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Loin de la « dictée quotidienne » et du bruit médiatique

Vendredi 18, le président du Conseil supérieur des programmes, Michel Lussault, a remis à la ministre la mouture finale des programmes proposés par cet organisme, avant validation notamment par le Conseil supérieur de l’éducation en octobre. Des membres du CSP donnent leur avis après la publication des projets.

Il y a sans doute autre chose à dire sur ces programmes, finalement assez révolutionnaires dans leur conception et leur orientation, que de ressasser la sortie médiatique sur la « dictée quotidienne » de la ministre. Le président du CSP, qui n’hésite pas à « monter au front » pour défendre ces programmes, s’est souvent exprimé ces derniers temps, avec une grande ténacité. Il est dommage qu’on n’entende pas davantage la voix d’autres membres, puisqu’il s’agit bien d’un travail collectif qui a mobilisé des dizaines de personnes. Aussi avons-nous donné la parole ici à plusieurs d’entre eux : nous leur avons demandé de faire ressortir un ou deux points saillants et d’exprimer un souhait pour l’avenir.

Points de vue de Sylvie Plane, Marie-Christine Blandin, Xavier Buff, Marie-Aleth Grard, Denis Paget et Eric Favey.

De vrais repères de progressivité

plane_petite_.jpgSylvie Plane, vice-présidente du CSP, professeure à l’ESPE de Paris

Le Conseil supérieur des programmes s’est imposé trois préoccupations majeures : le pilotage du choix des objectifs par le socle commun, puisque c’est vers l’obtention de ce socle que doivent converger les enseignements de la scolarité obligatoire ; l’impératif de cohérence longitudinale, chaque secteur d’enseignement étant conçu en fonction d’un continuum ayant comme point de départ la maternelle et allant jusqu’à la classe de troisième ; et enfin l’impératif de cohérence inter secteurs ou inter disciplines à la fois dans le choix des objectifs et dans la présentation. Tout cela a requis quantité de réécritures, puisqu’à chaque fois qu’on faisait bouger quelque chose dans un secteur, il fallait vérifier les conséquences que cela avait sur l’ensemble et procéder aux ajustements nécessaires. On peut espérer que ce souci d’homogénéité facilitera la lecture des programmes et fera que des enseignants s’intéresseront à des secteurs ou à des niveaux qui ne leur sont pas familiers.

Mais, outre ces principes fondamentaux qui constituent une solide charpente, il y a dans ces programmes trois points qui me paraissent particulièrement intéressants. Le premier concerne les questions de temporalité et de progression. Le fait que les programmes soient structurés en de vastes périodes, les cycles, et non pas en années, offre de larges empans temporels pour l’apprentissage. Des repères de progressivité sont donnés aux enseignants, signalant l’ordre dans lequel s’opèrent les acquisitions, mais le rythme propre de chaque élève peut être conservé ; il n’y a pas de couperet qui s’abat à la fin de l’année, clôturant définitivement un apprentissage, qu’il soit réussi ou non, avec les conséquences que l’on sait pour l’apprentissage de la lecture.

Le deuxième point concerne la distinction entre les savoirs dont l’enseignant a besoin pour faire son cours et ceux qui doivent être acquis par les élèves. Le fait que le programme soit rédigé à l’intention d’adultes experts peut en effet introduire une confusion entre la manière dont on évoque les notions – puisqu’on s’adresse à des spécialistes – et le niveau d’appropriation attendu des élèves. Lorsque que de telles confusions menaçaient, il a été choisi de délimiter la terminologie devant être apprise par les élèves, de façon à écarter tout risque d’inflation.

Enfin le troisième point, et non le moindre, concerne le choix des objets d’étude : ils ont toujours été sélectionnés en fonction d’une certaine « rentabilité ». Rentabilité au sens où les programmes insistent sur ce qui est essentiel : par exemple, en langue française les apprentissages sont centrés sur les phénomènes les plus fréquents, au lieu de les noyer dans une masse d’exceptions qui ne permet plus aux élèves de repérer les régularités. Mais aussi « rentabilité » dans la mesure où ces apprentissages visent à aider l’élève à se construire (il parait que le mot construction apparait souvent dans le programme…) en tant que futur citoyen, éclairé, participant à une société qu’on espère plus juste et plus soucieuse de son environnement. Le fait que le conseil supérieur des programmes soit composé de personnes attentives à des facettes différentes de cette construction a été capital pour ces programmes et enrichissant pour chacun de nous.

