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Assurer la « continuité éducative » dans le « cluster » de l’Oise (suite)
- Guillaume Coevoet, directeur du groupe scolaire Les Coteaux à Nogent-sur-Oise.
Comment vous organisez-vous dans l’école pour inciter les élèves à continuer à travailler?
Chaque famille, dans la mesure où j’ai réussi à les joindre, a été sollicitée directement par moi-même (SMS, mail ou appel téléphonique pour une centaine d’entre elles). Les coordonnées de courriel ont été échangées afin de mettre en place une continuité pédagogique numérique dès que possible.
Pour les familles éloignées du numérique, l’inspectrice de la circonscription a mobilisé son équipe pour que des documents papiers soient créés pour chaque niveau de classe. La municipalité s’est chargée de les mettre à disposition.
Concernant la mise en place de la continuité pédagogique, dès le deuxième jour de fermeture, soit le mardi 3 mars, l’ensemble des enseignants était mobilisé. Des activités étaient mises en ligne sur le blog de l’école. Au fur et à mesure de la semaine, les listes de diffusion des courriels aux familles se sont étoffées et les enseignants ont pu entamer un échange direct, via mail, avec familles et élèves.
Le jeudi 5 mars au soir, une solution de continuité pédagogique avait été proposée pour 94% des élèves de l’école.
Lundi 9 mars, nous ouvrons un ENT (environnement numérique de travail) qui a été mis en place par la région Hauts-de-France. Cela demande d’ouvrir les droits à tous les parents de l’école et va demander à nouveau un travail numérique important. Mais d’ores-et-déjà, des familles se connectent et peuvent accéder à un blog pour chaque classe, à des documents mis en ligne et communiquer directement avec l’enseignant par le biais de cette plateforme. Mardi 10 mars, près de 45% des familles s’étaient connectées sur cet espace. L’ancien blog de l’école est toujours mis à jour.
Avez-vous des retours intéressants, de la part des familles ou des élèves?
Plusieurs familles nous ont remerciés pour l’implication et le professionnalisme des enseignants. Aucune n’a été agressive ou revendicatrice. Il est cependant difficile de mesurer combien se sont réellement saisis des activités proposées. Concrètement, seulement un peu plus d’un tiers des élèves scolarisés de la Grande section de maternelle au CM2 ont pu établir un réel contact avec l’enseignant et échanger des productions avec lui à la fin de la première semaine.
L’effort, aujourd’hui, consiste donc à faire monter cette statistique… En effet, si la mesure devait perdurer et qu’il fallait mettre en œuvre des apprentissages, il faudra réussir à toucher un nombre bien plus large d’élèves, si on ne veut pas qu’un fossé se soit creusé lors de la réouverture physique de l’école. L’équipe réfléchit à la mise en place de nouvelles activités, plus interactives, pour motiver les familles à se connecter.
Y a-t-il coordination des enseignants pour assurer cette continuité éducative compliquée?
Les enseignants se sont naturellement concertés. Les échanges par mails au sein de l’équipe pédagogique ont été très nombreux. Les productions de chacun ont été partagées et les activités proposées s’enrichissent de jour en jour. Le directeur organise la coordination, et le seul usage de courriels reste contraignant. Il faut sans cesse être derrière sa machine pour recadrer les échanges et répondre aux interrogations qui pourraient bloquer le travail des enseignants. Le nombre d’heures passées devant l’écran de l’ordinateur a été considérable pendant toute cette première semaine pour tout le monde : jonglant entre ENT, blog, messagerie académique, traitement de texte…
Hier, nous avons fait un conseil de maîtres « virtuel » en ligne en utilisant les outils mis à notre disposition par la DSDEN (Direction des services départementaux de l’éducation nationale).
Il serait aisé de tomber dans une plainte concernant le manque de temps, d’outils, d’anticipation … Mais à quoi cela servirait-il? Chaque acteur auquel j’ai été confronté depuis dix jours, à quelque niveau que ce soit, est conscient des enjeux et apporte toute son énergie à résoudre les problèmes et être force de proposition dans cette situation inédite.
En tant que directeur, maintenir un lien de proximité entre les familles et l’école Républicaine est une mission essentielle. Il est nécessaire que personne ne se sente «oublié».
- Témoignage d’une enseignante de maternelle
Les parents sont ravis de maintenir le lien social avec l’enseignant de leur enfant ce qui me semble primordial et de mon côté leurs commentaires sont d’un grand soutien moral. Les élèves sont également ravis de communiquer par mail avec moi. Malheureusement, ils sont encore trop peu nombreux onze familles communiquent mais seulement cinq ont pu se connecter sur l’ENT. Le directeur va remédier à cette situation dans les jours prochains.
La situation est d’autant plus compliquée pour moi que j’ai très peu de compétences concernant le numérique, heureusement mon directeur et mes collègues sont des aides précieuses sur qui je peux compter pour accéder à l’ENT notamment grâce à la classe virtuelle et aux nombreux mails que nous pouvons échanger tout au long de la journée. L’esprit d’équipe des Coteaux est encore une fois mis à l’honneur dans ces moments difficiles.
- Une autre enseignante de maternelle
Le choix a rapidement été fait par l’équipe (et à seize, sans se voir, ce n’est pourtant pas facile), dès lundi matin, de proposer chaque jour aux enfants une série d’activités, et ce, pour toutes les sections, même en maternelle. Ces premières activités étaient, au moins au début, essentiellement des révisions de ce que nous avions travaillé en classe, mais nous avons compris assez vite que nous aurions à mettre en place des situations d’apprentissage si la situation perdurait.
