Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Pour un retour en classe dehors !

Retourner en classe pour ne pas bouger de sa chaise et ne pas s’approcher des autres peut ne pas faire envie. Mais l’occasion est peut-être bonne, et la météo propice, de faire l’école non pas buissonnière, mais en plein air !

Les premières images de l’école « d’après » circulent dans les médias et donnent à voir des espaces confinés dans lesquels les élèves ne peuvent se mouvoir que dans un périmètre réduit. Sans remettre en cause la nécessaire distanciation physique qui garantit la non propagation de la Covid-19, un retour à l’école qui favorise l’occupation des espaces extérieurs aurait été envisageable, comme au Danemark qui a fait ce choix depuis le 16 avril. De fait, cette nouvelle conformation de l’espace scolaire est une solution pour accueillir davantage d’élèves.

Mais, plus généralement, l’enseignement dehors apporte bien d’autres avantages. C’est pourquoi, avant que l’école ne reprenne en France, une pétition lancée par la formatrice et psychologue Sarah Wauquiez, et deux tribunes publiées simultanément, dans le journal Le Monde et sur le site du Réseau école et nature (REN), proposaient de faire classe dehors lors du déconfinement.

À la campagne, les grands espaces naturels étaient interdits d’accès. Dans les grandes villes dont les parcs et les jardins ont été fermés au public, les enfants n’ont eu accès à l’extérieur au mieux qu’une heure par jour. Et ceci dans un contexte général où la plupart des enfants sont de moins en moins en contact avec la nature, ce qui n’est pas sans conséquence.

En 2005, Richard Louv a d’ailleurs fortement étayé l’hypothèse que des caractéristiques physiques et psychologiques observées chez de nombreux enfants américains, comme l’hyperactivité ou l’obésité, peuvent être les signes cliniques d’un « syndrome » : le manque de nature. Les bienfaits de l’éducation au plein air sont montrés de longue date par les acteurs de l’éducation à l’environnement de la francophonie. Depuis quelques années, des recherches essentiellement anglo-saxonnes se développent pour documenter les effets sur la scolarité du contact avec la nature.

Avantages de l’enseignement en plein air

Récemment, une synthèse américaine de deux-cents articles scientifiques de langue anglaise autour des « Nature Based Learning » issus d’un large champ disciplinaire et concernant toutes les régions du monde, concluait qu’il était « temps de prendre la nature au sérieux en tant que ressource d’apprentissage et de développement »[[Voir Ming Kuo, Michael Barnes et Catherine Jordan, « Do Experiences With Nature Promote Learning? Converging Evidence of a Cause-and-Effect Relationship », Frontiers in Psychology, vol. 10, 2019.]]. Les études anglo-saxonnes permettent d’affirmer que l’enseignement dehors :

  • contribue à maintenir les élèves en bonne santé ;
  • participe au développement de la communication, de la collaboration, de la créativité et de l’esprit critique ;
  • favorise l’acquisition des savoirs en langues, en sciences et en mathématiques ;
    aide à la gestion du stress et renforce l’estime de soi.

En France, les pratiques d’éducation en plein air semblent devoir être cantonnées aux colonies de vacances et plus largement aux pratiques d’animations socioculturelles. Pourtant, sans abandonner les contenus de programmes, depuis 2018, une cinquantaine d’écoles primaires réparties sur le territoire expérimentent l’enseignement dehors dans le cadre de la recherche-action participative « Grandir avec la nature ».

Cette recherche, animée par le Réseau école et nature, vise à établir les effets des approches pédagogiques des formes de « nature » investies lors des activités scolaires (de la cour, au parc jusqu’à la forêt proche de l’école) et de la durée de l’enseignement à l’extérieur sur le développement de l’enfant dans ses dimensions cognitives, affectives, comportementales et existentielles. Concernant quarante-cinq enseignants, onze animateurs, dix-sept accompagnateurs et cinq enseignants-chercheurs, elle est organisée autour d’un comité de pilotage dont la mission est de garantir la contribution de tous dans un équilibre entre théorie et pratiques.

Nouveaux rapports au monde et aux savoirs

 

-340.jpg

Mon moment à moi. Crédit Marie-Laure Girault.

La recherche a d’ores et déjà mis en évidence la compatibilité de l’apprentissage scolaire avec les objectifs définis par l’Éducation nationale lorsqu’il se déroule à l’extérieur. À titre d’exemple, Élise Sergent, professeure des écoles dans le Doubs, a fait classe dans une forêt proche de son école une fois par semaine durant l’année 2018-2019. Elle relate qu’elle a pu faire toute la production d’écrits du programme (grammaire, orthographe, conjugaison), travailler davantage le langage oral, faire pratiquer autrement le sport en aménageant des espaces dans la forêt mais aussi mettre en pratique facilement l’éducation morale et civique. Le rapport aux élèves s’en est vu également modifié et elle qualifie cette expérience de « rêve professionnel »[[Ce témoignage issu du film Enseigner dehors dans le Doubs, réalisé par Éric Fretel qui documente les effets sur trois classes participant à la recherche action. Consulté le 15 mai 2020.]], tout en insistant sur la nécessité d’un accompagnement. Les sorties nécessitent d’être sécurisées ; les acteurs associatifs sont un soutien méthodologique pour les enseignants.

En Lozère, le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement accompagne dix classes de la maternelle au CM2 faisant classe dehors régulièrement. Les premières observations participantes permettent d’entrevoir que le développement des compétences psychosociales est particulièrement favorisé : créativité, collaboration, prises d’initiatives dans une ambiance généralement sereine.

Les processus et les pratiques pédagogiques associées sont, d’une part, les rituels, tels que le « concert nature », où les élèves écoutent attentivement, en cercle et en fermant les yeux, les sons de la nature ou encore « mon moment à moi », qui est un temps de lecture ou d’écriture ou de contemplation, chaque élève étant dans son coin, et, d’autre part, l’alternance d’approches sensibles, sensorielles, réflexives, d’activités d’expression, de débats, et de temps non dirigés. L’éducation à, dans, par et pour la nature permet aux élèves de travailler un rapport au monde, aux autres et à eux-mêmes sur lequel ils peuvent s’appuyer pour construire leurs rapports aux savoirs.

En cette période de déconfinement, même si l’enseignement dehors ne s’improvise pas, son déploiement participerait non seulement à la mise en œuvre des mesures sanitaires car le coronavirus semble se transmettre davantage dans les espaces clos, mais plus important encore, il contribuerait à apaiser les esprits et à réparer des corps restés longtemps cloîtrés. En septembre, le virus sera probablement toujours présent et préparer une rentrée avec une part d’enseignement en plein air pourrait être envisagé pour augmenter les capacités d’accueil. Mais au-delà, intégrer l’expérience du dehors aux relations pédagogiques et didactiques, c’est ouvrir davantage l’école à un fondamental : l’environnement.

Aurélie Zwang, Marie-Laure Girault, Agnès Perreau
Membres du comité de pilotage de la recherche action « Grandir avec la nature »