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Entre les barreaux, le souffle de la liberté pédagogique

Enseignante en histoire-géographie depuis vingt-cinq ans, elle a commencé à exercer en prison il y a vingt ans, à l’occasion de vacations de trois heures par semaine auprès d’adultes. Elle apprécie l’expérience et saisit l’opportunité d’un poste qui se libère pour venir y travailler à plein temps. Elle enseigne à Fleury-Mérogis par choix, car, dit-elle, « je me sens beaucoup plus utile qu’en lycée ou en collège classiques. Comme ils sont isolés de tout, pour eux, le fait de retourner à l’école leur permet de retrouver une estime de soi, une estime scolaire aussi. J’ai vraiment l’impression que je sers à quelque chose. La réciprocité est importante, c’est valorisant pour eux et pour moi. »

Ce choix, elle l’a fait en toute connaissance de cause et, par comparaison, alors qu’elle était lassée du collège. Son public est maintenant varié, composé de mineurs qui étudient pour le brevet des collèges ou suivent des cours de lycée professionnel ou général, et d’adultes de niveaux très différents avec des objectifs divers, de la préparation du DAEU (Diplôme d’accès aux études universitaires) à des cours post-universitaires.

Fleury-Mérogis est vaste, avec des bâtiments dédiés aux différents types de peines, selon leur durée, et un quartier spécifique pour les détenus médiatisés ou nécessitant une protection. Nathalie De Spirt intervient dans chacun d’entre eux, autant de contextes différents qui amènent des façons d’enseigner variées. Les groupes de mineurs sont composés de six élèves, les majeurs, eux, sont au nombre de quinze. Elle mesure l’utilité de son travail à la satisfaction exprimée par les apprenants. « Au collège, sur vingt-cinq élèves, cinq sont contents du cours. Là, il y a généralement un seul mécontent. » Certains sont de passage, comme les mineurs ou les adultes en courtes peines qui ne restent pas plus que deux mois. Les groupes sont alors mouvants, avec un turn over. « Là il y a un côté frustrant, car on entame quelque chose sans voir la suite. » Elle apprécie la variété de ce qu’elle enseigne.

Liberté pédagogique

Elle goûte surtout une liberté pédagogique qu’elle n’a pas trouvé ailleurs, une question de temps, selon elle. Elle suit les directives et les programmes tout en développant des projets autour de la Shoah et cette année de la cérémonie du 11 novembre. « Mon but c’est d’enseigner l’histoire-géographie en me servant de certains thèmes pour les faire réfléchir sur leurs préjugés, qu’ils retrouvent certaines valeurs qu’ils n’ont jamais eues ou qu’ils ont oubliées. »

Elle constate que ses élèves sont en prise avec l’antisémitisme, le négationnisme. Alors, elle choisit de les faire travailler dans le cadre du concours national de la Résistance et de la déportation ou du prix Annie et Charles Corrin pour l’enseignement de l’histoire de la Shoah, d’inscrire leur travail dans un projet qui amène une reconnaissance de l’extérieur. Elle les met en activité, orale, physique intellectuelle. Ils en oublient presque le thème, y réfléchissent en élaborant leur projet, en mettant de côté leurs a priori.

Abécédaire

Elle a fait explorer à des groupes l’idéologie nazie à travers le sport. Les élèves devaient créer un abécédaire en choisissant chacun un sportif juif pour constituer sa biographie et se rendre compte ainsi du processus génocidaire mis en place entre 1933 et 1945. Ils ont vu comment des sportifs juifs ont été exclus de l’équipe nationale allemande, comment quelques uns se sont exilés pour pouvoir continuer à participer à des compétitions. « Ils sont très sportifs, tiennent à leur physique. Pour eux, un juif n’est pas sportif. »

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L’an passé, l’abécédaire portait sur le langage nazi dans les camps de concentration. À chaque expression correspondait une signification, une résonance aussi côté déportés, pour voir quels comportements de soumission ou de résistance suscitaient le mot. La déclaration des Droits de l’Homme de 1948 était également décortiquée pour trouver quels articles correspondaient à le lutte contre le nazisme. Cette semaine, elle peaufine son projet de célébration du 11 novembre. Les élèves chanteront la Marseillaise devant les officiels, l’aboutissement d’un travail de recherche autour de la première guerre mondiale.

Recherche d’information sans Internet

Pour chaque thème, ils recherchent les informations dans les documents que l’enseignante a au préalable sélectionnés. En prison, l’accès à Internet est impossible, les sources sont essentiellement en version papier. « Je suis une fidèle du mémorial de la Shoah, j’ai suivi pas mal de formations et de séminaires. Je m’en sers pour la documentation en utilisant les notes que j’ai prises. » Le travail ensuite est libre, avec une dynamique qui se créé à chaque fois. « Ils ont l’impression de créer le cours, c’est valorisant pour eux. » Des suggestions naissent, des demandes aussi d’autres documents. Il faut se conformer aux règles, au cahier des charges des concours, et là aussi c’est un apprentissage, celui de respecter un cadre.

