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Écopédagogie. Éduquer à la justice sociale et écologique. Une introduction

Irène Pereira, L’Harmattan, 2024

À l’heure de la plus en plus contestée « éducation au développement durable », le titre sonne comme une promesse pour celles et ceux qui souhaiteraient mettre en œuvre une éducation socio-écologique, selon une orientation et un vocabulaire renouvelés. Cet ouvrage attire donc l’attention.

L’intention d’Irène Pereira est très claire : proposer des orientations (des balises curriculaires) pour une didactique de la philosophie prenant en compte les controverses sociopolitiques en matière d’écologie.

Ancrée dans une approche sociale et politique, la thèse défendue est que l’écopédagogie est « le courant de recherche en éducation environnementale sociocritique le plus pertinent pour établir une didactique philosophique de l’éducation à la transition juste et équitable » (p. 13). D’autres approches éducatives, articulant immersion dans l’environnement et développement de l’écocitoyenneté, sont donc d’emblées exclues du propos. Ce n’est donc pas un ouvrage de synthèse sur les écopédagogies, mais sur ce que devrait être l’écopédagogie.

L’ouvrage est structuré en trois parties. La première justifie le choix de l’écopédagogie ; la deuxième propose un modèle d’éducation par les problèmes et les controverses ; la troisième est orientée vers une enquête fictionnelle aboutissant à la présentation d’une diversité de scénarios du futur.

L’autrice défend d’abord sa proposition en la positionnant par rapport à d’autres courants de recherche en éducation environnementale sociocritique, c’est-à-dire ceux qui incluent la remise en cause par l’éducation de la diversité de nos rapports sociaux à l’environnement. À titre d’exemple, le courant écoféministe situe la domination de la nature comme un prolongement de la domination patriarcale ; une éducation écoféministe aurait pour objectif de conscientiser ce continuum1.

Après avoir présenté plusieurs champs de recherche en éducation environnementale, plusieurs courants sociocritiques sont comparés. Sur la base de leurs finalités, l’autrice distingue trois grands courants éducatifs : les éco-humanistes, centrés sur la critique de l’hybris humaine, les éco-sociaux, basés sur l’étude des injustices sociales et environnementales, et les post-humanistes, visant à déconstruire le grand récit de l’humanité qui triomphe de la nature. Ces courants sont décrits par leurs apports et leurs limites en les personnalisant fortement, ce qui minimise l’important travail en réseau des formateurs et chercheurs francophones en éducation environnementale. Les recherches développées depuis les années 2000 et basées sur les questions socialement vives ou celles réalisées dans des contextes de lutte contre l’extractivisme sont absentes de l’ouvrage.

Exceptée l’écopédagogie considérée comme un courant éducatif éco-social, tous les autres courants identifiés par l’autrice sont écartés tour à tour, car jugés trop anthropocentrés, ou trop normés et développementalistes, ou invisibilisant la question sociale, en ne pointant pas assez la responsabilité du système capitaliste occidental.

L’intention est donc de proposer une alternative qui prend corps dans deux idées clés. L’une d’elle est d’ancrer l’écopédagogie dans le Capitalocène et non dans l’Anthropocène, car ce dernier ne distingue pas la responsabilité de certains groupes humains par rapport à d’autres dans les injustices et les dégradations environnementales2. L’autre idée importante est que le mouvement lancé par l’Institut Paulo Freire au Brésil, lors de la publication de sa charte de la Terre en 1999, permettrait de problématiser les inégalités socio-environnementales pour penser une action éducative collective et radicale, et changer les structures étatiques techno-capitalistes, sous la pression de l’action citoyenne.

En renommant « Charte de l’écopédagogie » la « Charte de la Terre dans la perspective de l’éducation », l’autrice en fait un axe fort sur lequel se basent les propositions développées dans l’ouvrage. Plusieurs articles de la Charte sont alors cités comme appui théorique : la Terre comme un organisme vivant et intelligent (articles 1 et 4), la prise en compte de la soutenabilité, c’est-à-dire d’un supposé équilibre entre environnement, société et économie (articles 2 et 3) ou encore la nécessité du développement d’une citoyenneté planétaire (article 4). L’autrice rappelle que ce projet écopédagogique vise la conscientisation critique des rapports d’injustice socio-environnementale, postulant que cette conscientisation, à l’échelle planétaire, sera source d’engagement collectif pour une transformation sociale altermondialiste.

