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Les avantages du travail en ilots

Un témoignage enthousiaste sur le travail en ilots bonifiés, vu ici sous l’angle de la prise en compte de l’hétérogénéité.

Chaque année, à peu près à la même période, vers le milieu du deuxième trimestre, un problème revenait dans mes classes : quelques élèves ne faisaient plus rien. Au point qu’il devenait même très difficile de leur faire ouvrir un cahier pour copier le cours. Même si ce phénomène ne concernait qu’un ou deux élèves par classe, il n’en demeurait pas moins inacceptable pour moi. D’autant plus qu’il n’était qu’un symptôme parmi d’autres de ce qui ne me convenait pas dans ma façon d’enseigner : l’impression d’une transmission trop verticale (même en cours dialogué, je ne parvenais pas à impliquer tous mes élèves), et le constat que je n’avais jamais vraiment le temps de répondre aux questions, que je ne faisais pas assez chercher mes élèves. Toujours à courir après le temps et le programme. J’ai alors décidé de totalement revoir ma façon de travailler, et dès l’année suivante, poussée par la lecture du livre de Marie Rivoire, Travailler en ilots bonifiés, je décidais de me lancer dans l’aventure.

Des groupes hétérogènes

Les ilots sont constitués d’élèves de niveaux différents. D’abord, parce que les recherches montrent de façon générale que l’hétérogénéité présente davantage de bénéfices que l’homogénéité. Ensuite, parce que je trouve que c’est un moyen efficace d’être disponible pour tous les élèves, quel que soit leur niveau, et d’être certaine que tous les groupes puissent avancer. En outre, j’ai remarqué que ce système permet de montrer à tous que même les bons élèves ont parfois besoin de temps.

Je suis convaincue que l’on travaille mieux avec des personnes que l’on apprécie. C’est le cas en tout cas pour moi avec mes collègues. Je pars du principe que c’est la même chose pour les élèves : si je leur impose un travail collaboratif, alors mieux vaut les laisser se regrouper en fonction de leurs affinités. D’autant plus que l’investissement des élèves en classe et dans le travail de groupe est évalué. Des groupes choisis par les élèves, donc, mais avec un certain nombre de contraintes : l’hétérogénéité et la mixité de genre. La plupart du temps, les élèves jouent bien le jeu et j’ai rarement été contrainte d’intervenir pour constituer, au moins partiellement, les groupes.[…]

L’obligation de travailler en équipe est explicite : les élèves ne peuvent me demander de l’aide que si personne dans leur ilot n’est capable de les aider. Pour eux, c’est une contrainte difficile à satisfaire au départ. Mais rapidement, ils se rendent compte qu’ils apprennent mieux en travaillant ensemble, ils comprennent mieux, ils reformulent le cours. Et surtout, ils réfléchissent plus efficacement en prenant le temps de regarder les exercices ensemble, le travail leur parait plus facile. Ainsi, petit à petit, le travail en équipe devient une habitude et même une demande des élèves. La contrainte est matérialisée par une « fiche de table » sur laquelle j’évalue à chaque séance la compétence « Aider ou se faire aider » et occasionnellement « Mettre en commun ». Pendant qu’ils travaillent, je circule beaucoup dans la classe. Je réponds aux questions, souvent bien plus longuement que je ne le faisais auparavant : il m’est désormais possible de passer autant de temps que nécessaire assise à côté d’un élève qui en a besoin, cela ne pose aucun problème pour les autres. S’il n’y a pas de question, j’observe le travail de mes élèves. Je les connais davantage, et je comprends bien mieux les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Je passe aussi plus de temps qu’avant à corriger les problèmes de rédaction. En somme, je me sens disponible et je n’ai plus cette impression d’être toujours pressée par les cinquante-cinq minutes de cours, puisque beaucoup plus de temps est dédié à l’entrainement des élèves. L’atmosphère de la classe en est plus apaisée et plus agréable.

Gagner du temps sur la leçon

Avec tout ce temps passé sur les exercices, il m’a très vite fallu trouver une solution pour en gagner quelque part. Travailler à plusieurs, c’est plus efficace, mais c’est aussi plus long. Alors j’ai décidé de ne plus faire copier la leçon aux élèves. Finalement, je ne suis pas persuadée que le fait de copier en classe permet d’apprendre, beaucoup d’élèves copiant sans réfléchir. D’ailleurs, leur laisse-t-on vraiment le temps d’intégrer la leçon qu’ils copient ? Je pense que s’entrainer reste un bon moyen de progresser, en tout cas en mathématiques, et j’ai donc fait le choix de rendre les exercices prioritaires. En septembre, je donne aux élèves un fascicule avec tous les cours de l’année. Il n’est bien sûr pas question de leur demander de le lire seul. Au fur et à mesure de l’avancée du programme, on regarde ensemble la leçon, on y inscrit des commentaires et on travaille les exemples. Le cours est toujours à côté des élèves quand ils font les exercices, et ils l’utilisent bien plus que l’ancien cahier de leçon. Peut-être parce que je leur apprends davantage à l’utiliser, à aller chercher les informations dans le sommaire ou l’index, à mettre les annotations qui leur sont utiles, etc. C’est finalement tout un travail de méthodologie que je ne faisais pas du tout auparavant.

La gestion de classe reste un défi quotidien, peut-être parce que le fait d’être une des seules de l’équipe à pratiquer le travail en ilots donne l’impression aux élèves que le cours de maths est « plus cool ». Mais en contrepartie, les conflits sont plus faciles à gérer, puisque je peux discuter avec un élève en aparté pendant le cours. D’autant qu’ils sont moins nombreux, puisque je suis moins rigide et que ma relation avec mes élèves est bien meilleure : ils me voient davantage comme un soutien et une aide.

Laure Etevez
Professeure de mathématiques en collège en Eure-et-Loire
Texte paru dans le n° 529, Quelles maths pour tous ?, mai 2016