La participation au concours et la confrontation à des projets menés par d’autres élèves hors milieu carcéral est une façon de leur accorder confiance dans leur valeur scolaire, de leur montrer qu’ils sont des apprenants comme les autres. La majorité d’entre eux sont des décrocheurs mais de plus en plus l’enseignante voit arriver des lycéens encore scolarisés. Ils retrouvent alors un terrain connu, rassurant celui de concours dont ils ont entendu parler. Les autres vivent là une occasion de reprendre pied et de se voir enfin scolairement reconnus.

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Créer des jeux

L’enseignante choisit les abécédaires pour le travail sur le vocabulaire, la maîtrise du langage qu’ils induisent. Elle passe également par le jeu après avoir remarqué que très peu sont familiers des jeux de société. Elle a ainsi organisé la création d’un jeu de l’oie sur la Libération et d’un jeu de cartes sur la libération des camps, une façon ludique d’apprendre l’histoire. « À la fin de l’atelier, on joue ensemble, on partage. Mes cours, mes projets servent à la fois la notion de partage et les valeurs humaines qu’ils ont perdues. »

Elle fait venir des victimes de la déportation comme Ida Grinspan ou Jacques Sorel pour témoigner de leur expérience. Avec les mineurs, il n’y a jamais de souci mais avec les publics adultes, la rencontre peut s’avérer difficile. « Une fois, Ida a fait face à des majeurs antisémites. Dans leurs questions, on voyait qu’ils doutaient de ses paroles. Ils voulaient voir ses tatouages. Elle a refusé, tenu jusqu’au bout, ça les a déstabilisés. »

Elle a du mal à évaluer la portée de ses projets, les changements de perception, les levées d’à priori qu’ils permettraient. Elle n’a pas de recul suffisant puisqu’elle n’enseigne auprès des détenus qu’un an maximum. Elle constate sur le moment les questionnements qui naissent, se déploient. Elle raconte qu’elle a eu des nouvelles d’un élève, qui, à sa sortie, a demandé à sa famille d’accueil de l’emmener voir le mémorial de la Shoah. Des majeurs viennent à ses cours par curiosité, parce qu’ils ont entendu parler d’elle, de ses projets qui vont souvent à contre-courant de leurs idées reçues, de leur antisémitisme né de leur interprétation du conflit israélo-palestinien. « Cela prouve que j’ai marqué mes élèves ou moins que je les ai dérangés. »

Difficile travail en équipe

Elle regrette le peu de travail en équipe, l’absence de temps pour se poser ensemble, car beaucoup d’enseignants sont vacataires, courent entre plusieurs postes. Il n’y a pas vraiment de lieu et les temps sont calés sur le rythme pénitentiaire. Elle a tout de même monté un projet sur l’esclavage et l’idée de race avec une collègue de sciences de la vie et de la Terre. Elles l’ont créé ensemble pendant les vacances. Les temps de rencontre sont rares aussi avec les éducateurs et tous ceux qui travaillent pour la réinsertion des jeunes.

La vie carcérale influe sur la motivation, sur la présence en cours. « Il y a plein de choses que l’on ne maîtrise pas, je ne suis jamais sure de ce qu’il va se passer. S’il y a eu du bruit la veille, des élèves ne vont pas venir en cours car ils sont trop fatigués. » D’autres seront privés de classe en punition d’une bagarre, d’une désobéissance. « Face au choc carcéral, il faut être attrayant pour dépasser le “à quoi ça sert”. Il y a plein de challenge, on n’est jamais dans la routine. Pédagogiquement parlant, c’est très intéressant. »

Et puis, grâce à la variété de ses publics, elle sait qu’après une matinée difficile ou passée à attendre des élèves qui ne viendront pas, elle aura, l’après-midi, les apprenants des quartiers spécifiques pour des cours universitaires. Alors, même si elle pressent qu’un jour la fatigue deviendra plus forte que le plaisir d’enseigner dans cette diversité, que la lassitude prendra le pas sur le sentiment d’utilité, elle sait que son choix était le bon. Ce jour là, la reconversion sera difficile pour elle dans un cadre classique. Elle regarde du côté des écoles de la deuxième chance ou pourquoi pas, pense à la création d’un lieu qui n’existe pas encore, là où les jeunes sortant de prison pourraient continuer à apprendre, poursuivre ce qu’ils ont commencé dans l’enceinte carcérale, devenir des élèves comme les autres.

Monique Royer

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