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Vers des évaluations « hors la loi »

Les notes, même à l’école primaire, ne seront donc pas interdites… La ministre en a décidé ainsi, malgré plusieurs appels contraires de la part du jury de la Conférence nationale sur l’évaluation des élèves. On pourrait en rester là et entretenir une école à la dérive, prenant le sens du vent médiatique, avec les plus grands dommages pour les élèves les plus fragiles. Cela donne l’impression que la priorité des décideurs n’est pas de faire évoluer des pratiques surannées mais de ne froisser personne. Tout ira bien si rien ne bouge. Nous en venons même à nous demander si le monde du politique est véritablement soucieux de son école ou, tout du moins, s’il y fonde un quelconque espoir pour la construction d’une société meilleure, par une jeunesse mieux formée et plus consciente des enjeux majeurs de notre époque : lutte contre les discriminations, atténuation des inégalités, opposition aux censeurs des pensées réflexives, protection de la planète, fraternité et altruisme.

Mais pourtant, à lire avec plus d’attention le rapport de la conférence, il apparait clairement plusieurs raisons d’espérer.

Contrairement à la simplicité de nombreux discours, les enjeux ne concernent pas « avec note » ou « sans note. » La note n’est qu’un outil d’évaluation parmi plein d’autres (certes prédominant et peu performant) qui pourrait être pensé de manière éducative. Par exemple, en situant 15/20 comme le seuil de validation d’une compétence, les élèves pourraient, au-delà, passer à d’autres savoirs ou, en deçà et accompagnés de commentaires, disposer d’une information précise pour reprendre leurs entrainements. Comme l’explique très bien Jean-Michel Zakhartchouk, le problème avec les notes vient d’abord des moyennes que l’on en fait : elles induisent du classement, de la pure compétition et un « mou-tout » en matière de repérage des apprentissages des élèves : on esquisse approximativement ce que vaut un travail, mais cela n’indique pas exactement ce qu’il convient de reprendre. C’est donc une chose de noter le travail d’un élève, ça en est une bien différente que de calculer des moyennes.

La ministre et le jury font référence à la bienveillance. C’est une notion assez floue mais qui a le mérite de se placer du côté des orientations humanistes. La visée de l’évaluation n’est plus de trier les élèves, de sélectionner les meilleurs au détriment de tous les autres, mais bien de développer des progrès pour chacun. D’autant plus que, dans ses conceptions traditionnelles, le temps consacré aux évaluations est souvent du temps perdu pour les apprentissages…

De manière opératoire, nous savons ce qu’il conviendrait de développer : organiser les évaluations pour qu’elles guident les élèves vers ce qui est attendu. Autrement dit, faire de l’évaluation un outil pour apprendre sans démotiver.

Une évaluation bienveillante aurait donc un caractère positif et éducatif : souligner d’un côté ce qui est acquis ou réussi et, d’un autre, les éventuels manques afin de mieux les combler. Elle s’inscrit dans une démarche d’enseignement-apprentissages plus large :

  1. Repérer les conceptions spontanées des élèves autour de la notion travaillée, par l’intermédiaire de problèmes qui en nécessitent l’usage pour être résolus
  2. Laisser les élèves confronter leurs solutions – Transmettre du savoir s’il n’émerge pas correctement de la part de propositions d’élèves
  3. Stabiliser les connaissances et faciliter les mémorisations par de l’entraînement répété
  4. Évaluer les acquis des élèves, en condition d’examen et collectivement
  5. Pour les élèves ayant réussi l’évaluation, valider les compétences testées, les orienter vers d’autres travaux et les reconnaître comme personnes ressources dans la classe
  6. Pour les élèves qui ont commis des erreurs, s’en servir pour les aider à mieux comprendre et organiser de nouveaux entraînements, avec la possibilité de solliciter les camarades ressources. Les autoriser à repasser une évaluation similaire une fois ce nouvel entraînement achevé.
  7. Régulièrement, transmettre la liste des compétences acquises aux parents d’élèves en situant clairement celles qui restent encore à valider.

Nous avons donc de bonnes raisons d’espérer que deviennent « hors la loi » des pratiques d’évaluation issues de notre histoire scolaire mais contraires aux logiques éducatives. Exit donc les évaluations uniquement sommatives qui condamnent à comprendre du premier coup, les évaluations pour asseoir de l’autoritarisme, les classements qui ségréguent, les moyennes qui ne disent rien, les livrets d’évaluation sous forme « d’usines à cases » que, souvent, les enseignants ne remplissent qu’avec des visées administratives, les épreuves qui prétendent « évaluer les élèves » et risquent de les étiqueter en tant que personnes…

Bienvenues aux pratiques qui évaluent les acquis d’un élève et qui lui donnent la possibilité de reprendre ses éventuelles erreurs pour repasser plus tard une évaluation similaire. Bienvenues également à celles qui, en même temps, valorisent la réussite, ne serait-ce que pour enrichir le réseau d’échanges de savoirs que représente une classe.

Nous disposerons alors d’une école facilitée, en mesure de pouvoir à la fois élever le niveau des élèves et prendre en compte leur diversité. Nous aurons alors tout loisir de nous satisfaire enfin de nos choix éducatifs et d’attendre avec la plus grande des sérénités que le système français se hisse au sommet des classements internationaux.

La route est tracée, ne nous trompons pas de chemin.

Sylvain Connac