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Explorer ensemble l’interdisciplinarité

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533-une-200.jpgL’interdisciplinarité et la pédagogie de projet qui se développent au lycée dans le cadre des enseignements d’exploration en 2de offrent un champ de liberté, de créativité pour élèves et professeurs.

Notre expérience débute en septembre 2009. Les enseignements d’exploration interdisciplinaires arrivent en 2de, après un passage au collège sous différentes formes. Nous y voyons une occasion unique de travailler ensemble : choix des thématiques, choix des méthodes, coprésence dans la classe. Une heure trente par semaine, ensemble, c’est l’occasion de réfléchir à l’enrichissement mutuel que nos pratiques et disciplines peuvent nous apporter. Nous disposons à présent d’un espace de créativité et de liberté.

Les premiers pas

Quelques jours avant la rentrée, nous discutons de nos envies, de nos centres d’intérêt et de comment les rattacher à cet enseignement interdisciplinaire : les arts, le jeu de rôle, la philosophie, la science spectacle, etc.

Nos visions pédagogiques devraient amener les élèves à être actifs, autonomes, créatifs. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il nous faudra leur offrir des espaces de liberté, d’expression, de choix.

S’appuyer sur ce que nous connaissons
Les thématiques

La liberté offerte par ces options, c’est d’abord leurs thématiques ouvertes : arts et science, chimie et beauté, investigation policière, aliments, etc. Sonia revient de Figueras, nous discutons de Dali, cet artiste dont elle admire profondément l’œuvre. Nous en venons au gout de l’artiste pour les sciences. Pourquoi ne pas partager cela avec les élèves ? Ce sera notre premier thème.

Nous avons déjà en tête notre deuxième thème depuis un certain temps : l’envie de créer un jeu de rôle autour de la police scientifique. Les élèves seront pendant quelques semaines des experts, des enquêteurs méticuleux, des journalistes, etc., les professeurs des suspects et des juges : les personnels chargés de labo, chargés de l’entretien, le proviseur, les conseillers principaux d’éducation, les surveillants seront nos témoins. À notre grande joie, le lycée entier participera de bonne grâce à cette enquête de trois mois.

Les choix pédagogiques

Exit le cours dialogué, le premier thème suivra le modèle des travaux pratiques encadrés, projets qui permettent l’investigation, le travail de groupe, la prise de responsabilités, l’expérimentation et la créativité : les élèves pourront se tromper, se confronter à leurs limites et les dépasser par la coopération au sein du groupe et avec les adultes. Les professeurs seront présents ensemble dans la classe tout comme les professionnels contactés dans le cadre du projet.

Mais nous voulons aller plus loin : le travail des jeunes (productions scientifiques et artistiques à la manière de Dali) sera valorisé par une exposition au CDI et non pas réservé à la seule classe ou à un jury restreint.

Pour le deuxième thème, nous choisissons un travail d’investigation, par équipe, dont nous déterminons le sujet pour les groupes. L’enquête est la même pour tous et nous limitons notre charge de travail et d’organisation en faisant découvrir chaque semaine une méthode ou technique d’analyse scientifique et en discutant des résultats pour faire avancer l’enquête (mise en relation des résultats d’analyse, des hypothèses et des témoignages). Autre différence par rapport au premier thème : les élèves ont des rôles (expert de laboratoire, journaliste, chef d’équipe, enquêteur, etc.). Ils échangent ces rôles au sein du groupe au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête. Un carnet d’enquête centralise les résultats et un plateau de jeu permet de visualiser la progression de chaque groupe.

Les journalistes créent des pages de différents genres, permettant l’expression d’une créativité, d’un esprit de synthèse et de déduction : affichées dans les couloirs de science, elles informent le reste de l’établissement de l’avancée de l’enquête et valorisent le travail des élèves.

Ce que nous retenons
Le retour des jeunes

Nous avons demandé leur ressenti à nos élèves, anciens et actuels. Sans surprise nous retrouvons le plaisir de travailler « différemment par rapport à un cours classique », avec davantage de « liberté » et la « complémentarité ».

