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Des ESPÉ rances…?
Je voudrais commencer ce billet sur la formation des enseignants et les futurs ESPÉ par quelques éléments biographiques. J’enseigne les SES depuis 31 ans dans un lycée de l’Essonne et je suis professeur à l’IUFM de Paris depuis 2006 en “temps partagé” (je dois y faire 192h annuelles, soit la moitié d’un service). Les “contrats” pour ce type de poste sont de trois ans renouvelables. Le mien arrivait donc à échéance en 2012. Alors qu’on me le demandait depuis plusieurs semaines, j’ai tardé et je n’ai dit “oui” pour poursuivre que le 7 mai 2012.
Évidemment le 7, c’était le lendemain du 6 mai… Et après une période très sombre pour la formation des enseignants, c’était l’espoir d’aller vers la construction d’un nouveau système de formation vraiment efficace et à la hauteur des enjeux. Il y avait même chez moi, un peu d’exaltation dans le renouvèlement de cette demande.
Un an après, l’enthousiasme est retombé et l’exaltation laisse la place à un certain pessimisme malgré mon optimisme militant congénital…
Durant l’été 2012, j’ai participé à la concertation sur la refondation de l’École et plus particulièrement à l’atelier 4 “Des personnels formés et reconnus”. Dès ce moment, on discernait bien que des tensions existaient sur ce sujet crucial de la formation des enseignants. Le projet de loi qui arrive en discussion au Sénat n’a pas permis de les dénouer. J’espère que des amendements permettront de lever certaines ambiguïtés et que des arbitrages seront faits ensuite pour avancer dans le bon sens.
Mais, pour l’instant, comme beaucoup de personnes qui s’intéressent à ce dossier (bien peu médiatique…), je suis inquiet. Mon inquiétude se situe à plusieurs niveaux que je vais essayer de détailler ici.
Ça urge !!!
Nous sommes à la mi-avril. Le projet de loi portant sur la refondation de l’École n’est toujours pas arrivé au Sénat. On peut penser qu’il y aura ensuite une deuxième lecture à l’Assemblée Nationale et le vote définitif ne devrait avoir lieu qu’en mai voire juin…
En ce qui concerne les Écoles supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPÉ) définis dans les articles 50 et suivants du projet de loi, la procédure pour la transition des IUFM vers les ESPÉ a déjà commencé, heureusement avant même le vote de la loi. Mais, là aussi, tout cela a été enclenché fort tard. Les “pré-projets” ont été déposés en mars et sont toujours en cours de négociation entre les différentes composantes.
Comment expliquer ces délais ? C’est en grande partie le résultat d’un arbitrage insuffisant qui a conduit à laisser la possibilité de deux statuts différents pour les ESPÉ. Sans rentrer dans le détail, chacun de ces deux statuts à des degrés divers, rattache cependant les futurs ESPÉ aux universités dans des combinaisons complexes et peu lisibles. Et avec, selon les régions, des luttes d’influence et des rapports de force plus ou moins tendus. Dans 30% des projets d’accréditation, le rattachement de l’EPSE n’est pas tranché.
En d’autres termes, en ce moment dans les IUFM et les universités on est en train de se tenir par la barbichette, de faire des manœuvres compliquées alors qu’il y a la prochaine rentrée à préparer !
Et cette rentrée est cruciale. Car c’est en partie sur elle que sera jugée la réforme. Et parce qu’elle risque de conditionner la formation des enseignants durablement. Toute cette énergie dépensée aujourd’hui à de basses manœuvres, il faudrait plutôt la consacrer à préparer dès maintenant l’organisation de la formation des deux “vagues” de recrutement (puisqu’il y a deux concours). Sinon, on court le risque du bricolage et de la reproduction de l’existant.
Cette lenteur, toute cette énergie perdue, sont le produit d’un statut très flou, ambigu et inutilement compliqué…
Pour les ESPÉ, on attend le “choc de simplification ” !
Même si j’ai peu d’illusions sur un changement de position et d’éventuels amendements, je continue à dire qu’il aurait fallu créer des écoles supérieures indépendantes des tensions universitaires, de leur budget et de leur statut et avec une vraie autonomie pédagogique.
Car sans trop rentrer dans les détails techniques, les pré-projets qui sont en train de se négocier conduisent à des constructions complexes. Les notes de cadrage et les retours sur les projets dans les différentes régions donnent en plus clairement l’impression que cela se fait dans la poursuite du dépeçage des ex-IUFM, commencé avec l’intégration aux universités il y a trois ans. Le continuum de développement universitaire et professionnel entre la formation initiale et continue est quasiment absent des notes de cadrages et rarement évoqué dans les projets.
