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Écarts de langue, écarts de culture – À l’école de l’autre

Habituellement, les ouvrages qui traitent de la diversité culturelle le font en termes de différences, ce qui aboutit à explorer les voies et moyens d’une pédagogie différenciée. Les auteurs de cet ouvrage, original à plus d’un titre, préfèrent parler d’écarts. L’intérêt de cette substitution n’est pas que sémantique. La notion de différence est statique : les différences sont là, elles coexistent, et la pédagogie dite différenciée vise à les prendre en compte, à reconnaître chaque élève dans sa spécificité, l’enseignant étant lui-même supposé « hors différence », dans une sorte de neutralité bienveillante et attentive qui vise à s’ajuster à chacun.
Il en va tout autrement de la notion d’écart. Comme le montre bien Michel Tardy dans le chapitre inaugural du livre, elle implique toute une dynamique faite de tensions et de rapprochement, d’exclusion et d’inclusion, d’acceptation et de refus, dont l’enseignant n’est pas exempt.
Toutes les contributions du livre adoptent ce point de vue. Ainsi M.-L. Scheidhauer, dans son très bel article, montre que les écarts de langage chez le jeune enfant sont faits de transgressions et de créations ; elle en donne de nombreux exemples savoureux. L’écart de langage est pour elle révélateur de compétences linguistiques ; d’où il suit que l’apprentissage en matière de langage dépend de la négociation de l’écart entre l’enfant et le maître ou la maîtresse.
Cette négociation, d’autres auteurs l’illustrent dans des matières parfois inattendues. Ainsi J.-C. Rauscher propose-t-il « d’écrire en mathématique pour situer et négocier les écarts » ; et il met au point un outil d’évaluation partagée à partir de ces écrits réflexifs. Élisabeth Hoffmann, elle, s’interroge sur la relation d’aide ; à partir d’un atelier visant à travailler cette relation, elle dégage les conditions d’une aide qui à la fois respecte l’écart et vise à le résorber.
Christine Hélot s’interroge sur la diversité linguistique et culturelle à l’école et se demande comment négocier l’écart entre les langues/cultures de la maison et celle(s) de l’école. Elle montre que dans le système scolaire français tous les bilinguismes ne sont pas équivalents : certains sont valorisés, alors que d’autres sont minorés. Les compétences multilingues de nombreux élèves ne sont pas reconnues, ce qui conduit à un gâchis pédagogique. Elle décrit plusieurs expériences visant à prendre en compte ces compétences.
Raphaël Doridant développe de son côté une analyse minutieuse de l’articulation des différences et de l’altérité dans la classe coopérative institutionnelle. « Distinguer la différence de l’altérité et ménager au sein de la classe des dispositifs d’accueil de celle-ci permet d’éviter d’ériger une différence particulière (le niveau scolaire) en absolu normatif. » Il s’agit, dans et par les techniques de la pédagogie institutionnelle, de « mettre les différences au service de l’altérité pour qu’elles constituent autant d’encouragements à grandir, et non autant de fers qui entravent ».
Comme on le voit, cet ouvrage couvre plusieurs champs disciplinaires et scolaires. La notion d’écart se révèle, au fil de la lecture, un concept particulièrement éclairant et opérant pour saisir ce qui distingue une pédagogie faisant de la diversité culturelle une ressource de celles qui se contentent de s’y adapter comme à une contrainte. C’est pourquoi on ne peut que le recommander à tous ceux qui cherchent à renouveler leur approche du problème.

François Galichet


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