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Aller, rester et réussir à l’école

Une partie de l’équipe avec les enfants.

Depuis 2013, l’association Rencont’roms nous s’est installée sur le terrain de la Flambère, à Toulouse, un bidonville où vivent des familles Roms roumaines en grande précarité. Dix ans après, l’ambition de donner « la parole aux premiers concernés », pour agir à la fois sur le plan culturel, éducatif et de l’insertion professionnelle, est devenue une réalité concrète et quotidienne.

Les permanents de l’association en témoignent. Andrei Nicolae, Frendus Nitu, Florin Drezaliu et Antonio Vasile sont des enfants du terrain de la Flambère. Ils ont grandi ici et désormais, avec d’autres jeunes, ils accompagnent enfants et familles sur le chemin de l’école. Ils sont médiateurs scolaires et animateurs, salariés, ou volontaire en service civique comme Antonio.

« À la fois acteurs et bénéficiaires. Ils se forment, acquièrent de l’expérience en même temps qu’ils agissent. C’est important d’être acteurs et pas uniquement témoins », explique Nathanaël Vignaud, président et cofondateur de l’association. Andrei raconte : « Quand on était élèves, on était en difficulté, car nous n’avions pas d’accompagnement. Les enfants ont cette chance, on veut la leur donner, car on ne l’a pas eue. On arrive mieux à les accompagner, car on est les premiers concernés, on habite sur le même terrain et on a connu cette expérience. »

En équipe, ils interviennent dans différents lieux culturels et scolaires. L’objectif est que les quarante enfants qu’ils accompagnent aillent, restent et réussissent à l’école. Les familles sont incluses dans la démarche pour qu’elles apprivoisent mieux le cadre scolaire, dialoguent avec les équipes pédagogiques et se sentent pleinement actrices du parcours de leurs enfants.

La confiance comme clé

Deux écoles primaires, ainsi qu’un collège, accueillent les élèves du terrain de la Flambère. La confiance est une clé de la réussite, la coconstruction aussi. « Les partenariats sont forts avec les écoles et le collège. On est source de proposition pour répondre à des objectifs communs. On constate que là où le partenariat est moins fort, les élèves sont moins assidus », précise Nathanaël.

Le fait que le terrain soit stable, sans menace d’expulsion puisque géré par la mairie, permet de se projeter à moyen terme, de mener un travail de fond avec les parties prenantes, enseignants, psychologues, travailleurs sociaux, Casnav (centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs).

Andrei cite comme exemple les visites d’entreprise organisées pour les collégiens avec le club des entreprises de la RSE FACE (Fondation agir contre l’exclusion) Grand Toulouse et le collège Clément-Isaure. « On leur montre une entreprise, un métier comme mécano ou dépanneur pour qu’ils comprennent l’intérêt de l’école et qu’ils puissent se projeter. »

« Au début, c’était nul »

Un jeune collégien, Jonatan, rejoint la conversation. Il a découvert le métier de plombier et souhaite plus tard l’exercer pour bien gagner sa vie. Il raconte « Aller en cours au début, c’était nul. Et puis il y a eu le projet boxe. J’ai bien aimé et c’est pendant le temps scolaire. » Le partenariat fort avec l’établissement permet cela, un aménagement des horaires et l’intervention d’associations pour des activités motivant l’envie des élèves de rester dans la scolarité.

Pour Nathanaël, « le collège, c’est le plus difficile. Les jeunes sèchent les cours, ils n’aiment pas rester, ils ne comprennent pas assez. C’est un cercle vicieux : l’enfant en décrochage scolaire n’a pas les bases en français, ne comprend plus. Les profs changent selon les matières et le côté cocooning de l’élémentaire, on ne l’a plus. »

Andrei garde un mauvais souvenir du collège. « Moi aussi j’ai connu des difficultés avec des problèmes liés au bidonville, la difficulté à comprendre l’importance de l’école et du racisme. Je travaille avec les enfants pour pas que ça se reproduise. » Même si cela reste fragile, il voit que cela va mieux, que les enfants sont réceptifs, qu’ils sont sensibles à son exemple et à celui de ses collègues.

Pleinement des élèves

Intervention dans l’école.

Ils organisent également du soutien scolaire une fois par semaine sur le terrain, font des sorties à la bibliothèque ou dans des lieux culturels, animent des ateliers créatifs à l’école où parfois des artistes sont invités. Florin intervient à l’école élémentaire. « On est là toutes les semaines. C’est important que les enfants nous voient dans l’école. Nous, on anime avec l’enseignant, on fait des jeux, on lit des poésies pour qu’ils en écrivent, on crée des poésies collectives avec eux. » Les ateliers sont mixtes, les enfants du terrain sont alors pleinement des élèves, sans que le qualificatif « rom » soit accolé à leurs réalisations.