Signalons qu’à l’assemblée, l’amendement demandant une inscription administrative dans l’ESPE a été rejeté, de même que celle de l’inscription pédagogique. Les diplômes continueront à être délivrés par les universités. Cela est renforcé et justifié par le fait que le concours se situe en M1 c’est-à-dire au milieu d’un cycle universitaire. On voit même dans certains projets apparaître l’idée que la formation pourrait être dispersée dans plusieurs lieux, bien loin de ce qui était prévu au départ.
J’espère sincèrement que les prochaines discussions au Parlement pourront clarifier cette question du statut. Là aussi, on a besoin d’un “choc de simplification” !
Car cette lutte de pouvoir, cette véritable guerre de gouvernance à l’œuvre dans les discussion actuelles sur les “pré-projets” ouvrent inévitablement la porte à la dispersion de l’énergie, à l’éclatement, à la défiance, au chacun pour soi pour aboutir à des usines à gaz et des coquilles vides…
La sacro-sainte référence à l’université
Loin de moi l’idée de rejeter l’importance et la nécessité d’une formation universitaire de haut niveau. Mais comme je l’ai déjà écrit, je ne suis pas persuadé que le modèle universitaire soit la meilleure référence pour organiser la formation des enseignants.
Et dans un billet du 20 aout 2012 ayant pour titre “donnons nous des raisons d’ESPErer”, j’écrivais : « Au risque d’aller à l’encontre du “consensus” apparent sur la référence à l’université, je trouve aussi qu’on se gargarise un peu trop avec ce mot d’“universitaire”. S’il s’agit de reproduire le modèle pédagogique actuel de l’université dans ces futures écoles, on risque de passer vraiment à côté. S’il s’agit de reproduire aussi les mêmes structures de clans, les mêmes luttes d’influence, les mêmes hiérarchies paralysantes, il n’y a pas de quoi se réjouir de cette dimension « universitaire”. Si la recherche (dont tout le monde dit qu’elle doit être au cœur de ces ESPÉ) est construite sur un modèle tourné sur lui-même et qui prévaut malheureusement dans plusieurs universités, là aussi on aura raté le coche. Donc, non, la référence universitaire n’est pas la panacée et personnellement je pense qu’elle est porteuse d’effets pervers. ».
Je n’ai rien à retirer à ces propos mais je pourrais rajouter à ce que j’écrivais que je ne soupçonnais pas que les combinazione et les luttes d’influence seraient aussi fortes. Et que la force d’inertie et le conservatisme l’emporteraient sur la nécessité du changement.
Un problème de gouvernance
Je pense que cette situation ne correspond pas du tout à ce que Vincent Peillon et ceux qui ont travaillé sur ce projet avaient en tête. Mais plusieurs phénomènes sont venus perturber le projet initial.
D’abord, il y me semble t-il a une “faute” originelle de gouvernance qui réside dans la constitution du gouvernement. Alors qu’on évoquait un grand ministère de la jeunesse et de la culture couvrant l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et la recherche, la jeunesse et sports et la culture, on a eu au final un émiettement des responsabilités liées à la nécessité de la parité et de combler tous les courants du PS. Au final, on a donc deux ministères (le M.E.N. et le M.E.S.R.) avec chacun leur logique. Et se pose alors un problème d’arbitrage…
Au ministère de l’enseignement supérieur de la recherche (dont le cabinet est constitué logiquement d’anciens présidents d’universités) on considère que tout ce qui se situe au dessus du bac est du domaine de compétences du MESR. Et à l’Éducation Nationale, on met en avant le fait que la formation des enseignants et la définition des concours de recrutement relève de la responsabilité de l’État-employeur. Pour avoir observé cela d’un peu près, je considère que c’est le MESR qui a imposé sa logique au MEN…
L’autre élément perturbateur est à chercher dans l’actualité éducative. Il y a eu un “effet lampadaire” avec la question des rythmes. Toute l’attention s’est portée sur ce sujet important, certes, mais qui a masqué les autres enjeux de la refondation. Peut-être que le Ministre, absorbé par cette question, n’a pas accordé toute l’attention souhaitable à la formation qui constitue pourtant le “réacteur” de sa refondation.
