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L’éducation aux médias et à l’information dans les nouveaux programmes

Dans cet article, l’auteur défend le travail du CSP (Conseil supérieur des programmes) sur l’éducation aux médias dans les nouveaux programmes et du parcours citoyen. Il y prône une vision de l’ÉMI (éducation aux médias et à l’information) transdisciplinaire et totalement intégrée dans le socle commun à travers de grandes exigences en termes de compétences.
Il faut remonter au début des années 80 (Jeune téléspectateur actif et création du Clemi, Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information) pour voir apparaitre une forme d’éducation qui prend comme objet d’enseignement les médias. Cet enseignement s’est révélé rester à la marge, outil d’innovation et d’expérimentation pour les plus militants, simple support de cours quand celui-ci est incompris (voir l’article éclairant de Jacques Piette à ce sujet1
Genèse

J’ai été sollicité pour participer aux travaux du Conseil supérieur des programmes (CSP) pour le cycle 4. Chaque discipline était représentée par un professionnel, enseignant, IA-IPR (inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional), IGEN (inspecteur général de l’Éducation nationale), enseignant-chercheur. C’est grâce à la volonté de Patrick Rayou, animateur de notre groupe de travail, qu’il a été permis que l’éducation aux médias et à l’information soit représentée. Lourde charge. Alors que nous arrivions à la fin de nos travaux, les évènements tragiques de janvier 2015 ont bouleversé et questionné au plus profond les pratiques de l’école dans ce domaine, pour aboutir, en avril 2015, à la création du parcours citoyen. S’adjoint alors à l’enseignement moral et civique « l’éducation aux médias et à l’information (ÉMI), prenant pleinement en compte les enjeux du numérique et ses usages. Indissociable de la transmission d’une culture de la presse et de la liberté d’expression, l’éducation aux médias et à l’information est un enseignement intégré de manière transversale dans les différentes disciplines. Il doit apprendre aux élèves à lire et à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique et à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie2

Grâce au travail élaboré avec ce groupe, l’éducation aux médias et à l’information apparait, pour la première fois explicitement dans des programmes scolaires français, certes, de façon discrète, mais bien présente et consolidée par un discours institutionnel fort.

Une cohérence autour du socle commun

On connait les écueils de la mise en œuvre du socle commun en 2006 : un calque des divisions disciplinaires traditionnelles perçu au pire comme un doublon inutile des programmes, au mieux comme une lecture simplifiée de ceux-ci.

Le socle sur lequel est aujourd’hui basé tout enseignement oblige chaque discipline à rechercher dans chaque domaine ce qui est de son ressort pour construire un parcours scolaire cohérent. Les champs disciplinaires peuvent ainsi se croiser et les savoirs s’ordonner non plus selon des normes académiques mais, dans l’esprit de nos élèves, selon une logique de sens (voir le volet 2 des programmes). L’ÉMI se déploie donc ainsi, au même titre que les autres programmes scolaires.

une tentative de synthèse

L’apparition des réseaux sociaux a totalement changé les paradigmes sur lesquels reposait l’éducation aux médias. Ils ont fait exploser la frontière qui pouvait exister entre l’éducation aux médias défendue par le Clemi et l’information-documentation, traditionnellement dévolue aux documentalistes, concentrée sur la méthodologie documentaire3. C’est pourquoi j’ai défendu l’idée que l’éducation aux médias et à l’information est à considérer comme une translittératie informationnelle. La translittératie est définie comme « l’habileté à lire, écrire et interagir par le biais d’une variété de plateformes, d’outils et de moyens de communication, de l’iconographie à l’oralité en passant par l’écriture manuscrite, l’édition, la télé, la radio et le cinéma, jusqu’aux réseaux sociaux »4

. Ce terme permet aujourd’hui de faire converger les sciences de l’information, l’informatique et l’éducation aux médias.

Deux niveaux de compétences et de connaissances sont constitués, l’un relevant de compétences individuelles de compréhension, production et diffusion de l’information, quel que soit le support, niveau enrichi par les recommandations de l’Unesco en 2005 qui définit des normes ou compétences à atteindre en maitrise de l’information ; l’autre relevant de l’environnement social et culturel de la diffusion de l’information, qui renvoie à la démocratisation de l’éditorialisation de l’information au sein des réseaux, mais aussi à la mise en place d’une économie de l’information qui participe à la désinstitutionnalisation du rapport au savoir et des pratiques culturelles et, enfin, l’éthique et la responsabilité qui incombe aux individus dans la production, le traitement et la diffusion d’informations.

Ces deux niveaux d’analyse offrent donc un ensemble complet de connaissances et de compétences qui préparent nos élèves aux enjeux de nos sociétés hypermédiatisées et cela, à tous les niveaux, depuis leurs usages personnels jusqu’à l’exercice de leur citoyenneté.

C’est à partir de cette grille de lecture que j’ai proposé la contribution de l’ÉMI à l’acquisition des compétences propres à chaque domaine du socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

L’ÉMI ça s’éprouve !

Ainsi, les compétences liées à l’ÉMI sont mises en œuvre grâce à des dispositifs pédagogiques bâtis sur l’usage. Toutes les situations concrètes d’utilisation et d’analyse des médias et de l’information sont favorisées. Elles permettent l’épanouissement des compétences informationnelles des élèves grâce à la pédagogie du projet et dans le cadre des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Les productions créées par les élèves éditeurs sont utilisées comme outil d’évaluation, témoignage de l’acquisition ou non de compétences et de connaissances propres aux médias et à l’information. La créativité des élèves est recherchée chaque fois qu’une situation de production est proposée. Évidemment, le professeur documentaliste est le promoteur et l’accompagnateur de ces productions au sein de cet enseignement non disciplinaire aux médias et à l’information dispensé par d’autres enseignants et lui-même. Il est le garant de cette dimension productrice, qui favorise une évaluation positive et partagée.

Denis Tuchais
Direction académique de la formation des personnels de l’Éducation nationale, membre du CSP

Notes
  1. Jacques Piette, « Éducation “par les médias” ou “aux médias” ? », Cahiers pédagogiques, L’actualité éducative du n° 449 de janvier 2007, [en ligne] https://www.cahiers-pedagogiques.com/Education-par-les-medias-ou-aux-medias).
  2. [mesure 3]Créer un nouveau parcours éducatif de l’école élémentaire à la terminale : le parcours citoyen, in http://www.education.gouv.fr/cid85644/onze-mesures-pour-un-grande-mobilisation-de-l-ecole-pour-les-valeurs-de-la-republique.html
  3. Voir l’introduction de Pascal Duplessis dans http://culturedel.info/grcdi/?page_id=236.
  4. Sue Thomas, citée dans « La translittératie ou la convergence des cultures de l’information : supports, contextes et modalités », Spirale, 53, 2014, p.145-156.