Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

Formation à la variété des techniques d’évaluation

C’est un jeune quasi centenaire dont la pensée pédagogique a irrigué l’école… André de Peretti, poète et scientifique, ingénieur et dramaturge, écrivain et professeur, parlementaire et diplomate, psychosociologue et « formateur de formateurs », internationalement reconnu : un homme aux multiples savoirs. André de Peretti, né en 1916, est diplômé de l’École polytechnique et docteur ès lettres et sciences humaines. Après avoir occupé de hautes fonctions politiques et administratives, il est choisi en 1981 par Alain Savary pour présider la commission ministérielle sur la formation des personnels de l’Éducation nationale.
Il contribue de manière décisive à la conception de la formation des enseignants qu’il veut moins rigide, plus « active », plus « participative », plus attentive à l’individu et plus variée. Voici un article de 1987, qui est comme un méta-dispositif de formation à l’évaluation : tout ce qu’il est possible d’imaginer pour construire des stages est ici répertorié dans un style foisonnant d’idées et de propositions.

A. Objectifs
  1. Aider les participants à différencier et clarifier les différents concepts ou les opérations qui se relient aux processus d’évaluation (appréciation, mesure, notation, classement, orientation, sélection, certification, etc.). Présenter par le fait la pluralité des grandes formes d’évaluation (formative, sommative, critériée, diagnostique, pronostique, etc.).
  2. Donner connaissance de certains résultats des recherches de docimologie et/ou faire expérimenter le bien-fondé par des exercices, en vue de relativiser les tendances rigides de notation ou d’appréciation.
  3. Entraîner à une grande variété de processus et d’instruments d’évaluation (notamment formative) pour enrichir l’expérience de chaque enseignant ou formateur.
  4. Exercer à situer et profiler des pratiques d’évaluation en relation avec la clarification d’objectifs disciplinaires, généraux et spécifiques et d’attitudes ou d’intentions pédagogiques et éducation.
B. Durée

De deux à quatre jours pour des enseignants ; de cinq à dix jours pour des formateurs ; en une ou plusieurs sessions ; en prévoyant des stages de rappel pour un bilan des attitudes et du matériel mis à l’épreuve, ainsi que pour le renouvellement de ce matériel et des projets d’application.

C. Méthodes possibles

Il va de soi que les diverses possibilités que nous détaillons ci-après ne pourront toutes être mises en œuvre dans la durée d’un seul stage. Des choix devront être faits par les formateurs, seuls ou en coopération avec le groupe des participants. Chaque journée de stage pourra comporter :

  • de une à deux procédures d’accueil et de présentation,
  • de un à deux exposés théoriques (direct(s) ou par voie audiovisuelle),
  • de deux à quatre exercices d’expérimentation,
  • de un à deux moments d’évaluation du parcours accompli.

Sur l’ensemble du stage, une demi-journée (ou une journée pleine) sera consacrée à la réflexion personnelle sur les projets d’application.

1. Mises en commun d’expériences d’évaluation

Ces mises en commun pourront s’effectuer par diverses techniques de groupe (3), notamment :

  • les échanges informels d’expériences,
  • la technique des « minicas »,
  • l’étude de « cas »,
  • des mises en « situation »,
  • le « groupe d’approfondissement professionnel »,
  • le jeux de « rôles ».

Ces mises en commun et ces techniques pourront être afférentes à des situations de :

  • correction de copies,
  • rédaction de bulletins trimestriels,
  • conseils de classe,
  • entretien d’orientation,
  • examen « blanc » ou « réel »,
  • inspection,
  • bilan d’un enseignement ou d’un stage,
  • séances de concertation entre enseignants.

Elles pourront procéder à partir de données matérielles :

  • explicitées par les participants au cours du stage,
  • empruntées à des ouvrages,
  • préparées à l’avance par les formateurs,
  • apportées par les participants (sur invitation, au moment des convocations au stage).