Le problème de gouvernance se situe aussi dans chacune des régions et des projets d’ESPÉ. Avec une question simple : les recteurs et rectrices (représentants du ministre) ont-il les moyens de s’imposer face aux président(e)s d’université ? Qui sont aujourd’hui les “chefs de projet” dans chacune des régions et appelés, semble t-il, à devenir ensuite les directeurs des ESPÉ ? Dans un tiers des cas seulement ce sont des directeurs actuels des IUFM, sinon ce sont des universitaires qui ont la main. Sauront-ils se dégager de la logique de leur corps d’origine pour faire émerger le bien commun ? Comment construire de l’autonomie alors que celle ci n’existe pas dans le statut ?
Quels concours ?
Lorsqu’il y a eu arbitrages, on peut se demander si ceux-ci ont été vraiment satisfaisants. C’est le cas avec le choix de placer le concours en fin de 1ère année de Master (M1). On se rappelle que, durant la concertation, deux tendances se dégageaient. L’une représentée par les syndicats de la FSU et les universités souhaitaient que le concours soit placé en fin de M2. L’autre exprimée notamment par le Groupe “reconstruire la formation des enseignants” (GRFDE) et aussi par les associations membres du CAPE et notamment le CRAP-Cahiers Pédagogiques était de placer le concours en fin de L3.
Le gouvernement a fait le choix de le placer en M1 (pour élargir la base de recrutement) mais on peut dire finalement que ce choix ne satisfait personne et est porteur d’effets pervers et de peu de changement. Car ainsi on aboutit finalement à une situation très proche de celle d’aujourd’hui dans les IUFM. Avec une formation avant les concours qui se ferait dans le cadre des UFR des différentes universités. Et une formation dévolue aux ESPÉ pour les stagiaires ayant réussi le concours.
Tout ça pour ça…
L’effet pervers étant que le concours se situant au milieu d’un cycle, celui du Master, il justifie beaucoup moins la construction d’un parcours autonome et cohérent au sein d’une même institution (les ESPÉ). Comme je l’indiquais plus haut, les universités revendiquent aujourd’hui l’inscription administrative et pédagogique des étudiants et contestent même dans certains cas la possibilité d’un rassemblement dans un même lieu.
Si certains syndicats se sont ralliés à la proposition gouvernementale, c’est en pensant que le contenu des concours allait faire évoluer fortement la formation. On le sait bien, dans le système français, il y a une forme de pilotage par l’aval : l’examen final conditionne la pédagogie et le contenu enseigné en amont. On pouvait penser que si l’on mettait plus de “pédagogie” dans les concours de recrutement on allait faire évoluer la représentation du métier d’enseignant et la formation qui va avec. Le référentiel métier qui définit les compétences des enseignants et devrait servir de cahier des charges pour la formation et qui circule aujourd’hui est plutôt encourageant. Mais il n’en est pas de même pour les concours.
Au jour d’aujourd’hui, seule une maquette générale des concours a été publiée. Et la déclinaison des concours par discipline n’est toujours pas connue. Et le retard pris est, en soi, une information. Car cela signifie que les tensions sont fortes (elles apparaissent dans quelques communiqués des “sociétés savantes” et des membres de jury de CAPES) et que des résistances sont à l’œuvre qui ne vont pas dans le sens d’un réel rééquilibrage. Le risque est que les épreuves professionnalisantes présentes dans les maquettes génériques ne soient que des épreuves sur la didactique des disciplines. En outre, l’appropriation de la didactique est extrêmement variable d’une discipline à une autre. Répétons-le, la question des concours est révélatrice d’un problème d’arbitrage et de gouvernance entre les deux ministères.
On notera que seul le concours pour les professeurs des écoles et quelques autres semblent épargnés. Surtout parce qu’ils se situent à l’écart des champs de compétences et de revendication des formation universitaires !
Sur un plan pédagogique, quoi qu’on dise et quelle que soit la nature des épreuves, avant un concours, on bachote… La professionnalisation, qui suppose de la sérénité et du recul sur sa pratique, se fera donc sur le seul M2. Alors qu’un concours en fin de L3 aurait été la solution la plus adéquate. Il aurait validé essentiellement des connaissances disciplinaires et ensuite les étudiants seraient entrés dans une structure autonome proposant une formation professionnelle sur deux ans.
Quels concours pour quels enseignants ?
Car, au final, l’enjeu de la formation est bien de répondre aux enjeux de la refondation de l’École face au constat (partagé, vraiment ?) d’une école qui dysfonctionne et qui renforce les inégalités et produit de l’échec.