Enfin, j’ajouterai un point marginal, mais significatif : les programmes appliquent (partiellement : il reste encore des coquilles), les rectifications orthographiques décidées en 1990. Il aura fallu vingt-cinq ans pour qu’elles conquièrent leur légitimité, mais le progrès est en marche…

Une promotion de la coopération

blandin.jpgMarie-Christine Blandin, sénatrice

Outre sa cohérence avec le socle commun, ce qui me tient à cœur dans ce projet est la manière dont est promue l’école de la coopération, voulue par la loi de Refondation. Réelle compétence, la capacité à coopérer est inscrite à plusieurs occurrences comme objectif pour les élèves : pour tirer toutes les potentialités de l’usage des outils numériques, pour être acteur et partager les apprentissages, mais aussi pour acquérir les démarches de projet, ou encore dans le cadre de l’éducation physique et sportive ou en vue d’une création artistique… La coopération est nécessaire entre enseignants, et les différents ponts jetés entre les domaines d’enseignement (ou les disciplines en cycle 4) sont autant de pistes pour les équipes qui devront s’approprier et faire vivre collectivement ces programmes.

Je suis également très attachée aux jalons qui sont progressivement posés, en sciences, en géographie, pour une compréhension de l’interdépendance humanité – nature. L’exploration de la diversité du vivant, de son évolution, des liens d’interdépendance au sein d’écosystèmes, les aménités de la nature pour les êtres humains, l’étude de certains impacts du changement climatique, mais aussi des propositions d’activités ancrées sur le quotidien des élèves (le suivi de ce qui entre et sort de la classe, de la cantine), sont autant d’éléments permettant d’éclairer la nécessité d’un comportement éthique et responsable vis à vis de la santé et de l’environnement.

Pour la suite, il reste des conditions de réussite. Des conditions d’évaluation de l’acquisition du socle, qui ne doit pas réduire l’horizon des apprentissages, du temps de concertation pour les équipes pédagogiques tant au sein des établissements qu’en lien avec les ressources de leurs territoires et une formation initiale et continue fidèle au socle et à la loi.

Une liberté accrue, mais qui doit être accompagnée

buff.jpgXavier Buff, professeur d’université, chercheur en mathématiques

L’articulation entre le socle commun et les programmes a été une préoccupation majeure du CSP tout au long du processus d’élaboration des nouveaux programmes. Le socle définit de grands objectifs que chaque élève doit atteindre en fin de scolarité obligatoire. Les programmes s’attachent à détailler comment y parvenir en précisant pour chaque enseignement les compétences travaillées et leur évolution au cours des cycles. Par exemple, le lecteur peut suivre comment les six compétences majeures de l’activité mathématique (chercher, modéliser, représenter, raisonner, calculer, communiquer) sont travaillées dans chaque cycle et comment cela contribue à la maitrise du socle.

Le CSP a souhaité définir des objectifs en laissant les enseignants choisir, en fonction de leurs élèves, la meilleure mise en œuvre pour y parvenir. Le choix a également été fait de proposer des exemples de situations, d’activités ou de ressources, afin de mieux expliciter ces objectifs et de donner des pistes pour les enseignants qui le souhaiteraient. J’espère vivement que ces indications pourront être utiles, sans devenir des contraintes.

Je me suis davantage investi dans la rédaction des programmes de mathématiques. Nous avons systématiquement essayé de faire la distinction entre ce que les élèves doivent maitriser (les compétences de calcul impliquant des nombres rationnels par exemple) et ce que les élèves rencontrent lors de la pratique des mathématiques mais ne maitrisent pas nécessairement en fin de cycle (la notion de nombre irrationnel par exemple). Comme indiqué précédemment, dans le second cas, les programmes se cantonnent à donner des exemples.

