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Au-delà de la protection des enfants, une véritable éducation à l’affectif
Pourquoi menez-vous une action contre la fréquentation de sites pornographiques par les enfants ? Que sait-on de précis à ce sujet ? Les logiciels de contrôle parental sont-ils un garde-fou efficace ?
Gordon Choisel : Notre action concerne plus particulièrement les sites de streaming et de téléchargement illégaux, qui n’ont pour la plupart rien de pornographique. Nous militons pour la mise en œuvre d’une véritable politique de prévention contre les dangers de ces sites financés notamment par les publicités y étant affichées et qui, quant à elles, sont bien à caractère pornographique. Ces plateformes représentent donc une porte d’entrée sans verrous vers une exposition non voulue des enfants à la pornographie. Notre dernier sondage confirme d’ailleurs que le streaming est devenu un des premiers loisirs des enfants, avant le dessin, la peinture ou la pratique d’un instrument de musique ! Le risque d’exposition des enfants à ce type d’images est donc devenu critique. Aujourd’hui, plus d’un parent sur deux affirme que son enfant a été exposé à des images violentes ou pornographiques.
Quant aux logiciels de contrôle parental, ils ne sont pas opérants face à cette menace. L’aspect pernicieux est justement dans le caractère « grand public » de ces sites. Les parents ne savent pas qu’en laissant leurs enfants regarder des films ou dessins animés sur ces plateformes, ils les exposent à des images pornographiques via l’apparition de ces publicités « pop-up ».
Brigitte Lahaie : Nous constatons, aux côtés de nombreux spécialistes, les dangers qu’une mauvaise exposition à des images inappropriées représentent dans la construction d’un enfant, d’un adolescent, d’un jeune adulte.
J’ai personnellement toujours défendu la liberté d’expression et je ne suis en aucun cas censeur. Mais c’est une position qui ne tient que lorsqu’on évoque l’adulte. En ce qui concerne l’enfant, il est de notre devoir de le protéger des abus des adultes. Que ce soit la question des abus sexuels sur mineurs ou d’images à caractère violent ou sexuel. J’avais en un temps milité pour l’interdiction des mini miss et je suis heureuse de voir que ces élections sont aujourd’hui prohibées. Sans s’en rendre compte, la société instrumentalise de plus en plus le corps des jeunes ados en les érotisant. Pourquoi encourager une fille de 10 ans à mettre du rouge à ongles ?
Le sondage réalisé par Ennocence est sans appel, un enfant sur deux de moins de 10 ans est tombé sur des images pornographiques. Je ne dis pas que tous sont traumatisés mais est-ce le meilleur moyen de les aider à voir l’amour et la sexualité comme quelque chose d’épanouissant ?
Pourquoi les enseignants doivent-ils, d’une certaine façon, se sentir concernés ?
B. L. : Tout simplement parce qu’ils sont souvent les premiers à recueillir des confidences d’enfants qui ne peuvent pas ou n’osent pas s’exprimer avec leurs parents pour de multiples raisons. Les enseignants ont un rôle social majeur. Bien sûr, il n’est pas question de dramatiser, mais un enfant qui a du mal à comprendre ce qu’il a vu, s’il peut dire des mots, même incohérents, à un adulte, cela lui permet de vider ce trop plein émotionnel. L’attitude de l’adulte est importante, une attitude bienveillante mais neutre. Pas question non plus de dramatiser ce qui s’est passé.
G. C. : Notre sondage révèle que plus d’un parent sur deux ne surveille pas ses enfants sur internet. Dès lors, les enseignants seront certainement les premiers à détecter l’impact sur l’enfant d’une exposition à la pornographie, qu’il n’a pas recherché. En effet, l’école est le lieu de sociabilité des enfants, c’est donc à l’école que se révèlera majoritairement un éventuel malêtre. En outre, les enseignants ont une compétence pédagogique qui est un véritable avantage pour rassurer l’enfant qui a été exposé malgré lui. Il en va de même pour la question de la prévention face aux dangers générés par les nouveaux usages numériques. Il est donc temps que nous prenions conscience du besoin impérieux de notre société de bénéficier d’une vraie pédagogie sur ces dangers. Le corps professoral a donc un rôle de premier plan dans la construction de nos futures générations, dans un monde en évolution rapide.