Pour répondre à ces défis, il faut faire nettement évoluer la formation initiale et continue des enseignants. Le modèle dominant quand on aborde l’identité des enseignants consiste à dire qu’ils sont des spécialistes des savoirs et de leur transmission. L’identité professionnelle (dans le secondaire) se construit largement sur le rapport à la discipline d’enseignement. Et si, plutôt que de parler de “transmission des connaissances” nous disions qu’un enseignant est un spécialiste du “faire-apprendre” ? Comment se font les mécanismes d’apprentissage ? Comment éviter que les enseignants naturalisent la difficulté scolaire (“il n’est pas doué”) par la méconnaissance des mécanismes sociaux qui sont à l’œuvre ? Comment clarifier les valeurs de l’École et avoir une vraie réflexion déontologique (bien loin de la dévoyée épreuve “agir en fonctionnaire”) ? Voilà autant de questions qu’il faut aborder dès le début de la formation et qui supposent une approche transversale dans un tronc commun de formation proposé à tous.
Mais le problème c’est que pour le secondaire, la structuration de la formation risque de se faire dans une logique de cloisonnement disciplinaire. C’est la structure qui organise les études universitaires et qui est renforcée par des logiques de clan qu’on trouve à l’œuvre entre les différentes UFR.
Si la formation des enseignants doit favoriser le dialogue entre les disciplines, entre les niveaux et les différents intervenants c’est parce que c’est une condition importante de la lutte contre l’échec scolaire. La réponse suppose de prendre l’enfant dans sa globalité pour apporter des réponses appropriées. La liaison école-collège mise en avant dans la loi doit passer par une formation à ce travail en partenariat. La mise en œuvre réelle du socle commun passe par un dialogue entre les disciplines pour permettre pour plus de cohérence dans les apprentissages et pour voir comment chaque discipline, avec sa spécificité, contribue à l’apprentissage durable des connaissances.
Dans le vocabulaire des IUFM, on affirmait dès leur création la nécessité de former des “praticiens réflexifs”. Au delà de l’apparent jargon, il y a là le rappel qu’on ne peut se former à un métier tel que le nôtre si on ne prend pas le temps du recul et de l’analyse de pratiques. “Enseigner est un métier qui s’apprend”, tout le monde semble d’accord pour le dire aujourd’hui, mais il faut rajouter qu’il s’apprend collectivement et dans un aller-retour constant entre la pratique, l’observation, la théorie et l’analyse. Quelle place pour cette dimension dans la formation de demain ?
Qui formera les formateurs ?
La construction des ESPÉ est confrontée à un autre défi qui va être de faire travailler ensemble des personnes différentes et aux origines diverses. On peut repérer cinq catégories :
• les personnels actuels des IUFM, eux mêmes très hétérogènes (Professeurs d’université, maitres de conférences, professeurs agrégés et certifiés à temps plein ou en temps partagé)
• les enseignants des universités qui interviennent dans la formation avant le concours ou dans des unités consacrées aux sciences de l’éducation
• les personnels des rectorats chargés de l’inginiérie de formation continue (DAFOR ou DAFPA selon les régions…)
• les “tuteurs”, c’est-à-dire les maîtres formateurs du primaire ou leur équivalent (à créer) dans le secondaire. Ce sont des enseignants dans les classes qui accueillent les stagiaires et les étudiants
• les militants des mouvements pédagogiques et des associations complémentaires qui ont vocation, selon la loi, à intervenir dans la formation.
A ces cinq catégories, il faut rajouter l’inspection qui voit elle aussi son rôle se modifier.
Actuellement, toutes ces personnes sont dans l’incertitude. Alors que la reconstruction de la formation des enseignants aurait du susciter de l’enthousiasme, le climat est plutôt morose. Pour les trois premières catégories, la position est plutôt celle de la défense des acquis et du territoire et conduit plutôt à une résistance aux changements. L’intrusion de nouveaux intervenants est vécue souvent sur le mode de l’agression.
Au delà des personnes elles-mêmes, il y a aussi un problème d’évolution des pratiques de formation. Je l’ai déjà écrit, il y a un principe d’homologie : les nouveaux enseignants enseigneront comme ils ont été recrutés et formés. La forme que doit prendre la formation est tout aussi importante que le fond. Faire un cours magistral sur les méthodes actives est un non-sens ! Si l’on veut que les nouveaux enseignants fassent évoluer leurs représentations du cours et admettent qu’on puisse faire classe à plusieurs, qu’on puisse faire travailler les élèves en groupes, par projet ou avec d’autres méthodes encore, il faut le leur faire éprouver dans leur propre formation.