2. Exposés théoriques

Ces exposés devront correspondre aux objectifs d’information sur l’état actuel des recherches et travaux concernant l’évaluation. Ils pourront porter par la suite, distinctivement ou globalement sur :

  • Le concept d’évaluation et les concepts associés (notation, sélection, orientation, etc.).
  • Les diverses formes d’évaluation (formative, sommative, critériée…).
  • Les études de docimologie (de Piéron à Noizet et Caverni).
  • Les objectifs de l’évaluation (communication, codage, contrôle d’acquisition, vérification de transfert, etc.).
  • Les acteurs de l’évaluation (l’enseigné ou « l’apprenant » ; l’enseignant ; le groupe ou la classe ; le corps enseignant ; les familles, l’institution éducative ; les milieux professionnels et sociaux).
  • Les variables d’observation et de mesure (la réception des connaissances ; leurs mémorisations ; les savoir-faire ; les méthodes assimilées ; les transferts d’acquisitions ; les relations interpersonnelles ; le développement des personnes ; élèves ou enseignants ; la préparation d’un cours ; la conduite d’un cours ; l’ambiance d’un cours, etc.).
  • Les structures différenciées d’évaluation (en processus et en outillage) nous les détaillons ci-dessous.
  • Les commentaires à quelques ouvrages, sur présentation d’une bibliographie pratique.

Les exposés pourront s’effectuer :

  • de façon expositive,
  • en exposé-discussion,
  • par explication d’un texte, extrait d’un document théorique,
  • par échanges à propos d’un enregistrement, d’un film ou de tout document audiovisuel portant, directement ou non, sur des problèmes et des procédures d’évaluation,
  • comme préface ou comme compléments théoriques à des exercices.

3. Exercices d’expérimentation

Les exercices ont pour objet de faire éprouver l’intérêt, la consistance et la mise en pratique d’instruments et de processus possédant des structures différentes. Ces structures peuvent utiliser la médiation : de documents écrits, d’expressions graphiques sur tableau, des matériels à classer, ou de situations auxquelles réagir, d’échanges oraux enfin de supports projectifs.

Il est utile de faire expérimenter des formes de structures variées et qui peuvent être modulées en « auto-évaluation », « co-évaluation », « évaluation par expert », « évaluation globale », entre autres. Le choix pourra se porter, en ces conditions, sur les formes.

a) Par documents écrits

  • Des inventaires ou check-lists se rapportant à :
    • l’analyse des acteurs et variables de l’évaluation,
    • l’évaluation des intérêts pour une discipline ou un élément de formation déterminés,
    • l’acquisition de connaissances (en terminologie : en concepts, en séquences de théories, méthodologiques),
    • la vérification d’opérations accomplies ou à accomplir,
    • l’appréciation d’un climat de relation ou de travail,
    • l’atteinte d’objectifs désignés.
  • Des questionnaires à questions (soit fermées, soit ouvertes, soit mixtes, soit à choix multiples, etc.) et portant :
    • la mémorisation de savoirs (vocabulaire et codes, règles et lois ; processus et méthodes),
    • l’exploration de savoir-faire exercés durant le cours (ou la formation),
    • l’analyse de relations interpersonnelles ou de groupe,
    • la description d’attitudes et de comportements personnels d’apprentissage.
  • Des tests avec des « phrases à trous » demandant à être remplies pour :
    • vérification d’acquisition de terminologies,
    • mesure de compréhension de concepts,
    • application de règles et de procédures.
  • Des tests de composition ou de synthèse.

b) Par expression au tableau comportant

  • Des graphiques :
    • à graduation (thermomètres ; « roues » ; « cibles » ; « moulins à vent », etc.),
    • ou à marquage (marguerites ou autres fleurs à pétales ; carrés ou triangles ; figures avec des zones d’attribution, etc.), permettant à chaque individu de se situer, en corrélation avec les autres entre termes (ou « taux »),
    • d’intérêt porté,
    • d’utilité reconnue,
    • d’acquisition confirmée,
    • d’application envisagée,
    • de niveaux atteints.
  • Des réactions par rapport à :
    • des éléments théoriques exposés,
    • des techniques ou procédures expérimentées,
    • un travail de groupe,
    • une ambiance relationnelle,
    • l’approfondissement personnel.

c) Par des matériaux à classer ou répertorier

Des « Q-sorts » (pour simplifier, « sort », tri ; « Q » = qualité ou question ; donc Q-sort peut signifier tri de qualités ou tri de questions).

Un nombre déterminé (de 10 à 60 ou plus) d’assertions (propositions de définitions, de qualifications, d’objectifs, d’interrogations ou d’opinions) sont proposés à chaque individu sous la forme d’un jeu de fiches – celles-ci doivent être classées en ordre hiérarchique de préférence ou d’importance.

