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École + anxiété = écolanxiété
À l’heure où nombre de voyants sont au rouge dans le monde éducatif en France, est-il besoin de faire un catalogue de ce qui participe à l’anxiété par et sur l’école ? Une liste exhaustive n’est sans doute pas possible, mais prêtons-nous au jeu d’un inventaire à la Prévert : vétusté des locaux, manque de moyens, harcèlement, agressions, valse des directives politiques, manque de reconnaissance, formation des enseignants, inégalités scolaires, déclin de l’autorité, niveau en baisse des élèves, décrochage scolaire, baisse d’attractivité du métier, valse des ministres, sentiment d’efficacité personnel des élèves en berne, arrivée de l’IA, etc. Chacun complètera ce catalogue avec ses propres angoisses scolaires.
Tous ces éléments participent à nourrir ce phénomène sur lequel Nipédu a choisi de poser un nom : l’écolanxiété1. À l’évidence inspirée de l’écoanxiété, provoquée par les menaces environnementales qui pèsent sur la planète, l’écolanxiété charrie les heurts et malheurs de l’école. Les symptômes aussi2 : qu’ils soient affectifs (inquiétude, stress), cognitifs (ruminations), comportementaux (trouble du sommeil, pénibilité à travailler) ou conatifs (responsabilité personnelle ressentie envers l’école).
Car il en va de l’écosystème éducatif comme de l’environnement : il se porte d’autant plus mal qu’il est attaqué de toutes parts. De même que certains fantasment un retour à l’état de nature, d’autres mystifient un retour à une hypothétique école originelle, un temps où tout était… tellement mieux. Entre nostalgie, passéisme et déclinisme, le fil est mince. Et rien n’est plus simpliste que d’affirmer haut et fort – que le portevoix soit une revue, un plateau télé ou une antenne radio – c’était mieux avant que ce soit moins bien !
Elle fait florès, cette « nostalgie de fauteuil3 », ce sentiment mélancolique pour un passé idéalisé, romantisé à souhait, vécu depuis une confortable position d’inactivité et d’engagement passif envers ce passé, sans la moindre compréhension des réalités historiques. Mais gare au pharmakon, prudence sur un médicament qui serait plus poison que remède ! Est-ce qu’une fois seulement, le retour au passé a offert une solution acceptable ? On peut toujours fantasmer, pour soi, mais laisser fantasmer à large échelle ne fait que le jeu des extrêmes.
Ainsi, chez Paul Taggart, la notion de heartland, que nous traduisons librement par « pays de cœur », fait référence à une société du passé, perçue comme pouvant être rétablie. Un passé fortement idéalisé, image mythifiée d’un pays uniforme, qui ne représente en aucun cas une quelconque réalité factuelle. Osons l’analogie avec une heartschool, une « école de cœur » bien ancrée dans l’imaginaire scolaire collectif4 et qui fleure bon la craie, la blouse, l’enseignant sur son estrade. L’écolanxiété serait une anxiété pour le futur de l’école ou à cause du futur de l’école ? Si certains ont une vision simplificatrice du monde et crient « gloire au passé », nous préférons un « gare au passé », en nuance et complexité : car même si nous en avons fini avec le passé, le passé lui, n’en a pas fini avec nous5.
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Notes
- Écouter l’épisode https://tinyurl.com/43nksxrm.
- Selon l’échelle d’écoanxiété de Hogg.
- Armchair nostalgia, concept du sociologue Arjun Appadurai : https://tinyurl.com/yw4nwbe3.
- Imaginaires scolaires : https://tinyurl.com/mwxy3ath.
- Extrait du film Magnolia, Paul Thomas Anderson, 1999.