commencez votre autocritique » comme si les débats, les doutes ne traversaient pas les pédagogues. N’oublions pas d’ailleurs les multiples contradictions des pourfendeurs de l’école actuelle, ce que rappelle le livre : étrange famille où l’on retrouve de vrais nostalgiques de l’école de jadis (mythifiée et non réelle) ; des représentants d’une extrême gauche dogmatique qui dans sa diabolisation du «libéralisme» voit dans le moindre projet d’établissement ou dans la présence du mot «compétence» une intolérable intrusion du monde de l’économie capitaliste
dans l’école ; des laïcards purs et durs ; et des philosophes drapés dans une posture esthétisante qui font de l’idée du déclin leur fonds de commerce.
Le mérite de de Vecchi est en tout cas de ne pas se contenter de critiquer «les autres», mais d’avancer des propositions pour «refonder l’école». Il constitue un
outil pour y voir plus clair, espérons qu’il sera aussi présent dans les librairies et plus généralement dans le débat public.
Jean-Michel Zakhartchouk