Vous prônez une réactivation de l’éducation sexuelle, qui est une sorte d’Arlésienne de l’école. Comment faire, surtout dans un contexte difficile, comme on l’a vu il y a quelques années à propos des « ABCD de l’égalité » ? Avez-vous à ce sujet une écoute de la part des « autorités » ?
B. L. : Je n’ai pas de contact direct avec les autorités. Je suis plus en lien avec diverses associations et des pédopsychiatres qui sont sur le terrain. Je ne parle justement pas d’éducation sexuelle. Qui d’ailleurs est plutôt une éducation basée sur la contraception et les IST, on ne parle pas réellement de sexualité.
J’évoque en effet une éducation à l’affectif. Faire comprendre au plus jeune âge à un petit être humain que les garçons et les filles ce n’est pas pareil. Que le corps lui aussi s’exprime. Que tirer la queue d’un chat ou l’oreille d’un chien ça fait mal et que donc, on doit respecter les corps des êtres vivants. Et si on n’est pas respecté par quelqu’un, il faut en parler.
Il faut davantage aider les enfants à mieux comprendre les émotions, que c’est normal d’être triste, d’être en colère, d’avoir envie, de vouloir imposer ses désirs, mais qu’il faut aussi entendre les émotions de ses petits camarades.
G. C. : 66 % des parents considèrent que les mesures mises en place par les pouvoirs publics ne sont pas suffisamment efficaces pour protéger leurs enfants.
Sur le plan de l’éducation émotionnelle prônée par Brigitte, notre action est une action de sensibilisation, de terrain, sur le long terme. Nous initions en parallèle une action « coup de poing » sur le plan législatif, qui vise la fermeture claire et nette de ces plateformes de streaming illégales. Pour cela, il faut pouvoir donner aux pouvoirs publics les moyens de pénaliser les organismes qui permettent l’existence de ces sites, à savoir les régies publicitaires, qui pour la plupart ont pignon sur rue. Hadopi par exemple doit évoluer pour pouvoir s’appliquer aux nouveaux usages du numérique. Une synergie entre les différents acteurs autour de cette problématique pourrait permettre de développer des outils pédagogiques tant pour l’information des enfants que pour celle des adultes.
L’application de la loi de 2001 relative à l’IVG et à la contraception semble aussi un outil précieux. Ce texte prévoit une obligation d’information et d’éducation à la sexualité dans les écoles, collèges et lycées. Malheureusement, cette disposition n’est que très partiellement appliquée. Il faudrait donc veiller à sa mise en œuvre et y inclure un volet sur les dangers d’Internet en matière de sexualité. En effet, parce qu’il n’est pas forcément évident pour les parents d’aborder cette questions, l’intervention des enseignants serait plus qu’opportune.
La campagne présidentielle est une occasion rare de solliciter des futures autorités un engagement clair sur ce sujet. Pour notre part, à défaut d’une action rapide des pouvoirs publics, nous ne manquerons pas de recourir à la voie judiciaire pour garantir une meilleure protection de la jeunesse !
Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk
Après avoir milité pour la liberté avec son corps durant quatre ans en tournant des films pornographiques, Brigitte Lahaie s’est essayée ensuite au cinéma, dans l’écriture, dans des émissions populaires et dans les nouveaux médias en ligne.
Gordon Choisel est chercheur en droit. Après s’être intéressé au droit de la famille, il étudie aujourd’hui l’évolution du droit face aux nouvelles technologies, notamment face au développement du numérique.