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Faut-il noter les élèves ?

De nombreuses recherches, notamment sur la motivation, montrent qu’il faut distinguer au moins deux grandes catégories d’évaluation :
– l’évaluation contrôlante, ou normative,
– l’évaluation informative.
Leurs mécanismes et leurs effets sont divergents quand on utilise la note. Et les résultats scolaires pour ces deux types d’évaluation dépendent encore du climat de la classe et de l’établissement, comme nous le montre ici Alain Lieury, chercheur en psychologie cognitive, dans les extraits de deux de ses articles.

Des expériences, par la suite, ont montré que les compliments et les réprimandes, classiquement utilisés à l’école, agissent bien selon la loi du renforcement.

En atteste cette expérience de Hurlock, en 1925, au cours de laquelle des filles du CM1 à la 6e devaient résoudre le plus de problèmes possibles en quinze minutes, lors d’une séance journalière cinq fois dans la semaine.

L’expérience de Hurlock : « Faites-les réussir très tôt ! »
  • Dans le groupe « réprimande », chaque élève était réprimandée sans tenir compte des vrais résultats, en la faisant se lever face à la classe.
  • Dans le groupe « compliment », chaque élève recevait cette fois des compliments quel que soit le résultat réel.
  • Dans la même classe, les autres élèves constituaient le groupe « ignoré ».
  • Enfin, le groupe « contrôle » travaillait dans une autre classe sans indications.

On a constaté que le groupe complimenté se perfectionnait avec rapidité, atteignant une vingtaine de problèmes résolus au bout des cinq jours d’entraînement, à l’inverse de tous les autres groupes qui plafonnèrent aux environs de douze problèmes.

L’évaluation contrôlante donne une valeur positive ou négative à l’individu, par rapport à une norme ou en comparaison avec les autres. Ainsi, dans cette expérience, on ne dit rien aux élèves « ignorés » qui pourtant se comportent comme des élèves réprimandés.

Les médailles en sport sont un bon exemple d’évaluation contrôlante : on voit en effet des athlètes rager ou pleurer de n’avoir que la médaille d’argent ou de bronze, alors qu’ils sont les meilleurs au niveau mondial !

L’expérience de Bandura : « Je veux connaître mon niveau ! »

L’évaluation informative donne à l’évalué des informations sur le niveau de sa performance, comme en sport ou dans les jeux vidéos. Une expérience de Bandura et de son équipe, en 1983, montre de façon spectaculaire l’impact de la connaissance de son niveau à un moment T, dans un parcours.

Des étudiants doivent s’entraîner à soulever des haltères, sous le prétexte de mettre au point des exercices d’aérobic. Trois groupes sont planifiés :

  • Premier groupe, ils sont informés seulement du but à atteindre : les étudiants doivent soulever à chaque séance 40 % de plus qu’à leur essai précédent. Par exemple, à un étudiant qui soulevait à son premier essai 100 kg, il est dit devoir se donner pour but d’atteindre 140 kg.
  • Deuxième groupe, ils sont informés seulement du score fait : on dit à chaque étudiant qu’il a fait tel ou tel score en kilo. En fait ce chiffre est inventé (!), mais correspond pour tous les participants à une progression fictive de 24 %. Cela correspondrait à 124 kg dans l’exemple du premier groupe.
  • Troisième groupe, ils sont informés du but et du score : on donne le but (+ 40 %) et le score.

Les résultats montrent que par rapport à un groupe contrôle (qui s’entraîne sans consigne), seul le groupe ayant un but spécifique et le feedback (l’évaluation) progresse. Et il progresse de façon fulgurante, puisque les étudiants de ce groupe augmentent leur performance initiale de 60 % (initialement ce sont des étudiants non spécialistes de ce sport).

Il faut donc connaître le score de sa performance pour progresser. Comment en effet sauter à la perche ou courir un cent mètres si on ne connaît pas son score ? Comment s’améliorer en orthographe ou en maths, sans connaître le nombre et la nature de ses erreurs ?

Cela dit, il ne faut pas confondre évaluation informative et notes. En dictée par exemple, le nombre et la nature des fautes doivent être signalés, mais on n’est pas obligé de retrancher de 20 les points correspondant aux fautes. Dans ce dernier cas, l’évaluation est contrôlante, puisque l’élève peut atteindre la note zéro. Une manière de lui dire : « Tu es nul » !

L’évaluation et les deux types de motivation

L’idée de supprimer les notes a pour origine l’intuition que d’enlever des contraintes à l’élève est bénéfique à la motivation. Mais les recherches montrent que selon le type d’évaluation, on peut s’attendre à des résultats différents.

Dans la théorie de Deci et Ryan, la motivation n’est pas unique.