Deux prix ont été obtenus au concours départemental de poésie, une occasion pour les enfants de participer à un évènement qui leur semblait hors de leur portée, de leur univers. « C’est l’intérêt des projets culturels : montrer les capacités, la possibilité de réussir, casser les représentations sociales. Tout comme Andrei et Florin, qui ne se voyaient pas faire ce métier à dix ans. Dire aux enfants : d’autres talents sont possibles, d’autres métiers que ceux de vos parents », souligne Nathanaël.

La place des parents

Investir la culture pour faire de l’école un lieu de vie est un fondement de l’association. Inviter les parents à participer à des temps culturels amène une part de l’école dans leur vie, n’en faisant plus un territoire de l’altérité, mais un lieu partagé où les aprioris s’effritent, une terre d’inclusion et de participation, où la parentalité s’explore en commun.

Dans le Comminges.

La culture se vit aussi pour les enfants lors de séjours. Jonatan raconte la semaine vécue l’été dernier dans le Comminges en compagnie de jeunes de la MJC de Toulouse Ancely. « On a fait des randonnées, des baignades et de la photo. » Tous les matins, des ateliers artistiques étaient proposés à la Chapelle Saint-Jacques, centre d’art contemporain. Une aventure artistique et humaine d’autant que pour les enfants, c’était souvent la première fois qu’ils partaient loin de leur famille.

Les initiatives se développent à mesure que l’équipe d’animation s’étoffe, que les jeunes de la Flambère qui la composent se professionnalisent en commençant comme service civique puis en progressant vers un emploi d’animateur ou de médiateur scolaire. L’étape suivante sera d’obtenir le BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) pour une reconnaissance formelle de leurs compétences.

Avec l’école

Tout reste cependant fragile, avec autant de réponses que d’enfants accompagnés. Pour les enfants des habitats précaires, des obstacles matériels compliquent le chemin vers l’école. À Toulouse, l’inscription est facilitée, la cantine scolaire est gratuite pour les enfants du terrain, ce qui n’est pas le cas partout en France. Mais, souligne Nathanaël : « Comment faire en sorte que chaque enfant soit assidu ? Pour certains, ça marche, mais pour d’autres, c’est plus difficile et problématique. La réponse doit être collective avec l’école. »
Les pistes pédagogiques manquent encore pour ces enfants qui, nés en France pour la plupart et demeurant allophones, ne peuvent intégrer des dispositifs UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones nouvellement arrivés). « Pour des gamins en 4e ou en 3e, ce n’est pas possible de rattraper le retard. Le fait d’être assidus va les aider, mais il n’y aura pas de progression réelle dans les apprentissages. »

Pour les élèves accompagnés dès le CP, l’espoir est là. La recherche de solutions se fait au niveau local avec les autres associations, le Casnav et le rectorat, mais aussi en réseau, notamment au sein d’un réseau national de médiation scolaire où l’expérience menée depuis trois ans à la Flambère a toute sa place. Ses médiateurs sont d’ailleurs sollicités pour témoigner et contribuer à la réflexion d’un plaidoyer commun. Au-delà de la reconnaissance de leurs parcours et leurs expériences, cette sollicitation est aussi un encouragement pour les enfants du terrain à s’inventer leur propre avenir.

Monique Royer

Pour aller plus loin :
Le site de Rencont’roms nous


À lire également sur notre site :

Les droits oubliés des enfants des bidonvilles, portrait de Jane Bouvier


Sur notre librairie :

Hors-série n°21 – À l’école avec les élèves roms, tsiganes et voyageurs

Ce dossier a fait l’objet d’une première édition proposant quelques articles en octobre 2010. Nous publions aujourd’hui un ensemble très complet de 65 articles partagés en quatre parties :
– Qui sont ces enfants ?
– Des dispositifs pour organiser la scolarisation
– Les méthodes pédagogiques ou comment faire réussir les élèves ?
– Ailleurs en Europe
Afin de faciliter la lecture de ce dossier, nous avons conçu huit parcours mettant en évidence des thématiques qui n’étaient pas visibles sinon dans le plan : on retrouvera ainsi la question des Roms migrants dans l’espace européen, celle de la médiation ou encore de la place de la langue et de la culture.
En outre ce dossier est assorti d’une dizaine de films réalisés par Fabienne Caraty qui sont mis en ligne ici.