Le choix du CSP de mettre l’accent sur les attendus de fin de cycle et de faire confiance aux enseignants pour la mise en œuvre a une contrepartie. Il faut que des documents d’accompagnement de qualité soient mis rapidement à disposition des enseignants, et qu’une formation digne de ce nom soit assurée. Par exemple, un enseignement d’informatique (une initiation à la programmation) doit être pris en charge au cycle 4 par les enseignants de technologie et les enseignants de mathématiques. Une condition incontournable pour que cette nouveauté soit un succès, c’est de former les enseignants pour qu’ils soient en capacité d’articuler cet enseignement d’informatique avec celui de leur discipline.

Il est donc indispensable que les membres des groupes d’élaboration des projets de programmes qui ont été sollicités par le CSP soient associés à la rédaction des documents d’accompagnement pilotée par la DGESCO. Il est également indispensable que les formations aient lieu sur le temps de travail des enseignants et non pendant les congés.

L’encouragement au travail d’équipe

grard.jpgMarie-ALeth Grard, membre du Conseil économique, social et environnemental et vice-présidente d’ATD-Quart Monde

Ce qui me tient à cœur :

  • Le respect des temps de l’enfant (puis du jeune) si les enseignants respectent les cycles de trois ans, le temps de l’enfant sera davantage respecté. Ainsi l’enfant a trois ans pour acquérir les différents points du cycle.
  • Le travail en équipe des enseignants. Tout au long des 9 ans de la scolarité obligatoire et des nouveaux programmes, les enseignants sont incités à travailler ensemble, par projets le plus souvent. Et nous le savons, dans les travaux par projets, les enfants qui ont des difficultés dans telle ou telle matière s’y retrouvent beaucoup mieux. Travaux en équipe et donc travaux trans-disciplinaires tellement importants pour la réussite de tous.

Un souhait : que ce soit une belle occasion d’échanges entre enseignants, qu’ils ressortent tous «convaincus» de l’importance de travailler ensemble, d’analyser leurs pratiques et ainsi de s’enrichir les uns les autres pour la réussite de tous les élèves !

Le pari de l’intelligence

arton9828-61d25.jpgDenis Paget, professeur de français
Le CSP a réussi le pari – qui n’était pas gagné d’avance – de repenser totalement le socle et de le décliner en programmes cohérents sur les 9 premières années d’étude auxquelles il faut ajouter les prémices de l’école maternelle. Exit la dichotomie socle/programmes ; exit  aussi l’opposition artificielle entre compétences et connaissances. C’est à la fois une rupture avec les conceptions de 2006-2008, qui ne cachaient pas le souhait de réserver les programmes complets pour certains et le socle commun pour les autres et une porte ouverte en grand pour faire accéder tous les élèves  à une culture parce qu’ils en sont tous capables.

Ce pari de l’intelligence me paraît une marque profonde de ces textes conçus pour sortir les élèves de leur manque d’autonomie, de leur crainte de l’erreur,  pour leur donner un peu d’audace et d’envie. Ils sont également imprégnés de l’importance du collectif de la classe et de l’école et, de ce point de vue, ils sont aussi en rupture avec le discours sur l’individualisation à outrance. Le repérages des liens interdisciplinaires et les suggestions en ce domaine sont une véritable nouveauté : pour la première fois on ne pense pas ces articulations a posteriori et on leur donne une véritable épaisseur.

L’ensemble n’est évidemment pas parfait mais il est pensé globalement du point de vue de ceux qui apprennent et accorde à ceux qui enseignent la confiance suffisante en leur professionnalisme pour que leur réflexion sur les contenus enseignés devienne le centre de gravité du métier d’enseignant.

On peut cependant leur reprocher parfois d’anticiper encore des apprentissages difficiles, de concevoir encore ici et là les programmes de ces cycles en fonction des attentes de l’aval plus que des nécessités éducatives, sociales et culturelles d’une école commune. On trouvera encore ici et là des points aveugles qui sollicitent des acquis de l’éducation familiale pour accéder aux savoirs scolaires sans le dire. Des aspects importants de la vie économique et sociale restent encore exclus des enseignements alors que le « numérique » devient presque envahissant. En relisant l’ensemble, je trouve que la barque est parfois chargée et que certains attendus pourraient être formulés de la même façon en classe terminale. On ne pourra du moins pas accuser le CSP d’avoir conçu des programmes au rabais.

