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Réponse à une étude critique sur les RASED

Quand cette étude est parue, l’ensemble des enseignants spécialisés ont ressenti stupeur et colère. Les cicatrices toujours fraîches de la disparition de près de la moitié des effectifs de RASED (entre 2008 et 2012) se sont rouvertes. « Ça recommence, il va encore falloir se battre, pour les élèves, ceux que l’École laisse au bord du chemin, se battre pour nos collègues des classes qui sont trop souvent seuls face à la difficulté, pour ces parents qui ont besoin d’être accompagnés pour aider leur enfant à réussir… »

Les médias se sont vite emparés du sujet. La difficulté scolaire a toujours fait vendre, surtout sur le ton désespéré du « rien ne fonctionne ». Car l’étude IREDU, si elle remet en question les RASED, tire les même conclusions négatives sur les autres dispositifs d’aides actuellement rencontrés dans les écoles (maître supplémentaire, « coup de pouce clé », aide individualisée ou APC, tutorat…). Cette analyse de tous ces supposés dysfonctionnements ne donne pas de piste ou de points d’appui pour améliorer la situation. Nous avons néanmoins tenté de reprendre le texte point par point pour éclairer le travail de RASED aujourd’hui. Cette étude nous permet un focus sur l’histoire des RASED et de l’école, compte tenu de l’anachronisme de ses données, elle nous montre combien notre métier a évolué ces 20 dernières années.

Une étude historique

Rappelons en préalable que l’étude IREDU est une étude quantitative menée par des chercheurs en sociologie et qu’à ce titre, nous n’avons pas à remettre en cause la rigueur scientifique de leur travail du point de vue méthodologie quantitative.

Cependant la réalité du terrain est bien plus complexe que les chiffres. Aucun des chercheurs n’est allé sur le terrain rencontrer des élèves, des enseignants, des RASED… Ce d’autant moins que cette étude s’appuie uniquement sur une enquête de la DEPP diligentée en 1997, il y a 20 ans !

C’est un peu comme si on évaluait la téléphonie mobile 4G à partir des caractéristiques des premiers Nokia.

Il s’agit donc d’une étude historique sur l’école et les aides au siècle dernier. Aucun interlocuteur ne peut nier à quel point, l’école a changé depuis 20 ans. Elle a accompagné les changements de la société, elle est passée d’une logique intégrative à une logique inclusive. Cette étude nous permet de constater combien le métier d’enseignants spécialisés de RASED à lui-même évolué depuis sa création en 1990. Trois circulaires successives (en 2002, 2009 et 2014) ont précisé leurs missions. Les référentiels de compétences ont eux-mêmes été modifiés en 2004 puis 2016. En parallèle la FNAME (Fédération nationale des associations de maître E), représentant plus d’un millier d’enseignants spécialisés à dominante pédagogique, s’est dotée d’un comité scientifique. Les chercheurs engagés à ses côtés, ont accompagné, et accompagnent encore, de leur regard spécifique, la réflexion professionnelle autour de la spécificité du maître E mais aussi autour des moyens les plus appropriés pour répondre aux besoins des enfants en difficulté. En 2013, la « Charte du maître E » a permis de mettre en évidence 3 piliers essentiels de son identité professionnelle et de sa posture d’accompagnement spécifique : enseignant ET spécialisé, travaillant à la construction des apprentissages par l’élève rencontrant des difficultés à l’école, professionnel de la relation d’aide à l’élève en difficulté et acteur de partenariats et de réseaux au sein desquels il agit. Oui, notre métier a bien évolué depuis 1997 !

Le mode de sélection des élèves en partenariat concerté

Si les maîtres E ne peuvent pas se reconnaître dans l’étude IREDU, ils n’y reconnaissent pas davantage leurs collègues rééducateurs ou psychologues avec lesquels ils constituent un RASED. Cette étude ne distingue pas les prises en charges selon ces différentes spécialités. Les maîtres à dominante pédagogique travaillent davantage sur la difficulté dans les apprentissages, ils aident à la mise en place de compétences instrumentales et cognitives, à mettre du sens sur les tâches scolaires, à mobiliser ses savoirs et expliciter ses stratégies d’apprentissage pour les rendre plus efficientes. L’aide des rééducateurs « concerne les enfants scolarisés dont les difficultés se manifestent par de l’instabilité, de l’inhibition, une communication difficile, un refus partiel ou total de la situation scolaire, des difficultés dans la pratique de la langue écrite ou orale… »

Les psychologues scolaires réalisent des entretiens avec l’enfant, les enseignants, les parents et procèdent à des observations, des bilans et des observations psychologiques afin de mieux comprendre la problématique et trouver les solutions pour la faire évoluer conjointement avec les différents acteurs autour de l’enfant.

