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Expérimenter le respect à travers l’écocitoyenneté

À travers un projet de plantation au sein d’un établissement, des lycéens expérimentent les notions de communauté éducative et de respect. Respect des personnels techniques, de leurs compétences, de leurs besoins et de leurs contraintes, et, respect aussi du travail réalisé.

Le « respect » ou « respecter », ce sont des mots que j’ai souvent utilisés en tant que professeur. Et très souvent je me suis questionné pour que les élèves l’expérimentent. Au-delà de l’enseignement qui en est fait en EMC (enseignement moral et civique), il apparait que ce concept transversal peut être vécu dans toutes sortes de contextes. Par exemple dans les démarches de projets en SVT (sciences de la vie et de la Terre).

Il y a quelques années, je menais un travail avec les élèves de 2de autour de l’arbre et du reboisement du lycée. Au cours de ce projet, les élèves ont été amenés à réfléchir à la plantation de trente-six arbres dans l’enceinte du lycée et à en choisir l’emplacement. La réflexion menée par les élèves a suscité un échange extrêmement riche. En effet, lorsque je leur ai annoncé qu’ils devraient présenter leurs propositions de répartition des plants dans le lycée aux personnels techniques du lycée, ceci a fait émerger des questions telles que : « Est-ce que planter un arbre à cet endroit va modifier les conditions de travail des personnels techniques ? », « Quel est l’espace nécessaire aux agents pour qu’ils puissent utiliser leurs outils sans être gênés dans leurs tâches sur les espaces verts ? », « Quelle taille vont faire ces arbres à maturité ? », etc.

Creuser

Concrètement, ces moments de concertation ont permis de planter des cèdres à des endroits éloignés des murs extérieurs et des infrastructures afin d’éviter de les dégrader dans le futur. Et cela a permis de planter d’autres arbres à des endroits qui ne gênaient pas le passage de la tondeuse. Saisir cette occasion fut un grand plaisir car je tenais une illustration concrète de ce que le respect peut générer sur l’attitude vis-à-vis d’autrui et sur la manière dont on considère l’autre. Respecter, c’est fondamentalement une façon de reconnaitre les autres, leurs fonctions, leurs contraintes professionnelles.

Lors de la phase opérationnelle, une intervention des personnels techniques s’est avérée primordiale. Les élèves avaient dans un premier temps fait appel à eux en leur demandant des outils pour creuser manuellement les trous qui devaient accueillir les arbres. La décision appartenait au groupe classe. Mais, après avoir creusé le premier trou, les élèves ont compris que la tâche serait très longue. Ils ont alors pris l’initiative de solliciter les personnels. Là encore, les échanges se sont avérés particulièrement intéressants. De nombreux élèves ont pris conscience que l’aboutissement d’un projet passe souvent par sa présentation aux membres de la communauté éducative, et qu’un problème peut être surmonté plus facilement s’il est traité collectivement et si l’on connait les domaines de compétence de chacun, et plus simplement si l’on connait les acteurs de son établissement.

Dans cette situation, les personnels ne sont pas restés de simples pourvoyeurs d’outils, ils sont devenus des accompagnants et des conseillers. L’échange avec eux a permis de faire aboutir la location d’une tarière motorisée afin d’automatiser le creusement des trous, accélérant ainsi la plantation des arbres. La reconnaissance de la compétence s’est faite par l’expérience sur le terrain, et ceci représente une autre dimension du respect qui peut s’instaurer entre des élèves et les personnels.

Temps de rencontre

Cette séquence m’a fait prendre conscience de l’importance d’instaurer des temps de rencontre entre les élèves et les personnels, soit sur le temps de classe, soit lors de sorties sur le terrain. Cette démarche permet aux élèves d’expliciter des envies, des besoins, des nécessités qui vont se confronter à une autre réalité, celle des personnels techniques. Les échanges autour d’un projet, des problèmes qu’il génère, de la recherche de compromis entre adultes et élèves permettent de matérialiser la notion de communauté éducative. L’attachement vis-à-vis de l’établissement se trouve renouvelé à travers l’horizontalité des relations qui s’instaurent ainsi entre les élèves et adultes. Et pourquoi ne pas construire un organigramme à destination des élèves, afin qu’ils prennent conscience de la diversité des personnels d’un établissement et de leurs compétences ? C’est en connaissant l’autre, ses fonctions et en quoi il contribue à la vie de l’établissement que le respect peut aussi s’instaurer.

Dans un projet de cette nature, la communication s’avère essentielle. Les élèves ont activement communiqué sur le site du lycée et auprès des autres élèves afin de présenter le projet, l’expliquer et identifier les arbres nouvellement plantés. Ceci avait pour but d’instaurer encore une autre dimension du respect que porte un tel projet : le respect vis-à-vis de ce qui a été accompli. Le respect est alors vu comme l’attitude qui dispose quelqu’un à ne pas porter atteinte à une chose à laquelle on donne une valeur par ce qu’elle compte pour les autres, ou qui représente le travail d’autrui. Pour favoriser l’instauration de ce respect, l’explicitation est une clé essentielle. De plus, inciter au respect des arbres plantés participe à la construction du sentiment d’appartenance à l’établissement plus globalement. Le respect se construit plus facilement autour « d’objets » que l’on a mis en place soi-même ou qui l’ont été par des pairs. À posteriori, je me suis rendu compte que la pédagogie de projets se prête particulièrement bien à établir des relations entre les élèves et des personnels qui ne se croisent pas habituellement.

Renforcement des liens

Ce projet avait pour but d’engager les élèves dans une démarche écocitoyenne d’envergure. De fait, les élèves se sont engagés avec enthousiasme dans l’amélioration de leur cadre de vie lycéen, dans une démarche de développement durable. Mais en outre, par sa mise en œuvre, le projet s’est avéré particulièrement riche quant à la qualité de la relation humaine qui s’est développée avec les personnels techniques. Elle existait déjà avant, mais le projet l’a activée. Ces élèves de 2de ont conservé les années suivantes de très bonnes relations avec les personnels techniques. Au-delà du simple « bonjour » ce sont de nouvelles interactions qui ont été rendues possibles par le biais de ce projet.

Plus largement ce genre d’échange pratique favorise l’instauration de relations humaines de qualité et d’un climat scolaire paisible. Et finalement le projet a aussi généré chez les élèves, sans que cela ait été un objectif explicité au préalable, une réflexion sur le respect et sur la manière dont il se manifeste tant vis-à-vis des personnels que vis-à-vis de productions partagées dans l’établissement. L’idée n’est pas de systématiser la référence au respect ou d’expliciter en permanence ce que peut être le respect ou quelles formes il peut prendre. Le respect est avant tout positivité relationnelle, il se manifeste dans les gestes, les conduites, et se ressent émotionnellement. Nul besoin de grands mots.

Jonathan Faivre
Professeur de SVT et médiateur de ressources et services au Réseau Canopé