Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Imposture et surenchère : Brighelli a touché le Front

À force d’exposition médiatique, l’arrivisme du personnage a fini par être connu : le défenseur passionné des valeurs républicaines joue les nègres polygraphes en écrivant entre autres les livres de Balkany ou d’Estrosi, et dit à qui veut l’entendre qu’il est capable d’écrire n’importe quoi et de mettre son talent au service de causes qu’il réprouve. Pareil cynisme illustre assez bien la perversion d’une logique éditoriale qui cautionne des auteurs croyant qu’avoir le sens de la formule suffit à faire un bon livre sur un sujet grave et complexe.

Mais Jean-Paul Brighelli croit-il vraiment que l’École soit un sujet complexe ?
Il se répand une fois de plus en coups de gueule en publiant tels quels une compilation des billets de son blog, formule économique qui peut entraîner quelques désagréments pour le lecteur, comme la répétition incantatoire des mêmes arguments à quelques pages d’intervalle (d’où les 30 pages faites des 6 billets successifs consacrés à défendre les décharges horaires des professeurs de classes préparatoires) ou l’absence de prise en compte de ce que l’actualité, la recherche ou la critique ont déjà invalidé.

Mais le plus gros désagrément porte sur cette impression de déjà vu. Trente ans après De l’École, le pamphlet de Jean-Claude Milner réédité en 2006 et imité par beaucoup d’autres, Jean-Paul Brighelli ressasse les mêmes oukases : l’École est en crise (et il fournit, il faut le lui reconnaître, quelques données : crise des vocations enseignantes, inégalités sociales révélées par PISA…), tout ça à cause des pédagogues fous qui contrôleraient le système et auraient forcé les 800 000 enseignants à appliquer la loi d’orientation de 1989, le tout avec le soutien de la Commission européenne et de l’OCDE.

La nouveauté de ce livre, en fait, c’est que se construit au fil des pages un argumentaire de soutien au Font national, égrenant des marqueurs idéologiques dont le rapprochement finit par faire sens : dénonciation de l’action néfaste de Bruxelles, défense de l’histoire de France valorisant les grands hommes, regret que l’histoire de la colonisation insiste tant sur ses aspects négatifs, renvoi dos à dos du PS et de l’UMP, inquiétude face à l’immigration et au métissage culturel, et, en conclusion, reconnaissance de la pertinence des propositions éducatives de Marine Le Pen et aveu de sa tentation de voter pour « le diable ». Après Maïté, Gilbert Collard, Brigitte Bardot et Jean Roucas, Jean-Paul Brighelli vient grossir les rangs des « intellectuels » ralliés au FN.

En dehors de ce coming out qui avait déjà été remarqué sur la Toile, l’ouvrage obéit une fois de plus au modèle ternaire défini il y a trente ans par Antoine Prost, à qui la revue Le Débat avait à l’époque demandé de commenter le De l’École de Jean-Claude Milner[[Antoine Prost, « Sur l’école », Le Débat, n° 31, 1984/4.]].

Comme son éminent prédécesseur, le livre de Jean-Paul Brighelli s’appuie sur une analyse bien sommaire des problèmes de l’Éducation nationale. N’évoquant les travaux de Debarbieux que pour les dénigrer en deux lignes au seul motif que le sociologue, en tant que chargé de mission auprès des ministres successifs, se serait discrédité par cette collaboration, le polémiste, qui se garde bien de dire qu’il a bénéficié lui-même, de la part de Xavier Darcos notamment, d’égards qu’aucun des pédagogues qu’il accuse d’avoir la haute main sur le système n’oserait rêver, affirme avec aplomb que « ce sont les enseignants qui en sont majoritairement victimes [de la violence] – pas les élèves » (p. 56). Au-delà de la présentation des 0/20 comme des « anecdotes sympathiques », dans le cadre d’une défense de la notation (p. 191), il aggrave particulièrement son cas en exploitant le drame du suicide d’une bonne élève victime de harcèlement (problème qui, malheureusement, ne date pas d’hier) pour le présenter comme le résultat d’un prétendu dénigrement du savoir et du travail par l’Institution elle-même (visible notamment à travers la baisse du salaire des professeurs de classes préparatoires), qui encouragerait la stigmatisation des élèves sérieux.

