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«L’enseignement des sciences, cela stimule aussi l’imagination des enseignants !»
Le titre du dossier est « Créer et expérimenter en sciences et technologie ». On s’attend à l’expérimentation, moins à la création dans des matières plutôt vues comme très rigoureuses…
Évelyne Chevigny : Voir les sciences comme un domaine où l’on ne crée pas est une aberration. Je pense que c’est lié à une vision très inductive : les scientifiques liraient dans la grand livre de la Nature. L’épistémologie moderne conteste une telle vision de la science. Une théorie scientifique propose une représentation du réel, qui ne se confond pas avec lui. Le passage entre le réel et la théorie demande un « bond de l’esprit », disait dèjà Robert Grossetête au Moyen-Âge, c’est-à-dire un acte de création. Cela n’empêche pas la rigueur. Il faut que la théorie s’insère dans un réseau global cohérent et permette de faire des prévisions justes sur les phénomènes du monde. Tout cela, il faut l’apprendre en classe ! Proposer des hypothèses, un protocole expérimental, ce sont des actes de création. Par contre, on ne va pas tout garder, tout ne se vaut pas ou n’est pas question de goût : on va rejeter certaines propositions parce que fantaisistes, et on va soumettre les autres à la confrontation avec le réel. Il ne faut pas laisser croire aux élèves que la science est un chemin linéaire et ennuyeux parce que tout tracé. Quant à la technologie, elle ne cesse de faire inventer des solutions à des problèmes multidimensionnels.
Roseline Ndiaye : Expérimenter pour démontrer des savoirs à ancrer dans des preuves : le principe de l’enseignement des sciences, c’est d’accompagner le questionnement de l’enfant, l’émergence d’une problématique, puis de vérifier cette problématique au travers d’expériences et ainsi construire la réalité de son savoir. Mais au quotidien, dans la classe, nous sommes plutôt dans la répétition de l’expérience, celle qu’on veut faire réussir à tout prix, quitte à en modifier l’issue. La pédagogie de projet permet à l’élève d’être le créateur et le concepteur de la phase d’expérimentation. Cette créativité l’amène à davantage s’approprier le savoir et le savoir-faire qui accompagne la mise en œuvre de l’expérience et du partage. C’est pourquoi nous avons voulu pointer l’intérêt de la phase créative.
Créer est au cœur des nouvelles pratiques comme les EPI et nous avons voulu recueillir des exemples qui nous montrent que, finalement, ce sont des pratiques déjà bien ancrées dans les classes et qui accompagnent la réussite des élèves.
Peut-on créer et expérimenter en sciences et technologie à tous les niveaux de l’école, ou faut-il un équipement, du matériel particulier ?
E. C. : Je défends l’idée que l’on peut faire des sciences avec des « bouts de ficelle » : deux bouteilles, quelques tuyaux et une bassine, par exemple. En formation de professeurs des écoles ou de collège, je tiens à montrer que faire des sciences ne demande pas nécessairement de matériel spécialisé (même si c’est plus confortable d’en avoir). Au lycée, c’est différent. La science a construit des instruments qui permettent mesurer des grandeurs qu’elle a définies, et il faut bien un jour découvrir aussi cette dimension et apprendre ce qu’est un spectrophotomètre.
R. N. : Les deux, mon colonel, on peut très bien faire preuve de créativité avec des morceaux de carton, de chiffon, de la pâte à modeler… Mais quand on veut observer, rien de tel que le bon colorant, le bon microscope ; idem pour faire une expérience un peu poussée, il faut le matériel adéquat. En même temps, de plus en plus d’outils technologiques font partie de notre quotidien : aujourd’hui, il n’est pas difficile de filmer en classe pour partager une expérience.
Quant aux différents niveaux de l’école, entre le primaire et le lycée, la différence de culture en SVT n’est pas une différence de concepts, mais de niveau d’explicitation. Peu de niveau moléculaire en primaire : il est donc plus facile d’observer et d’expérimenter.
Y a-t-il une particularité dans ce dossier, ou quelque chose qui vous a surpris, que vous souhaiteriez mettre en avant ?
E. C. : Je suis enthousiasmée par la multiplicité des accroches. On rentre dans les apprentissages scientifiques parce qu’on a découvert une araignée, avec un kruk, via un jeu vidéo, en dessinant la montagne, en s’investissant au parlement des enfants, parce qu’il y a des algues vertes dans la Baie de Saint-Brieuc… L’enseignement des sciences, cela stimule aussi l’imagination des enseignants !
R. N. : J’ai eu l’impression que, tous, nous nous disions : « je vais revenir sur la démarche expérimentale », au cas où le lecteur ne comprendrait pas bien ce qu’il en est. Finalement, ça ne pose de problème à personne, d’ailleurs, dans la plupart des disciplines on retrouve la notion de problématique. Cependant, en SVT et en physique-chimie, la démarche aboutit à la construction d’un savoir (provisoire) alors qu’en technologie le savoir est construit avant l’expérimentation.
Les résultats de l’étude PISA révélés cette semaine montrent que la France se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE pour les sciences mais que celles-ci ne sont pas épargnées par les inégalités de réussite en fonction des origines sociales ou géographiques des élèves. En quoi ce dossier peut-il contribuer à y remédier ?
E. C. : Je pense que l’enseignement des sciences expérimentales est moins discriminant que d’autres enseignements. Les enfants accrochent beaucoup aux enseignements de science dans les petites classes. Les sciences sont comme un territoire neuf, peut-être moins dépendant que d’autres champs disciplinaires des apprentissages initiaux. Elles offrent un espace de créativité dans lequel l’idée pertinente ne dépend pas toujours de ce que l’on connait déjà, elles se structurent à travers une multitude de langages, contournant éventuellement – et peut-être seulement temporairement – des difficultés langagières. Malheureusement, en milieu de collège, lorsque les exigences en termes de formalisation augmentent, l’intérêt d’un grand nombre d’élèves pour les sciences décroche. Le dossier présente des pistes propices au développement de séances de science tout à la fois exigeantes et motivantes.
R. N. : Les inégalités tiennent au fait qu’on n’embarque pas tous les élèves dans les apprentissages et que leur quotidien ne leur fait pas assez côtoyer les sciences. Le dossier a pour ambition d’amener les plus petits et les autres à être curieux de sciences, que ce soit au travers d’un album pour enfant, d’une sortie qui se transforme en moment créatif autour d’un herbier. Quand Superman entre dans la classe, les enfants n’ont pas envie d’être indifférents et ils vont spontanément aller à la recherche de ce qui les interpelle, c’est déjà faire un pas vers les sciences. Bref, ce numéro propose à l’école de combattre le déterminisme social de l’enseignement en proposant à tous des activités visant à l’immersion dans les sciences.