Nous avons donc dû innover, inventer, nous adapter, ce qu’on fait continuellement quand on est enseignant, mais cette semaine, ce fut, pour moi, violent. Et pourtant je pense être quelqu’un d’organisé, capable de mener plusieurs choses à la fois, et plutôt à l’aise avec les outils numériques.
Mais mon métier tout entier était à réinventer, avec énormément de contraintes: travailler dans l’urgence, donner du contenu qui soit motivant pour les enfants, accessible pour les parents (nous avons des parents qui ne lisent peut-être pas le français), qui ne demande pas beaucoup de matériel, ou du moins du matériel existant chez ces familles, qui ne nécessite pas d’étayage pédagogique, qui ne demande pas non plus de différenciation pédagogique. Il nous faut pouvoir l’exploiter facilement, sans avoir accès à la classe pour l’instant, où nous avons parfois laissé nos outils. Et il nous faut par ailleurs organiser des activités pour les élèves les plus éloignés du numérique, tout en se formant nous-mêmes à l’utilisation de l’ENT. En essayant de ne pas trop penser à la fracture qui va se produire entre les enfants qui auront été accompagnés durant cette période et les autres… N au retour à l’école après au moins trois semaines d’école à la maison!
Nous avons donc hiérarchisé nos priorités :
1. privilégier le contact avec les familles (Nous avons mis nos photos sur les activités envoyées par exemple, puis quand nous avons eu le nouvel outil, nous avons inséré notre voix…);
2. expliquer la situation (parler du coronavirus et du pourquoi de la fermeture des écoles);
3. solliciter le retour des parents (par mail, par les activités proposées);
4. nous former et appliquer dans la foulée ce que nous venions de découvrir pour faciliter au mieux cet accès à la continuité pédagogique que nous essayons de mettre en place.
Des parents nous indiquent leurs limites au niveau du numérique («je n’ai qu’une tablette, je n’ai pas d’imprimante»…), alors on s’adapte: «envoyez des photos, dessinez le plateau de jeu, si vous n’avez pas de dé, dessinez les faces du dé et tirez les au hasard»…
Les parents nous remercient majoritairement pour le suivi mis en place. La mise en place de l’ENT a suscité beaucoup d’enthousiasme. Les parents trouvent ça plus aisé, plus agréable aussi. Les élèves sont intrigués par ce que nous vivons («Est-ce que tes enfants sont aussi à la maison avec toi, Maîtresse?»), mais contents d’échanger sur ce qu’ils vivent («Je fais des gâteaux avec mMman»), sur ce qui leur manque («Je n’aime pas ne plus jouer en récréation avec les copines»), sur ce qu’ils font («Maîtresse elle va être fière de moi, là!»).
Ce qui me touche le plus, c’est le regard un peu différent qui peut se construire lors de ces activités: «Je suis étonnée que Samuel soit resté si attentif», ou «Hugo a bien réussi tout seul». Par contre, d’autres familles ne répondent pas, même après une semaine de mails quotidiens. Et du coup, nous ne savons pas: les enfants font-ils les activités proposées, ont-ils des difficultés? Et pour ces enfants-là, nous savons que cela va être compliqué…
- Témoignage d’une enseignante d’élémentaire
Parmi les outils utilisés :
– Nous avons conçu avec l’équipe de formateurs des livrets « papier » pour chaque niveau d’une dizaine de pages axé sur les fondamentaux et s’adressant aux quelques familles éloignées du numérique.
– Nous avons pu bénéficier rapidement d’une formation en ligne pour utiliser l’ENT des Hauts-de-France et ainsi créer nos blogs de classe (ce qui visera à soulager le directeur).
– Nous alimentons quotidiennement nos blogs.
– Nous essayons de trouver «au mieux» des situations attractives et interactives d’échanges avec les familles et les élèves pour maintenir le lien.
Sur quinze familles pour les CP1, quatorze possèdent une adresse mail. Onze ont répondu à ce jour au moins une fois et cinq m’adressent régulièrement des courriels. Les messages sont très gentils et chaleureux, les parents nous remercient et les enfants nous postent des petits «coucou». Ils sont inquiets pour notre santé et nous devons les rassurer.
Heureusement, on se serre les coudes (virtuellement) et on échange régulièrement. Pour les CP nous avons conçu un blog partagé pour tous les élèves de CP. Nous sommes trois enseignantes à l’alimenter chaque jour! Nous avons la chance d’avoir une équipe formidable et investie, très bienveillante avec les difficultés que rencontrent certains (surtout moi) dans la manipulation de l’outil numérique…
Notre métier d’enseignant, qui est basé sur une communication en direct avec les élèves, est compliqué à mettre en place «virtuellement»! Comment différencier avec des familles qui ne répondent pas?
Un autre directeur d’école de Nogent, Olivier Carré, ajoute:
: Chacun fait le maximum pour répondre présent aux diverses sollicitations et chacun s’organise pour apporter des solutions le plus en adéquation avec la nécessité d’assurer la continuité pédagogique.
Chacun réfléchit aux aides à apporter et l’équipe communique beaucoup entre elle via l’application Whatsapp pour trouver de nouvelles solutions afin d’être encore plus proche des besoins des élèves (jeux pédagogiques sur site internet, vidéos envoyées, autocorrection d’exercices y compris pour les CP etc…), le but étant d’aider et de faciliter le suivi des élèves quel que soit leur niveau de difficulté.
Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk
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Photo de Rachel Harent