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Le travail de groupes à l’école primaire : entre filles, entre garçons.

À l’école primaire, dans la cour de récréation ou à la cantine, les élèves ont tendance le plus souvent à se regrouper par sexe par peur du commérage et des moqueries et de la terminologie sexuelle et homophobe. La pression exercée entraverait toute autre configuration. Les élèves entretiennent la ségrégation par des mots et des jeux à charge hétérosexuelle (à chat… course, fuite). Cette séparation des corps constituerait une étape dans la construction des identités de sexe par des « évitements spatiaux » et des « violations de territoire »[1]. Ainsi, filles et garçons marquent et ritualisent des frontières de sexes en gage de paix sociale et personnelle dans les espaces « libres » de l’école.

Mais, qu’en est-il au sein de la classe et dans le choix de partenaires de travail ? comment s’établissent les groupes de travail au cycle 3 – notre terrain d’observation – comment la relation au travail pour les élèves est – elle traversée par des rapports sociaux de sexe ?
La classe est le lieu où certes se développent des compétences scolaires, mais pas seulement. En effet, un élève appartient à différentes catégories (sociale, linguistique, religieuse, ethnique…) et actualise ces dernières dans ses rapports à ses pairs et à son enseignante ce qui n’est pas sans influencer les situations d’apprentissage. Dans l’espace de la classe, comment mesurer l’impact de la vie socio-affective des élèves sur les situations d’apprentissage? Peut-on faire l’hypothèse d’un choix de groupes de travail conforme à la catégorie « sexe »? Cette conformité peut-elle s’expliquer par une attraction personnelle (c’est-à-dire un choix affectif) ou davantage par une attraction sociale (alors lié à un souci de performance) ?

L’approche sociométrique

Nous avons choisi de conduire une observation participante dans quatre classes de CE2, CM1 et CM2 de la région Centre pour comprendre les mécanismes opérants. Afin d’établir une mesure des relations au sein des groupes en classe, nous avons choisi l’approche sociométrique.
Pour chaque élève, il s’agit de prendre sa place dans le groupe, et de mettre à disposition ses propres compétences au service du travail commun. La difficulté du travail de groupe repose sur les effets des interactions entre pairs qui peuvent s’élaborer sur des rapports de domination ou de fascination. Mais, ces groupes de travail peuvent aussi favoriser la confrontation cognitive et permettre l’émergence de nouvelles représentations. En effet, chaque élève, dans son groupe, doit être confronté à « sa zone proximale de développement » [2] et aussi connaître la levée de freins dans ses rapports sociaux (timidité, angoisse…).

Ci-dessous un sociogramme réalisé dans une classe de CE2/CM1 et représentatif de l’ensemble des données. Parce que travailler en groupe peut conduire à certains résultats improductifs (investissement différent des membres, conflits, rejet, isolement, prise de pouvoir…). Il est nécessaire de proposer des configurations de travail qui prennent en compte les enjeux relationnels afin qu’une cohésion s’installe. De sorte qu’en mesurant les relations d’un groupe par un questionnaire,on modélise un système relationnel du groupe (Jacob Levy Moreno, 1933). C’est ce que l’on nomme le sociogramme, il peut prendre différentes formes (diagramme, tableau…). Ainsi, on peut proposer des sous-groupes de travail efficaces… », ce qui n’est pas rien dans une classe !.

Présentation d’un sociogramme réalisé dans une classe de CE2/CM1 et représentatif de l’ensemble des données recueillies.

Présentation d’un sociogramme réalisé dans une classe de CE2/CM1 et représentatif de l’ensemble des données recueillies.


[R = refus, C = choix]

L’analyse des données sociométriques permet de constater de façon massive que l’ensemble des choix des filles comme des garçons se porte sur des partenaires de travail de leur propre sexe. Les choix des filles comme des garçons sur l’autre sexe sont la plupart du temps des refus de participation. Dans chaque classe, deux à trois élèves sont massivement exclus des relations de travail et cela est tout autant le fait de garçons que de filles.