Un témoignage de Manon, une ancienne élève, nous parait particulièrement pertinent :

« Je dirais que c’était très bien et même essentiel que vous soyez deux professeurs pour cette option. C’était expérimental et avoir des points de vue différents (personnalité et matière enseignée) était important pour nous aider dans nos travaux. De plus, vous vous entendez très bien, mais vous n’avez pas du tout le même contact, la même approche avec les élèves. En tant qu’élèves, ça nous apprend à travailler avec des professeurs différents sur une même matière. Moi, j’ai apprécié d’avoir cette alternance entre deux professeurs. Après, ce n’était pas un cours classique parce qu’on tâtonnait, on ne savait pas exactement où il fallait aller parfois, et puis il y avait un côté moins scolaire. Le fait qu’il y ait deux professeurs a permis aussi ça : qu’il n’y ait pas un seul professeur au centre de tout, mais un partage, ce qui permettait aussi une ambiance conviviale.

Depuis le lycée, j’ai vécu de nombreuses fois cette particularité : suivre des cours menés par plusieurs intervenants ou formateurs. Comme je le disais plus haut, les cours à plusieurs voix permettent une répartition de la parole, des points de vue différents, une complémentarité, etc., et du coup, l’étudiant est plus facilement intégré au discours, l’échange est plus facile, il y a moins ce côté dominant du professeur qui détient le savoir. »

Sophie ajoute que cette option leur démontrait pour la première fois que « différentes matières permettent de se pencher sur un même problème et se complémentent ».

Le ressenti des professeurs

Le regard bienveillant, l’absence de jugement et de critique non constructive, l’enrichissement mutuel lors de la préparation des séances, les analyses communes des séances apportent confiance et bienêtre. Les échecs, mieux vécus, étaient suivis de vifs débats, intégrant souvent les autres collègues.

Nos différences relativement marquées (caractères, disciplines, expériences d’enseignement, gestion des élèves) entrainaient parfois des discussions vives, mais le sentiment de se sentir soutenue et comprise a toujours primé. Les échanges riches avec les élèves renouvelaient notre motivation.

Le ressenti des élèves

Plus autonomes, ils se sont approprié leur travail, se sont partagé les tâches et ils ont recherché nos conseils. Les groupes les moins motivés au départ ne dépassaient pas trois élèves, afin qu’aucun n’élève n’ait la possibilité de se désengager (du moins pas totalement) du projet collectif. Notre changement de position a favorisé l’expression de ces élèves, heureux par ailleurs de recevoir l’approbation de leurs camarades, en plus de la nôtre, lorsqu’ils soumettaient une idée acceptée. Comme pour les professeurs, les pratiques d’échanges et de partage de compétences leur ont apporté un sentiment de bien utiliser leur temps et l’envie de réaliser des travaux de qualité. Les réalisations finales restent la clé de voute qui motive l’ensemble de cette dynamique. Il est important de noter que si cette étape finale n’a pas lieu, par manque de temps par exemple, le reste s’effondre et perd son sens, d’où l’importance de bien soigner la restitution finale.

D’autres projets

Depuis ces premières expériences, nous avons cherché et pu tester de nombreux autres projets, que ce soit dans le cadre d’options, de clubs scientifiques ou de thématiques interdisciplinaires : arts plastiques, histoire-géographie, lettres, technologie au collège. Nous avons également pu partager avec les collègues du primaire. À chaque fois nous avons retrouvé l’impression de faire sens, le plaisir d’échanger et de partager, ainsi que le constat d’implication et de motivation des élèves.

Certes, l’interdisciplinarité prend du temps et de l’énergie, mais ce qui en ressort est source de richesse et de joie, au point que nous pensons qu’il est essentiel de développer ces formes de travail épanouissantes et complémentaires ainsi que d’autres pédagogies que nous maitrisons mieux maintenant et que nous ne renions pas. Pour alléger la charge de travail, nécessairement importante, notre solution : le partage du travail.

Hélène Hervé
Professeure de SVT dans les Yvelines
Sonia Madani
Professeure de sciences physiques dans les Yvelines
Si nos travaux vous intéressent, contactez-nous à partir du blog que nous avons créé :
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