Que le CSP ait été capable d’un tel travail montre qu’il est possible d’échapper à l’omnipotence des inspections générales en la matière (tradition de l’école française depuis sa création) comme à l’intervention plus ou moins compétente des seuls parlementaires sur les programmes (installée pour le socle par la loi de 2005). Le groupe construit par Vincent Peillon est devenu peu à peu un vrai collectif de travail et une bonne part de la qualité des programmes vient de l’esprit d’ouverture, de l’écoute et de l’estime de tous ses membres et au premier chef de son président.

Mais il faudra aussi évaluer les limites du CSP : la pression médiatique sur certains programmes sensibles a conduit à l’abandon ou l’affaiblissement de formules novatrices. L’absence de temps n’a pas permis le travail de recherche et de débats contradictoires que réclame une telle mission et il a fallu parfois se contenter de re-solliciter les corps d’inspection. Le CSP devra conforter son potentiel intellectuel, anticiper davantage, mettre au point des travaux d’information (y compris internationale) et de recherche.

Le caractère novateur, à bien des égards, de ces programmes, et notamment leur organisation en cycle, nécessite un très gros travail de formation des professeurs et de production de ressources diverses. Je crains  que la mise en œuvre simultanée sur les 9 années, qui semble être le choix de la Ministre, aboutisse à de grandes difficultés, au moins dans les disciplines où les changements sont importants (des formules de transition me paraissent pour le moins nécessaires). L’expérience montre qu’il faut en général 2 ou 3 ans avant qu’un programme devienne vraiment opérationnel, dans le cadre d’une application année par année ; qu’en sera-t-il si l’on veut les mettre en œuvre à marche forcée ?

Des points d’appui pour une autre école

favey.jpgEric Favey, Vice-président de la Ligue de l’enseignement
Même si ce n’était pas toujours explicite dans nos travaux, ce qui me semble les avoir toujours guidé, c’est une volonté de cohérence à quatre niveaux : dans la déclinaison effective du nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, sur l’ensemble des 9 années de la scolarité obligatoire, sur la durée de chacun des 3 cycles et au sein de chaque discipline ou champ disciplinaire. Je ne suis pas certain que nous y soyons parvenu tant l’ambition est radicalement nouvelle et la tâche ardue. Mais cette construction en 4 dimensions nous est apparue comme la seule permettant de sortir de l’atomisation des savoirs scolaires dont nous savons qu’elle est en partie l’ingrédient de la machine à distillation fractionnée qu’est l’École.

Le second aspect de cette nouvelle organisation des programmes, ce n’est finalement pas tant sur les contenus (l’essentiel était déjà présent) que sur leur organisation afin que les élèves soient plus en situation de comprendre que d’accumuler. Je ne suis pas certain non plus que nous y soyons parvenus mais c’est un aspect majeur qui doit être corrélé évidemment avec les pratiques pédagogiques et notamment la capacité que l’École à relier les savoirs. C’est à cette condition que l’École sera plus qu’elle ne l’était le temps et le lieu ou les enfants et les jeunes apprennent ensemble à vivre leur vie et à vivre ensemble.

Et maintenant…

Un des grands défis c’est de permettre aux enseignants de conjuguer « l’amour de leurs disciplines », rangé de plus en « chambres disciplinaires » au collège, avec l’entrée en culture de tous les élèves qui sont dans leur classe. Ces nouveaux programmes, contrairement aux commentaires de celles et ceux qui ne les ont pas lus, qui sont revenus de tout avant d’y être allés et qui communient dans une soi-disant baisse d’exigence, offrent de véritables points d’appui pour multiplier les espaces de compréhension pour les élèves. Mais ils supposent d’en saisir la cohérence, la continuité et donc la globalité. Cette année devrait être mise au service de cette appropriation commune entre tous les enseignants de la scolarité obligatoire, dans des temps spécifiques et communs. L’institution doit aussi organiser l’information des parents et des autres acteurs de l’École et de l’éducation.

Il faudra aussi saisir l’opportunité des trois évolutions majeures et simultanées que sont les programmes, les nouveaux cycles et la réforme annoncée de l’évaluation. Et plus globalement situer ces évolutions dans une volonté refondatrice affichée dans la loi du 8 juillet 2013 pour que l’École soit plus juste, efficace et bienveillante.

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