Comme les autres libelles antipédagogistes, ce nouvel écrit témoigne en outre d’une connaissance des savoirs sur l’École et l’éducation réduite à quelques certitudes puisées dans des travaux lus en diagonale et opportunément coupés (et aux sources rarement indiquées). On pourra ainsi s’affliger de la reprise du chiffre des 30 % de boursiers inscrits en classe préparatoire, qui lui permet de développer un discours inextinguible sur les vertus de l’élitisme, au mépris (affiché) de cinquante ans de travaux de sociologie. On ne s’étonnera pas non plus qu’il présente avec emphase les travaux de Jérôme Deauviau sur les méthodes de lecture sans prendre en compte le fait que ses résultats opportuns sont largement contestés par les spécialistes. Quant aux éléments tangibles attestant de l’action funeste des pédagogues, thèse centrale de l’ouvrage, il n’y en a pas non plus, sinon une lettre grotesque d’un certain Pierre Abraxas, présenté comme un parent d’élève authentique (mais est inconnu de Google et de l’annuaire téléphonique), qui porte curieusement le nom choisi par Jean-Paul Brighelli sur certains forums. Dans ce jeu particulièrement malhonnête où se bousculent clins d’œil aux rares initiés (témoins complices par leur silence) et leurres pour lecteurs/clients crédules, le « parent d’apprenant » virtuel, qui se dit admirateur de Meirieu, insulte copieusement l’auteur du livre et compose une longue prose « pédagogiste » qui colle si bien aux fantasmes de Brighelli (et si mal aux écrits des pédagogues prétendument pastichés) que son exploitation comme (unique) preuve à l’appui des grossièretés proférées tout au long des 230 pages invalide l’ensemble de celles-ci. L’attribution délibérée d’un texte apocryphe à ses ennemis pour les discréditer n’est pas une méthode nouvelle, mais il faut manquer singulièrement de fierté pour oser prendre le risque d’être placé dans le cortège de ceux qui l’ont tenté…

Le volume n’ouvre enfin aucune piste pour résoudre les problèmes sur lesquels il se lamente longuement. La quatrième de couverture annonce pourtant, marketing oblige, qu’« au-delà du constat accablé, [il s’agit d’]un livre de propositions ». La promesse en avait déjà été faite, en 2006, et de la même façon, pour À bonne école, pamphlet de la même eau qui, en fait de propositions concrètes, ne suggérait guère que de réduire l’école maternelle à sa dernière année, idée que l’auteur avait eu l’honnêteté, dans un ouvrage postérieur, de reconnaître comme une « grosse bêtise ». Cette fois, l’appel à une « réforme radicale » (p. 51) se résume à un hommage rendu aux « internats d’excellence », au modèle des classes préparatoires, ou encore à l’idée de détruire les ZEP et de les reconstruire ailleurs (p. 87), un peu comme Alphonse Allais voulait construire les villes à la campagne. Non, la seule partie vraiment propositionnelle du texte, c’est la présentation, en quatre pages, du projet scolaire du Front national.

Que ce type de pamphlets, toujours aussi grossiers, parviennent invariablement à faire des succès de librairie, est consternant, c’est un fait. Mais pour celui qui trouve l’énergie de dépasser le premier réflexe d’exaspération pour prendre un peu de recul, la facilité avec laquelle tant de lecteurs en arrivent à dépenser 16 euros pour cautionner de telles inepties nous dit aussi quelque chose sur le désespoir qui règne autour de notre école.

Yann Forestier, enseignant en lycée et membre du conseil d’administration du CRAP
(sur la photo qui accompagne l’article, c’est lui et non Brighelli!)

(1) Notamment À bonne école (2006), Une école sous influence (2006), Fin de récré (2008), Tireurs d’élite (2010)… tous publiés chez Jean-Claude Gawsewitch.