La motivation intrinsèque est l’intérêt que l’on porte à la tâche pour elle-même, c’est la curiosité, le plaisir de réaliser l’activité en soi. Cette motivation correspond à celle du jeu, et l’enfant peut y passer des heures.

La motivation extrinsèque correspond à la loi du renforcement. L’élève ou l’individu ne réalise une activité que pour obtenir une récompense ou pour éviter des sanctions.

Selon cette théorie, on peut s’attendre à ce que la suppression des notes enlève de la contrainte et améliore la motivation, intrinsèque ou extrinsèque. Mais cette prédiction est surtout valable pour l’évaluation contrôlante.

Dans la théorie de Bandura, théorie très utilisée en éducation, le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) est le fait de croire en notre capacité à réaliser une tâche spécifique. Le sentiment d’efficacité personnelle est renforcé par la réussite dans une activité. Plus un individu vivra un succès lors de l’expérimentation d’un comportement donné, plus il sera amené à croire en ses capacités personnelles pour accomplir le comportement demandé. Le succès, lorsqu’il n’est pas trop facile, renforce la croyance en l’efficacité personnelle alors que les échecs réduisent ce sentiment. L’individu ou l’élève a donc besoin d’un feedback positif, d’un score, pour augmenter son sentiment d’efficacité. Si le feedback est négatif, sa motivation diminue.

Dans cette théorie, la note informative est nécessaire au sentiment d’efficacité personnelle. On devrait trouver que l’absence de notes a donc un effet négatif, au moins pour le sentiment d’efficacité personnelle.

Mais qu’en est-il réellement ?

Une expérience dans un collège

Forts de cette conclusion faisant apparaître certains ressorts positifs ou négatifs de la note selon son contexte, nous avons voulu préciser cette théorie lors d’une expérience grandeur nature dans un collège.

La direction et quelques professeurs avaient décidé de réaliser une expérience pilote, afin de voir si l’absence des notes était favorable aux élèves, et m’avaient demandé d’opérationnaliser leur questionnement et de réaliser les statistiques nécessaires.

Pour ce faire, les élèves ont rempli un questionnaire de motivation et de sentiment d’efficacité personnelle (SEP) que j’avais développé avec d’autres collègues.

L’expérience pilote portait sur soixante-dix élèves de 6e, une classe avec notes et deux classes sans notes.

Les résultats montrent que les élèves sont globalement bien motivés dans ce collège, puisque 84 % sont animés par des motivations positives dont près de la moitié en motivation intrinsèque, ce qui est bien représentatif de la moyenne nationale, comme l’a montré une enquête de la Depp (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) en 2003, en 6e.

Lorsqu’on sépare les scores des motivations selon les classes, « avec » ou « sans notes », on constate d’une façon générale que les résultats sont plutôt en faveur des notes en classe :

 

Ainsi, pour les deux motivations positives, intrinsèque et extrinsèque, les élèves de la classe traditionnelle « avec notes » ont des scores légèrement supérieurs. Comme prévu par la théorie de Bandura et la nôtre, le sentiment d’efficacité personnelle (ou compétence perçue) est meilleur pour les élèves de la classe avec notes.

À l’opposé, les classes sans notes ont un score plus élevé dans les motivations négatives, c’est-à-dire que leurs élèves ont plus tendance à exprimer une a-motivation et un désir de fuite de l’école (Figure 4) sans expression de rébellion.

Le climat produit par les professeurs de ce collège est probablement positif et les élèves ne ressentent pas les notes comme une évaluation normative ou contrôlante, mais pour ce qu’elles doivent être, informatives, comme le résultat en sport ou le score dans un jeu vidéo. Dans ce contexte (informatif), les résultats montrent que les notes scolaires sont associées à des scores motivationnels positifs, au moins à ce niveau de la 6e de collège. Mais il est possible que dans des collèges avec de nombreux élèves en difficulté ou dans des établissements avec une ambiance de compétition ou de contrôle, les résultats soient différents ; d’autres expériences seront donc utiles.

Mais toutes les expériences et théories que j’ai citées convergent pour dire que l’évaluation informative est nécessaire pour la construction de l’estime de soi scolaire des élèves.

Pour conclure, il faut rappeler que le fait que les notes apparaissent comme informatives dépend du contexte scolaire, du climat de la classe. Le climat peut être contrôlant ou compétitif à cause de quelques professeurs élitistes : nous avons tous connu des professeurs sévères ou humiliants : « tu n’arriveras à rien », « votre place n’est pas ici ». Dans ce climat, l’évaluation sera particulièrement mal ressentie. Mais en elles-mêmes, les notes ne sont que des nombres, elles n’y sont pour rien !

(Cahiers pédagogiques, n° 515, « Vers l’école du socle commun », septembre-octobre 2014, et n° 516, « Devenir lecteur », novembre 2014)

Alain Lieury
Professeur de psychologie cognitive, université européenne de Bretagne (Rennes 2)

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