Stéréotypes et pression à la conformité

Nos résultats précisent la prévalence de la catégorie « sexe » sur tout autre configuration (cognitive, amicale, sportive) à ce niveau d’âge. La socialisation différenciée en place dès la prime enfance a comme effet de conduire l’enfant à construire un comportement « typique » (voire stéréotypique) de son sexe par le biais des interactions verbales, non verbales, et symboliques (lecture, musique, film, spectacle, jeux jouets, vêtements, …). Par ailleurs, cette socialisation exerce une pression de conformité qui peut être plus ou moins forte dans l’environnement familial, et qui sera également bien présente au sein de l’école.

D’autre part, au niveau groupal, il est souvent admis qu’un enfant recherche pour jouer des enfants de son sexe selon l’idée qu’ils sont plus susceptibles d’avoir les mêmes jeux, cette idée n’a cependant jamais été démontrée. Et, elle induit l’idée fausse que des enfants du même sexe ont des styles de jeux plus compatibles et serait explicative de la ségrégation. Or, quand on analyse la formation des groupes d’enfants, cela paraît plus complexe. Car si les enfants ont bien une tendance forte à la ségrégation dans les pratiques de classe, on peut aussi mesurer que la catégorie sexe prévaut sur la représentation de la performance. Ainsi, les filles comme les garçons préféreront choisir un élève de leur sexe et de moindre performance scolaire pour leur groupe plutôt qu’un élève du sexe opposé avec une performance supérieure.

Les choix affectifs prééminents

On peut observer que, pour les trois niveaux de classe, l’acception ou le refus de travailler avec tel ou telle élève est d’abord d’ordre affectif. Et, cela est vrai tant pour les filles que pour les garçons. En outre, cette primauté de l’affectif diminue de moitié entre le CE2 et le CM2 pour les deux sexes. Au regard de notre étude, les garçons en CM2 ont un choix d’ordre affectif équivalent à un choix d’ordre instrumental (c’est à dire que le but est clairement de mêler cohésion et performance scolaire). De plus, les choix des garçons se portent davantage vers des choix d’ordre instrumental dans le passage du CE2 au CM2. Ainsi, on observe que deux catégories de choix s’imposent, régies par les affects et les relations passées ou par une visée instrumentale. Pour les choix d’ordre affectif, on est face à des argumentations de type : je souhaite travailler avec eux parce que « ce sont mes amis, mes copains, ils sont gentils et rigolos, ils sont sympas » ou encore je ne souhaite pas travailler avec eux « parce qu’elle me suit, parce qu’il y aura beaucoup de problèmes, parce que c’est un pot de colle, parce qu’elles sont méchantes, ou parce qu’ils m’embêtent ».

Le choix secondaire de la performance scolaire

D’autre part, l’analyse quant à un choix instrumental laisse entrevoir le développement de la performance scolaire comme un enjeu dans les relations groupales. Que le choix soit d’ordre positif (« parce qu’on ne va pas bavarder, parce qu’elles ne parlent pas trop pour me concentrer, ils ou elles me seront utiles, elles peuvent m’aider dans mes difficultés, ils/elles sont calmes, ils sont intelligents, ils/elles travaillent bien, vite, ont de bonnes idées ») ou négatif (parce qu’il « dit des gros mots, elles parlent toujours, elles ne font que ricaner, elle/il copie, triche, ils ne travaillent pas bien, ils ont des difficultés, ils parlent trop, elles sont lentes, ils/elles ne font rien, ne sont pas intéressants, ils sont désordonnés »).

En somme, nos résultats laissent apparaître une nette influence du contexte socio-affectif sur les activités d’apprentissage. Les élèves font massivement des choix de partenaires de travail guidés par des relations amicales. Ce qui n’apparaît pas comme entravant les situations d’apprentissage en groupes puisque des travaux en psychologie sociale[3] ont montré que le choix de partenaires-amis pouvaient significativement servir les performances scolaires comparativement à des collaborations non amicales. Ainsi, la constitution des groupes de travail au sein des classes doit pouvoir prendre en compte l’influence des relations socio-affectives sur les relations cognitives et les performances scolaires.