Il serait trop long ici de procéder à une analyse critique approfondie de la Charte de la Terre, mais il nous semble que c’est l’écueil principal de l’ouvrage : se fonder sur un texte dont les référents épistémologiques amalgament la compréhension New Age de l’hypothèse Gaïa3 et la « formule » développement durable, critiquée antérieurement et à juste titre par l’autrice. Cela nous semble être la conséquence de la non prise en compte de travaux en histoire des technosciences et en éthique environnementale, la place des savoirs bio-écologiques étant par ailleurs globalement absente dans cet ouvrage.

Pour autant, la perspective étant philosophique, l’approche écopédagogique proposée est intéressante. En complétant les travaux (publiés en 2020 et 2023) de Greg Misiaszek sur l’écopédagogie, l’autrice propose une enquête sociale portant sur la crise écologique à partir de six questions ouvertes : « Qui souffre de la crise écologique ? », « Qui profite ? », « Qui doit faire des efforts ? », « Qui doit agir ? », « Quelles modes d’actions ? », « Quel projet de société ? ». Une des idées évoquées serait de partir des expériences et des opinions des élèves pour aborder ces questions afin de mener une éducation par les controverses, impliquante et transformatrice. Une aide sous forme de différents tableaux est présentée en annexe pour servir de guide pédagogique. Mais sans expérimentation, les problématiques de terrain, comme celles des postures enseignantes face à une classe dans laquelle on ferait vivre frontalement la conflictualité, ne sont pas questionnées.

Et pour cause, l’ouvrage se termine par une enquête fictionnelle sous forme d’entretiens philosophiques, qui aurait pour vocation de donner forme à l’écopédagogie en se basant sur la proposition de Penser le futur de Nicolas Hervé (Le Bord de l’eau, 2022). Dans cette troisième partie, plusieurs scénarios prennent ainsi corps, catégorisés selon la place centrale des technologies dans les systèmes économiques, sociaux et politiques. Parmi ceux-ci, on peut citer le technocapitalisme vert, l’écologisme social, le fascisme survivalisme, l’écoféminisme et le décolonialisme.

Cette typologie, finement sourcée, nous semble éclairante pour qui voudrait animer un débat sur la transition écologique en sciences humaines et sociales. Pour chaque scénario, l’autrice tente d’en déduire une implication pour les systèmes éducatifs, aboutissant à une critique centrale : un système éducatif piloté par un état centralisé soutenant le technocapitalisme ne permet pas de développer une éducation transformative.

Mais, en termes de transposition de l’écopédagogie dans les classes ou les amphithéâtres, le lecteur pédagogue restera probablement sur sa faim. De manière générale, rappelons ici la remarque de Lucie Sauvé à propos des sciences de l’éducation : elles ne doivent pas manquer d’être critiques envers elles-mêmes, et ne pas négliger d’expliciter l’action des éducateurs et des éducatrices ni leurs limites. En ce sens, cet ouvrage ne propose pas vraiment de praxis. L’écopédagogie y est présentée sous l’angle de son cadrage éthique, néanmoins tout à fait fondamental et original.

En somme, s’il ne s’agit donc pas d’un guide pédagogique pratique, contrairement à ce qui est annoncé dans la quatrième de couverture, l’ouvrage est une excellente entrée pour une éducation aux écologies politiques à travers la présentation de la diversité des positionnements et des arguments sources de controverses. Par une problématisation philosophique engagée, l’ouvrage armera les enseignants et formateurs de n’importe quelle discipline pour penser une éducation par les controverses économiques, techniques et politiques et imaginer un projet politico-pédagogique pour une transition écologique juste et équitable.

Benoit Urgelli et Aurélie Zwang

Notes
  1. Le masculinisme revendiqué par le pouvoir étatsunien en place depuis janvier 2025 donne une belle illustration de la pertinence de ce courant de pensée.
  2. Voir l’ouvrage de Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement anthropocène, réédité en 2016.
  3. Nous renvoyons à la lecture des travaux en histoire des sciences de Sébastien Dutreuil : Gaïa, Terre vivante (La Découverte, 2024).