La difficulté scolaire est multifactorielle et c’est aussi la raison pour laquelle elle nécessite une analyse de plusieurs personnels spécialisés pour définir l’aide la plus appropriée en collaboration avec l’élève, les parents et bien entendu l’enseignant de la classe. Ce n’est qu’après avoir mis en place avec des résultats insuffisants, le soutien et les différenciations pédagogiques, que ce dernier fait une demande d’aide au RASED. C’est lui qui interroge le RASED sur les difficultés qu’il rencontre à faire progresser tel ou tel élève. Sa demande est élaborée en concertation avec les parents puis étudiée avec les membres du RASED, chacun apportant son point de vue spécifique pour prendre en compte l’élève dans sa globalité tout autant que dans sa singularité.

Interroger le choix des RASED, c’est interroger le choix initial des enseignants, c’est ne pas leur faire confiance quand ils demandent à être accompagnés par leurs pairs pour aider un enfant en difficulté. Le travail du RASED est de faire émerger tous les points positifs de l’enfant en difficulté scolaire sur lesquels les différents professionnels pourront s’appuyer pour mettre en place un projet le plus adapté possible à sa situation propre et unique.

Le choix des élèves à aider s’appuie également sur un recueil et une analyse d’informations partagés, tenant compte du niveau des apprentissages, des aspects psycho-affectifs, du rapport au savoir, des autres prises en charge éventuelles, en veillant de pas empiler les aides mais aussi de l’historique des aides précédentes, de l’histoire scolaire de l’élève, de l’écart entre la culture familiale et celle de l’école. Ce choix s’appuie également sur des évaluations diagnostiques et des observations.

Les RASED s’occupent des élèves en très grande difficulté scolaire

L’étude IREDU reproche au RASED de ne pas permettre une augmentation des résultats aux évaluations. Un effet neutre pour les groupes d’élèves les plus en difficulté nous interroge sur cette stabilité des résultats s’il n’y avait pas eu d’aide. De la même manière, alors que l’étude ne peut donner le type d’aides qu’a reçu l’élève, ni la dominante de cette aide (lecture, mathématiques, raisonnement, comportement…), elle observe comme négatif le fait que les élèves aient de moins bons résultats en mathématiques aux évaluations. Nous avons une autre lecture de cette observation, en effet, la grande majorité des aides à dominante pédagogiques concernent le lire/écrire, un effondrement en mathématiques confirme le fait que l’élève était/est en réelle difficulté globale. Il se maintient là où il est aidé mais son niveau continue de creuser un écart par ailleurs. Le choix de suivi de cet élève était vraiment pertinent, même si ses résultats initiaux, pris en tant que tels, auraient pu le faire passer à côté d’une aide spécialisée. C’est la preuve qu’une analyse fine en concertation avec le RASED, l’enseignant, la famille, est plus appropriée qu’un résultat chiffré pour définir les élèves qui bénéficieront d’un suivi spécialisé.

L’analyse des évaluations confirme par ailleurs le fait que les RASED travaillent avec des élèves aux difficultés durables.

L’évaluation d’une cohorte n’a rien à voir avec l’évaluation des progrès individuels tel que nous le concevons au sein des RASED, même si nous recherchons le retour à la norme. Ne devrait-on pas remettre en cause (comme en Finlande), l’exigence d’évaluer dès l’entrée à l’école ? Les chiffres sont des prétextes au jugement de valeur de l’individu. Ces mêmes chiffres sont à l’origine de parallèles douteux, de syllogismes : plus un élève est en difficulté (donc pris en charge par le RASED), plus il a de risque de redoubler !
Nous ne parlerons pas de l’anachronisme du redoublement, les logiques de l’école « il y a 20 ans » n’étant plus les mêmes dans l’école d’aujourd’hui. Cela rejoint ce que nous disions sur l’historicité de cette étude.

Pour évaluer correctement l’effet des aides spécialisées, il faudrait évaluer non seulement l’évolution des compétences scolaires d’un élève suivi mais aussi sa flexibilité mentale, son attention, son sentiment d’efficacité personnel, son bien-être scolaire, son attitude d’élève et son plaisir d’apprendre…

En ce qui nous concerne, nous voyons que cette étude confirme l’évidence : les RASED travaillent avec des élèves en grande difficulté scolaire !

Effet d’étiquetage en voie de disparition ?

Il est étonnant qu’une étude qui se base sur des évaluations, sur des rapports à la norme, puisse par ailleurs invoquer l’effet d’étiquetage. Elle y participe complètement en laissant entendre qu’un chiffre peut donner la valeur d’un élève et par extension d’un dispositif. Elle y participe en étiquetant à son tour les RASED d’inefficacité, le rendant vulnérable aux récupérations partisanes. L’étiquetage est cette représentation sociale d’un écart à la norme, d’une déviance d’un individu ou d’un groupe qui a pour conséquence d’attribuer une image négative à l’ensemble des acteurs qui le représente. Ainsi un enfant pris en charge par le RASED est-il vu, d’après cette étude, comme en difficulté sérieuse et évidente et cela justifie de moindres exigences de l’enseignant et un redoublement moins réfléchi. A travers notamment la surmédicalisation et son quota de troubles divers dont se retrouvent affublés les élèves, l’institution organise l’étiquetage des élèves bien au-delà des RASED. Et si stigmatisation il y a, elle est davantage le fait de la difficulté elle-même que de la prise en charge par une aide spécialisée dans ou hors la classe.