Les raisons du refus de la mixité

Par ailleurs, lorsqu’on questionne les élèves sur leur refus de partager des relations de savoir en mixité, deux situations s’élaborent massivement. Les garçons, tout d’abord, refusent la mixité par peur du commérage amoureux. La possibilité de choisir une partenaire de travail est occultée pour nos élèves selon cette interprétation, (« on va dire qu’on est amoureux ») qui apparaît insurmontable, bien qu’ils reconnaissent par ailleurs la performance scolaire des filles. Les filles, quant à elles, refusent de partager des situations de travail avec les garçons selon la perception qu’elles seront reléguées à une passivité dans le groupe (« ils vont parler et décider et nous on va devoir attendre, alors qu’entre filles on peut se parler ») ce qu’elles ne perçoivent dans des groupes ségrégués. Des visions très stéréotypées sur le masculin et le féminin ressurgissent dans la possibilité de travailler en mixité. Si les filles reconnaissent que certains garçons ne participent pas à cette position dominante dans le groupe, elles préfèrent cependant rester dans des configurations groupales non mixtes. Sur ces constats, il nous faut préciser le poids des comparaisons sociales. En effet, les réputations scolaires ont un effet sur les performances scolaires des élèves et influencent nécessairement les relations au sein du groupe-classe. Il s’agit donc de veiller aux effets de la mixité (de sexe, sociale, ethnique) lorsqu’on sait que dans certaines configurations groupales, elle peut affaiblir l’estime de soi et les performances scolaires. Il faut donc préserver, dans un premier temps, l’idée que le choix d’un élève de la même communauté (sociale, ethnique, de sexe, linguistique…) s’explique par le fait de pouvoir s’accorder de la valeur sur le plan personnel. En effet, ces choix affectifs au sein d’une même communauté préservent l’estime de soi de l’élève, et permettent de trouver un support social au sein de son groupe d’appartenance.

Un état de fait figé ?

Au terme de notre recherche, il apparaît que la constitution des groupes de travail au sein de la classe est soumise à l’influence de données socio-affectives. Ces configurations amicales ne sont pas nécessairement entravantes bien au contraire et elles doivent évoluer. De plus, l’acquisition de compétences en groupe de travail reste perméable aux rapports sociaux de sexe car la catégorie « sexe » prévaut et invisibilise tout autre forme de relations même en situation de performances. Comme dans les espaces « libres », la pression sociale ne permet pas le franchissement des frontières de sexes. Toutefois, il faut également considérer ces formations groupales spontanées et ségréguées comme préservant l’estime de soi des élèves et permettant des performances scolaires meilleures que dans le cadre d’une mixité imposée, tout du moins dans un temps premier que l’on se doit de faire évoluer.


[1] Sophie Ruel, « Filles et garçons à l’heure de la récréation : la cour de récréation, lieu de construction des identifications sexuées » communication au colloque international Les enfants et les jeunes dans les espaces quotidiens , 16-17 nov 2006-CNRS-Université Rennes, 2011.
Eleanor E Maccoby, « Le sexe, catégorie sociale » in Actes de la recherche en sciences sociales, 1990, vol.83, Masculin/Féminin, p. 16-26.
[2]) Léon Vygotski, Pensée et Langage, Paris : Ed. Sociales, 1985.
[3] Jean-Marc Monteil & Pascal Huguet, réussir ou échouer à l’école : une question de contexte, PUG, 2013. Voir une recension sur notre site ici : https://www.cahiers-pedagogiques.com/Reussir-ou-echouer-a-l-ecole-une-question-de-contexte

Céline Delcroix
Espé de Créteil, Lirtes-Ouiep