Cet ordre peut être établi soit pour soi-même, soit pour un soi idéal, soit pour l’hypothèse d’un individu moyen – soit pour deux ou trois des sujets.

Le tri peut être produit une fois ou à plusieurs moments distincts.

Les Q-sorts peuvent se rapporter à :

  • des concepts (l’éducation, l’autorité, la responsabilité),
  • des fonctions (rôle de professeur principal, de délégué-élève, de chef d’établissement, etc.),
  • des opérations thèmes.

d) Par des échanges oraux

  • Des situations auxquelles réagir

Il s’agit de catalogues répertoriant des situations difficiles ou critiques, pour chacune desquelles un nombre déterminé de solutions est proposé. Chaque individu doit renforcer sa préférence pour telle ou telle solution. Les solutions appartiennent en quantités égales, à des catégories opératoires qui sont présentées après coup aux individus ; la fréquence plus ou moins grande des solutions appartenant à telles catégories peut alors renseigner chacun d’eux sur ses tendances plus ou moins instinctives ou conditionnées.

La réaction individuelle peut être parfois demandée sous forme de réponses écrites à la situation, et la nature de cette réponse peut donner lieu à une caractérisation.

Les situations peuvent être établies comme des éléments d’un processus d’enseignement ou de stage et leur appréciation peut donner lieu à une auto-évaluation ainsi qu’à l’évaluation d’autres membres de la classe ou du groupe, mais tirés au sort (technique du professeur Misumi).

  • Les consultations

Celles-ci s’effectuent par une suite de rapports subjectifs, d’entretiens ou d’interviews. Les personnes interrogées ou intervieweurs peuvent être soit des élèves (ou des participants) soit les professeurs ou formateurs eux-mêmes). Il peut s’agir d’un échantillon de personnes ou de toutes).

La consultation peut s’effectuer :

  • en « rapport subjectif » présenté par un participant devant le groupe,
  • en entretiens sur place (par technique ou « voisinage »),
  • en interviews individuelles isolées,
  • en interviews de sous-groupes isolés,
  • en interviews (individuelles ou de sous-groupes) devant tout le groupe,
  • en vidéo directe d’une interview (individuelle ou de sous-groupe),
  • en vidéo différée (idem),
  • en mixte d’interviews individuelles et d’interviews de sous-groupes,
  • en ricochet d’entretiens de sous-groupes sur des interviews écoutées ou observées,
  • en échange de messages écrits et de commentaires à ces messages.

e) Par des supports projectifs

Il s’agit de matériels inspirés par les techniques projectives en psychologie (mais utilisés sans aucun décryptage de symbolismes inhérents aux personnalités des participants).

Les supports peuvent être :

  • des phrases à compléter,
  • des jeux de photos (type photolangage),
  • des dessins à bulles avec des bulles vides à remplir,
  • des cubes ou des jeux de construction (le village permettant de fabriquer des structures significatives d’une situation (d’apprentissage ou d’application),
  • des feuilles de dessin et du matériel de dessin ou peinture,
  • des taches de couleurs (de formes variées) entre lesquelles choisir pour connoter une situation d’apprentissage vécue en expliquant son choix,
  • des phrases à méditer avant de formuler une auto-appréciation.

Ces supports peuvent permettre d’évaluer :

  • une situation globale d’acquisition (des concepts, de méthodes),
  • des facteurs d’ambiance et de relations,
  • une impression sur son développement personnel,
  • des probabilités d’application,
  • des marques d’intérêt ou de désapprobation,
  • une situation de satisfaction ou d’inquiétude,
  • la motivation pour un thème, une matière, un exercice, ou une technique déterminée.
D. Intégration et réflexions

Certaines des modalités d’évaluation seront, bien entendu, expérimentées comme applicatives à l’évaluation même du stage sur l’évaluation dans ses diverses séquences.

L’une des formes de cette évaluation résidera dans la réflexion sur la volonté d’application des instruments et des processus expérimentés durant le stage, pour chaque personne. Il importera de soutenir les efforts de transformation et d’adaptation des matériels fournis en vue de stimuler la créativité des participants et leur coopération.

(Cahiers pédagogiques, n° 256, « L’évaluation », septembre 1987)

André de Peretti