L’étude est cependant rassurante, seuls les élèves ayant peu ou pas de difficulté (donc les élèves se rapprochant du niveau moyen de la classe) pourraient pâtir d’un passage en RASED. Les élèves pris en charge aujourd’hui étant en difficulté ou en grande difficulté, on peut considérer qu’il n’y a pas d’effet d’étiquetage dommageable. Ouf !

D’une manière générale, à l’heure de l’école inclusive, on peut espérer que cet effet d’étiquetage n’aura plus d’impact car il est lié à une perception négative de la différence. Une école bienveillante et prévenante ne porte pas de regard « a priori » sur l’enfant, elle l’accompagne avec ce qu’il est, ses manques, ses difficultés et ses réussites. Une école inclusive doit refuser l’étiquetage et permettre à chaque élève de se sentir écouté, pris tel qu’il est dans sa globalité, pris en compte dans ses besoins plutôt que ses manques, dans ses réussites plutôt que ses faiblesses. Les RASED participent à cette évolution de l’école vers plus de bienveillance (sans perdre pour autant son exigence) à travers leur travail de collaboration au sein des écoles mais aussi au sein des Pôles ressources. Nous espérons qu’un jour, dans une société devenue plus tolérante aux différences, l’effet d’étiquetage sera une catégorie en voie de disparition.

Sortie de classe et stigmatisation

Cette école devenue inclusive est le lieu de rencontre de nombreux acteurs différents amenés à collaborer ensemble dans l’intérêt de l’enfant, des élèves. On y croise AVS, maîtres supplémentaires, animateurs du périscolaire… et même éducateurs ou kinésithérapeutes ou soignants de SESSAD. Dans cette école ouverte (sauf sur le plan Vigipirate), les élèves sortent aussi beaucoup, parfois par demi-journée complète pour aller au CMP, chez l’orthophoniste ou le psychomotricien. C’est pourtant aux RASED que l’on fait le reproche « d’extraire » des élèves pendant 45 minutes des classes. Cet argument d’un temps perdu d’apprentissage, fort fallacieux, a permis à un ancien ministre en 2008 de justifier la fin des RASED. C’est une vision dégradante pour les enseignants à qui l’on ne reconnaît pas l’intelligence d’ajuster leur emploi du temps selon les prises en charge des élèves en collaboration avec le RASED. L’aide est construite en lien avec la classe et non en rupture, elle n’est pas déconnectée de la réalité pédagogique et didactique. Les projets individuels spécialisés sont conçus en co-réflexion avec les enseignants. Même lorsque l’élève a besoin d’un espace de restauration de soi en dehors de la classe, lorsqu’il lui faut la transition d’un espace sécurisant pour oser prendre le risque d’essayer, de rater sans danger, tâtonner et apprendre… l’objectif est bien le retour et le transfert des compétences dans la classe. La notion de cycle permet une souplesse des apprentissages et de plus en plus d’enseignants quittent la position frontale qui unifie les rythmes pour une gestion plus importante de l’hétérogénéité. En Finlande, on ne se pose pas la question si un élève est sorti de la classe, les enfants vont et viennent d’un espace à l’autre selon les besoins des activités du moment.

Tant d’études positives qui ne font pas de bruits !

De nombreuses recherches[[Sylviane Feuilladieu, Jeanette Tambone, « La demande d’aides spécialisée des enseignants ordinaires du premier degré auprès des RASED », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation 2014/2 (N° 66). Marie Toullec-Théry et Laurent Lescouarch « Le maître E en Rased : enjeux, pratiques, perspectives » La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 66 juillet 2014.]] dont une très récente sur les mathématiques[[Recherches en Didactiques n° 22 décembre 2016, Etude de Florence Liraud et Eric Roditi, Laboratoire EDA, Paris Descartes.]] montrent l’utilité d’un passage par le RASED pour les élèves en grande difficulté scolaire. La littérature scientifique mais aussi politique (Rapports parlementaires, rapport pour la loi des finances…) montrent tout l’intérêt pour l’Éducation nationale d’utiliser au mieux ces personnels spécialisés au sein du dispositif RASED. L’école dispose, en son sein, de professionnels experts de la difficulté scolaire, qui ont des compétences psychologiques, pédagogiques, sociologiques, didactiques, et savent tisser des liens et faire réseau… C’est en les renforçant et en leur redonnant les moyens humains d’agir, qu’elle pourra lutter efficacement contre les inégalités scolaires, qu’elle pourra accompagner une transformation profonde de son système.

Thérèse Auzou-Caillemet
Présidente de la FNAME

Le site de la FNAME : http://www.fname.fr/

Voir aussi le n°526 des Cahiers pédagogiques, «Inclure tous les élèves».