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Jacques Nimier, l’exigence respectueuse

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Jacques Nimier, nous a quittés le 24 avril 2014. Il avait 84 ans. Son site “pedagopsy.eu » créé en 2000 était une mine d’informations et d’outils pour tous les enseignants. Il a joué tout au long de sa carrière (professeur de mathématiques puis responsable IUFM) un rôle d’interface entre la recherche et l’enseignement.
Son action est très proche de celle des Cahiers Pédagogiques et c’est la raison pour laquelle je tiens à lui rendre hommage. Je l’ai plusieurs fois croisé à l’occasion de diverses manifestations et j’ai pu apprécier aussi sa gentillesse et ses grandes qualités humaines.

Philippe Watrelot

Le nom de « Jacques Nimier » continuera de retentir puisque je le cite plusieurs fois par an lors de stages, que j’invite les stagiaires à visiter son site, si riche et si original.
Pas de « damnatio memoriae« . Il y a des noms dont on peut se passer, pas celui-là.
Merci Jacques Nimier, toutes mes condoléances à sa famille, à son épouse.

Annie Di Martino

un souvenir d’utilisation personnelle : la dernière fois que je suis allée en Egypte, j’ai emporté avec moi des copies de pages du site que nous offre Jacques Nimier, un cadeau sans prix. C’est sur le bord du Nil que j’ai lu ce qu’il a écrit, avec une éblouissante clarté, de l’inconscient et ses manifestations professionnelles. J’ai lu, relu et surligné de toutes les couleurs une collection de schémas, à la fois précis et ouverts. Sa mort me fait comme un coucher de soleil au milieu des palmiers. Le Nil continue de couler. Quant au site : Allez-y ! J’espère qu’il sera bien préservé.

Sylvie Abdelgaber

J’ai eu l’occasion de travailler trois fois avec Jacques Nimier et des co-animateurs (je me rappelle Marie-Françoise Bonicel) en 92 – 93 : une UE à Reims : Des capacités nouvelles pour un métier nouveau. Déjà. Et deux séminaires de formation de formateurs et de responsables de formation à Grenoble, sur la négociation, l’analyse de la demande en formation, et l’écoute. En tout, peut-être 8 jours ?
 
C’est un des formateurs qui m’a laissé des souvenirs assez précis : une posture à la fois très respectueuse des personnes et très exigeante sur la façon de travailler, des dispositifs particuliers, des traces dans mes compétences peut-être.

« Des choses me reviennent »

Nimier a dit plusieurs fois que les profs parlent beaucoup, trop, et que pour former des profs, pour qu’il y ait vraiment formation, déplacement donc, il fallait commencer par leur enlever le discours. D’où des dispositifs de mise en situation non verbale dans un premier temps, où l’écoute passe par le corps (yeux bandés, se laisser guider, ou dos à dos, assis en chaussettes sur des tapis….), ou se traduit par le dessin. Dans l’atelier phénomènes relationnels qu’il animait à Reims, j’avais noté par exemple : « Travail non verbal – à 2, grande feuille, feutres, une couleur chacune – consigne : faire un dessin à 2 sur une même feuille sans parole ni geste entre nous, sans se regarder, sans mots ni signes trop explicites. Puis en grand groupe, chaque binôme parle du processus vécu autour de ce dessin et le formateur aide à formuler ce qu’est l’écoute et par quoi elle passe. » On a parlé ce jour-là de fusion, de différenciation.  À la suite de ce travail autour de chaque binôme, chacun était invité à écrire où il en était de sa réflexion. On avait ensuite échangé en petits groupes, sans doute avec une consigne d’élaboration, et à la fin, le formateur avait fait un apport sur la « verbalisation ».

Cette façon de faire provoquait des résistances. Enlever ses chaussures, c’est déjà se mettre à nu pour certains. Pourtant, Nimier n’était pas brutal et il n’avançait pas d’interprétations qui auraient attaqué trop frontalement les défenses individuelles ou collectives. Du moins, c’est mon expérience. Mais il cherchait à nous faire prendre conscience des obstacles ou des biais que chacun posait quand il disait écouter, et c’était difficile de ne pas l’entendre.

Quelques bribes qui me restent de mes notes :
À propos de négociation: « On n’est jamais deux mais trois. On se rencontre dans un cadre, une règle, une loi commune. »
À propos d’écoute : « La seule chose qu’on peut faire, c’est de diminuer ce qui empêche l’autre de parler. Mon désir que l’autre parle l’empêche de parler. »
À propos de consignes : « On alourdit toujours les consignes. On ne prend pas toute la marge possible parce qu’on n’est pas très sûr de ses limites intérieures. »
À propos d’écoute et de rencontre : « Je ne peux rencontrer l’autre que si j’accepte de ne pas comprendre. » – « C’est par l’écoute de ce qui se passe en soi qu’on va pouvoir écouter ce que demande vraiment l’autre. »

Enlever le discours

jacques-nimier.jpgCe formateur était capable de faire travailler des équipes en situation institutionnelle et donc, c’est un pléonasme, potentiellement en situation de tensions. Il ne laissait pas les gens indifférents, et si j’ai eu à la fois beaucoup de plaisir et de profit à travailler avec lui en équipe, je sais que d’autres ont critiqué l’investissement personnel que demandaient ces formations, et la déstabilisation qui pouvait provisoirement en résulter. Pour les personnes et pour les équipes. Mais y a-t-il formation sans cela ? Et changement ? Y compris pour les équipes, bien sûr.
Enlever le discours aux profs était un détour pour leur redonner la parole et la capacité de penser. Car les dispositifs ne s’arrêtaient jamais au ressenti mais incitait chacun à réfléchir individuellement et collectivement, par l’écrit et par l’échange verbal, en lien avec des apports théoriques. On ne peut pas parler d’écoute sans parler de la personne qui écoute. Il travaillait à ce que la formation professionnelle ne fasse pas l’impasse sur le fait que ce sont des personnes qui travaillent.
Dans le même temps, il mettait en garde les profs contre les dérives d’une écoute psychologisante. S’il nous invitait à nous écouter, ce n’était pas au sens ordinaire de faire la petite chose, voire la victime, mais au contraire, d’écouter ce qui résonne en nous pour en faire quelque chose qui nous permette de comprendre dans quoi nous sommes pris quand nous travaillons dans telle ou telle situation. Pour réguler. Pour agir. Avec les adultes, pour les élèves, leur apprentissage et leur formation, dans les meilleures conditions possible.

Avec Ardoino et Guy Jobert et quelques autres, c’est un formateur qui a fait date pour moi et dont, vingt ans plus tard, je me souviens. Un peu. Car il n’était pas un gourou. Et ce qui comptait, c’était de travailler ensemble. Il repartait, nous, on continuait. Un peu différents. Un peu déplacés. Et avec un peu plus de billes pour affronter ce qui, dans notre travail, n’allait pas de soi tous les jours.

Sylvie Floc’hlay