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Hélène Devynck : « L’école répercute les évolutions de la société »

Hélène Devinck © Bénédicte Roscot

Hélène Devinck © Bénédicte Roscot

Hélène Devinck, © Bénédicte Roscot

L’autrice et journaliste fait partie des femmes qui accusent Patrick Poivre d’Arvor de viol, d’agressions ou de harcèlement sexuels. De son combat personnel, Hélène Devynck a fait un engagement contre le sexisme et tous les prédateurs sexuels. Nous avons parlé avec elle du rôle que l’école peut jouer dans ce combat.
Quel souvenir gardez-vous de l’école ?

Je viens d’un milieu exactement formaté pour l’école, avec des parents universitaires et scientifiques. L’école était un prolongement de la maison, il n’y avait pas de différences culturelles.

J’étais à l’école au temps de la réforme Haby, qui essayait d’introduire les maths modernes, je me souviens que c’était très critiqué, on disait – déjà ! – que les enfants n’apprenaient plus rien.

L’excellence, c’était la science, le bac C, alors que ce que j’aimais, c’était le français, l’histoire et la philosophie. Il y avait une surévaluation des matières scientifiques. J’ai donc fait des études scientifiques, mais les sciences ne m’ont pas tellement servi dans la vie, finalement.

Il y avait du sexisme, déjà, bien sûr, mais il prenait des formes que je ne repérais pas. L’occupation de la cour était en fait la même qu’aujourd’hui, par exemple, mais j’étais dans l’illusion que la réussite dépendait du mérite – même si je vois aujourd’hui que c’était beaucoup plus une reproduction sociale qu’un mérite individuel. Et quoi qu’il en soit, mon entrée dans le monde du travail a fracassé cette illusion. J’ai découvert alors la vraie misogynie. Je ne l’ai pas compris au début, ça a été un choc très violent, parce qu’à l’école et à l’université, les notes ne dépendaient à priori pas de notre genre.

Mais en fait, je suis assez reconnaissante à l’école. J’ai eu des professeurs ouvertement communistes qui ont élargi mon regard sur le monde.

Est-ce que l’école a changé depuis ?

Je vois ce qui a changé et ce qui n’a pas changé avec mes enfants et lors de mes interventions dans des classes.

Le féminisme est devenu un matériau scolaire, Olympe de Gouges est étudiée par tous. À mon époque, on n’étudiait que des hommes en littérature et en philosophie, sans s’en rendre compte. Aujourd’hui ça change, et c’est dit.

Autre changement : les vertus de la punition ne sont plus unanimement acceptées. Ma fille a eu une prof d’allemand particulièrement revêche. Dans ce lycée, tous les ans, les élèves protestent, la direction répond qu’elle ne peut rien faire mais que l’enseignante en question est bientôt à la retraite ; on ne leur dit plus « c’est de votre faute », la carotte et le bâton n’est plus la philosophie majoritaire. Même s’il existe encore des excès comme à Betharram et ailleurs. L’idée qu’il faut humilier les enfants, même pas en les animalisant mais en les « végétalisant », en les comparant à de la mauvaise graine, en parlant de les redresser, cela vient de loin mais ça n’a jamais donné de résultats. En revanche, c’est efficace pour reproduire un système de domination : « c’est pour ton bien »…

Ce qui ne change pas, c’est que l’école est toujours un mode de reproduction sociale, où selon le milieu dans lequel on grandit, on n’a pas le même destin, les mêmes chances. L’inégalité est aussi dans le regard que l’on porte sur les gamins, sur ce qu’ils « valent ».

Est-ce que l’école vous semble une alliée pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles ?

Le fait que les heures d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) obligatoires ne soient pas dispensées est un grave problème. À contrario, il y a une influence démente de la pornographie sur les jeunes à travers les téléphones portables. J’ai participé à un livre collectif, Sous nos regards1, fait de récits de vie de plaignantes de l’affaire de la plateforme pornographique French Bukkake. Pour moi, il est très clair que la pornographie est une guerre contre les femmes. On y apprend que la jouissance vient de l’écrasement et de la souffrance des femmes. Ça empire depuis les années 2010 avec les grandes plateformes pornographiques, ce qu’on y voit est atroce. Le mépris des femmes dans la pornographie a un effet sur le réel. C’est massif et c’est beaucoup plus puissant que l’Éducation nationale.

Il y a deux mouvements parallèles : l’éveil au féminisme et une volonté d’égalité qui avance en même temps qu’une violence démultipliée contre les femmes. Je pense que ça effraie les adolescents et les jeunes adultes. Il y a des études qui disent que jeunes font moins l’amour. La vision que donne la pornographie de la sexualité n’est pas celle d’une activité joyeuse, ça devient terrifiant pour les deux sexes.

Comme on le voit dans Récréations, le film de Claire Denis, la cour de récréation est une microsociété, où les filles apprennent le care, et les garçons apprennent à mépriser ceux qui pleurent, se préoccupent des autres. Ce sont les filles qui prennent en charge les sentiments. Et puis, quand les garçons deviennent adultes, on leur explique qu’il va falloir vivre avec une femme et aimer en elle ce qu’on leur a précisément appris à trouver nul. Comme ils n’y arrivent pas, ils deviennent violents, d’autant plus qu’on leur a justement appris à être violents quand quelque chose ne va pas.

Comment va-t-on pouvoir avancer, alors ?

On peut pas demander à l’école d’être le baume réparateur de la société, elle est le reflet de la société et nous sommes tous, à notre corps défendant, des reproducteurs de cette société.

Mais on voit que les violences faites aux élèves sont de moins en moins acceptées. Pouvoir les dénoncer, c’est déjà énorme, alors que c’était la norme il y a pas si longtemps. Jusque dans les années 50, on servait de l’alcool aux enfants à la cantine, puis on en a moins consommé dans la société en général et il n’y en a plus eu dans les cantines. L’école encaisse et répercute les évolutions de la société, cherche une voie.

On avance très lentement. Les changements se font sur plusieurs générations, et sont toujours fragiles, parce que la tentation de revenir à la loi du plus fort est permanente. J’ai grandi dans l’idée du progrès, persuadée qu’on allait toujours vers le mieux. C’est comme ça qu’on a détruit le climat et la planète. Il n’y a pas non plus de progrès social immuable, on peut revenir en arrière très vite, on le voit bien aujourd’hui, particulièrement aux États-Unis.

Mais c’est à nous, adultes, de changer le monde, on ne peut pas leur demander ça à 14 ou 16 ans.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Sur notre librairie

Couverture du n° 599 : « Hétérogénéité : oui, mais comment ? »

 


Notes
  1. Éditions du Seuil, avril 2025.