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Depuis deux ans, une fois par semaine, elle anime un atelier d’arts plastiques auprès d’élèves de classes de Segpa et d’Ulis. « Ça s’est fait comme ça », au gré d’échanges, en particulier avec l’enseignant d’Ulis qui mène un projet vidéo. Les cours partagés entre les deux sections sont une réalité dans ce collège où les passerelles se construisent au fil des initiatives. L’idée est alors de proposer une deuxième activité aux élèves pour qu’ils choisissent en fonction de leurs goûts, de leur attrait. Les arts plastiques constituent une alternative et Rommy Dufossé propose son aide pour une co-animation avec la professeure de sixième Segpa. Elle le fait avec son passé riche d’enseignante, d’artiste et d’intervenante auprès d’apprenants en situation de handicap.

Au Chili, elle a enseigné pendant onze ans, après cinq années d’études à la fac. En France, son diplôme et son expérience ne sont pas reconnus. Elle a obtenu un bac +2 par validation d’acquis puis repris le chemin de l’université pour pouvoir passer un CAPES qu’elle n’a, pour le moment, pas réussi à décrocher. Son mémoire d’études, sur le thème « l’art engagé est-il un art ou pas ? », l’a ramenée dans son pays natal, le temps de collecter des informations. L’option choisie, celle de la muséologie, l’a conduite en stage au musée d’art contemporain de Villeneuve d’Asq, qui l’engage ensuite pour être guide espagnol-français de l’exposition sur les artistes muralistes mexicains lorsque Lille était capitale européenne de la culture.

D’abord des cours avec des adultes

L’expérience est belle mais brève. Alors, elle donne des cours d’espagnol en entreprise, pour des salariés, ce qui lui plaît modérément. En 2005, elle est recrutée, en tant que contractuelle, dans une école de reconversion professionnelle pour donner des cours d’arts appliqués auprès d’adultes handicapés physiques ou psychiques. « J’aime bien ce public-là, ils ont vraiment envie de réussir leur parcours qui dure deux ans. » Elle remarque le manque de confiance en eux, apparu ou accentué par le handicap issu de lésions, d’accidents, de dépressions ; le doute sur l’intérêt d’apprendre l’art dans un cursus d’enseignement professionnel, puis le plaisir qui naît de s’évader, de laisser de côté leurs préoccupations. «Ça leur fait du bien de parler entre eux, de produire quelque chose ensemble, de s’entraider, ce ne sont que des choses positives. »

Au début, elle leur explique que l’art, ce n’est pas seulement dessiner, peindre, mais aussi traduire les idées, passer par l’intellect. « Moi je suis là pour vous aider à traduire vos idées en projet », leur dit-elle. Et les projets naissent, petits au départ, et grandissent avec la confiance qui se consolide, la peur qui s’évanouit. Son temps d’enseignement est trop faible pour lui permettre d’en vivre, alors, depuis 2012, elle occupe en complément un poste d’Assistante de vie scolaire collectif auprès d’élèves en classe d’Ulis au collège Rimbaud.

AVSCo

Elle apprécie tout autant ce travail, même si le handicap est différent, plus souvent cognitif ou comportemental, même si ce sont des jeunes adolescents. « Même s’ils peuvent être durs, je me marre tous les jours avec eux. Ils sont très attachants. Par des regards, par de petites choses, ils nous disent la confiance qu’ils ont en nous. » Elle est tout le temps avec eux, elle accompagne ceux qui peuvent intégrer des cours de cursus ordinaire, elle est à leurs côtés dans la cour, à la cantine, elle a le sentiment de faire un suivi constant au fil de la journée, au fil des jours au collège. Avec son autre collègue AVS, « nous essayons de faire au mieux. C’est un travail d’équipe avec l’enseignant qui nous fait confiance. Il nous aide à expliquer. » Elle n’a pas reçu de formation spécifique pour être AVS.

Elle apprécie ce travail d’équipe et les conseils du pédagogue pour trouver les mots et les postures justes. Elle puise dans son expérience d’enseignante au Chili et dans le centre de reconversion professionnelle les ressorts d’un travail où la pédagogie est essentielle. Elle ne prononce pas le mot métier car pour elle « ce pourrait être un vrai métier si nous avions une formation en particulier sur la partie médicale. » Elle voit dans la confiance reçue avec l’animation des ateliers d’arts plastiques une prise en compte de ses compétences, une véritable intégration dans l’équipe pédagogique composée d’enseignants de matières générales et de professeurs d’atelier des classes de Segpa avec qui des initiatives se développent. Elle se sent là reconnue, mais pas par l’institution.

« Mon vrai métier, je l’exerce pendant les ateliers d’arts plastiques. » Le premier projet de l’année dernière a été mené autour de l’idée de recyclage en construisant des silhouettes grandeur nature recouvertes de papier journal déchiré puis collé. Sur leur poitrine était inscrit un extrait d’un poème de Rimbaud choisi par les élèves. Les silhouettes ont été exposées dans un lieu de passage du collège. Aucune dégradation proférée, des sourires et des commentaires positifs, la réussite du projet était là aussi, dans la satisfaction des élèves de voir leurs productions appréciées et respectées.

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L’an passé, des façades de petites maisons, inspirées des retables chiliens, ont été créées à partir de cartons récupérés, de fleurs en plastique, de petits cailloux. Une petite rue a été reconstituée et Rommy Dufossé leur a raconté les rues au Chili, la tradition des retables. Chacun est reparti chez lui avec sa maquette. Cette année, une visite de l’exposition de Zep au Palais des Beaux Arts de Lille a fait naître l’envie de créer une bande dessinée. Le thème des produits régionaux a été affiné en allant dans une ferme pédagogique. Les deux sorties ont été croisées, exploitées, donnant naissance aux deux personnages Alicia et Théo. Le travail se fait en binôme. Sans doute le projet autour du recyclage va se poursuivre à base de sacs plastiques récupérés à la façon de l’artiste contemporain Pascale Marthine Tayou. Elle aimerait bien associer un professeur de SVT pour l’enrichir d’une approche scientifique.

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Engagements

L’animation des ateliers est rythmée par des rappels à l’engagement pris, des astuces pour remobiliser la concentration d’élèves rapidement happés par la distraction ou ralentir ceux qui vont trop vite, pressés de voir leur travail terminé. « Il faut être à côté pour calmer le jeu, expliquer qu’on a le temps. » Le binôme avec l’enseignante de Segpa favorise la différenciation, la mise en place d’une entraide et de travaux de groupe.

Son origine chilienne lui a ouvert aussi les portes d’une classe de troisième où elle a été invitée à témoigner sur la dictature qu’elle a vue arriver lorsqu’elle avait six ans et s’installer durablement jusqu’à ses années de fac. La professeure de français est allée avec eux à la médiathèque de Villeneuve d’Ascq après la commémoration du coup d’État. Là, Rommy Dufossé avait dessiné une ébauche de fresque, invitant les passants à la peindre, à l’enrichir à la manière de ce qui se fait au Chili. « Les élèves ont vu que la fresque racontait ce que j’avais expliqué pendant le cours. »

Elle présume que toutes ces contributions, ces signes de reconnaissance, existent, se développent, parce qu’elle a osé franchir le seuil de la salle des professeurs dans un collège accueillant. Et que là, au détour de cafés partagés, elle a pu dire, expliquer, « qu’avant j’étais prof et que je le suis toujours le lundi ». Ce métier d’enseignante qu’elle a choisi et exercé, elle le fait vivre toujours, malgré le statut qui lui manque, comme une évidence, celle d’une pédagogue avant tout.

Monique Royer