Or, le modèle dominant à l’université reste celui du cours magistral. Le cloisonnement disciplinaire ajoute à la difficulté à penser ce métier autrement.
L’évolution de la composition des personnels dans les IUFM au cours des dernières années n’incite pas non plus à l’optimisme. De moins en moins de temps partagé et un recrutement basé essentiellement sur l’excellence académique mais avec peu de référence à l’analyse de pratiques et à l’ expérience du terrain.
Il ne s’agit pas pour moi d’opposer telle ou telle catégorie. Je ne conteste pas, bien au contraire, la nécessité d’avoir des intervenants qui s’appuient sur un solide travail de recherche et qui soient capables de faire le lien avec les pratiques en classe. Je plaide plutôt, comme un amendement au projet de loi l’a fait, pour retrouver un équilibre entre formateurs en temps partagé et à temps plein, entre chercheurs et praticiens… Pour favoriser ce type de profil, il faut cesser de considérer que deux mi-temps font un temps complet et faire en sorte que ces enseignants aient un tiers de temps en classe et un mi-temps dans les Espé.
L’enjeu, pour parvenir à faire travailler tous ces intervenants ensemble, va être de construire une vraie formation de formateur et même un référentiel de compétences des formateurs. Il ne suffit pas d’être un bon enseignant pour devenir un bon formateur. Par exemple, organiser la prise de recul et un cadre d’analyse pour l’observation est une vraie compétence de formateur. Il va par ailleurs falloir créer des lieux d’échanges et de mutualisation des pratiques. La réflexion pédagogique mutualisée et la recherche font évoluer le système. Les uns et les autres ont des expériences qu’il serait utile de partager pour proposer une formation de qualité aux futurs enseignants.
Mais là aussi le temps presse et la rentrée approche…
Espérance ou des ESPÉ rances… ?
Puisque j’ai commencé par une insertion biographique, je vais terminer de la même manière.
J’évoquais mon statut de “temps partagé” à l’IUFM. C’est un choix militant et même politique que je maintiens depuis sept ans même si c’est quelquefois dur à tenir face aux pressions et surtout aux difficultés d’organisation. Or, étonnant paradoxe, même si la loi en discussion a insisté sur la nécessité pour les formateurs d’être en classe en même temps qu’ils sont formateurs, les discussions actuelles dans les IUFM sur la transition vers les ESPÉ demandent un investissement et une disponibilité bien souvent incompatibles avec ce statut de “temps partagé” !
Finalement, la question je me posais le 6 mai 2012 : “Stop ou encore ? ”, ce n’est peut-être pas moi qui y répondrait. Car, par ailleurs, mon poste lui-même est menacé. Alors que j’enseigne dans l’académie de Versailles, je travaille à l’IUFM de Paris. Lorsque nous avons été recruté à l’IUFM de Paris, ma collègue et moi c’est parce que la formation était commune à l’époque aux trois académies franciliennes (depuis nous avons « perdu » Créteil). Il n’est pas inutile de rappeler que, si les formations étaient regroupées à Paris, pour notre « petite » matière c’est bien parce que les effectifs étaient peu importants et qu’il s’agissait de réaliser des “économies d’échelle” à la fois sur un plan économique et aussi pédagogique (il est plus efficace pédagogiquement d’avoir un groupe conséquent). Mais mon inquiétude actuelle est que l’on n’ait plus de formation commune entre Paris et Versailles dans cette nouvelle logique. Tant pis…
Ce n’est pas le moindre des paradoxes que la construction des ESPÉ qui est supposée mettre en avant la coopération et la mutualisation des moyens aboutisse à l’inverse et à des logiques de « territoires ». Des ESPÉ pollués par les pesanteurs et les luttes de gouvernances auxquelles l’université nous a malheureusement habitués. Une formation qui risque de ne pas être à la hauteur des enjeux. Des Espé rances alors qu’il aurait fallu de l’air frais…
Mais je ne voudrais pas que la lecture de ces quelques lignes laissent croire que l’analyse qui précède est dictée par l’amertume. Le pessimisme qui est formulé est celui de l’analyse mais ce qui dicte ma prise de parole c’est plutôt “l’optimisme de l’action”. Il n’est pas trop tard pour faire évoluer ce projet si crucial pour la refondation de l’École. Même si le temps presse…
Philippe Watrelot