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De fil en aiguille, tisser la coopération

En Belgique, le cursus en École normale est différent selon que l’on se destine à enseigner en maternelle ou en primaire. Elle a choisi les deux, en étudiant d’abord dans la première voie, puis en empruntant une passerelle pour la seconde. Et pour mieux apprendre son métier, elle a suivi des cours à l’École supérieure de pédagogie de Mons le mercredi après-midi et le samedi matin. Son mémoire d’études s’intitulait : « Une personnalisation des apprentissages pour permettre à chacun d’être heureux d’apprendre avec les autres. »

Sa carrière a débuté dans une école internationale en Suisse, où elle enseignait le programme français à une classe de GS/CP/CE1. De retour en Belgique, elle enchaîne les intérims dans diverses écoles durant deux ans. « Cela m’a permis de découvrir de multiples façons de travailler dans des contextes variés. Puis, j’ai obtenu un poste dans mon école actuelle.  » Aujourd’hui, elle travaille dans un école primaire frontalière où la mixité sociale est de mise. Son établissement est communal, appartenant au réseau public dans un pays où deux autres réseaux coexistent. Elle est également maître de formation pratique à l’École normale de Leuze en Hainaut.

Des échanges

Elle ne perçoit pas de grandes différences entre les écoles de chaque côté de la frontière, en France et en Belgique. Certes, la sixième est intégrée dans le primaire en Belgique, les dénominations des sections diffèrent, les effectifs sont légèrement inférieurs mais pour elle, les bases et les méthodes sont les mêmes. Le travail des enseignants se ressemble. Elle le constate en échangeant avec des collègues des deux pays. Car l’échange d’expériences, la recherche commune de réponses à des problèmes rencontrés, sont des bulles d’oxygène pour avancer, progresser et apprendre. « On n’a jamais fini d’apprendre. Certains enseignants changent peu leurs pratiques, d’autres continuent dans la curiosité. Je fais partie des seconds. » Dans ses propos, il n’y a pas une once de jugement de valeur, juste l’expression d’une façon d’envisager un métier qu’elle pratique depuis quinze ans.

Elle continue d’apprendre auprès d’intervenants venus à l’École normale, comme Jean-Michel Zakartchouk, de Sylvain Connac ou encore Bruce Demaugé. Elle a adopté une approche coopérative dans sa classe de 2e accueillant des 7-8 ans, retrouvant dans les propos de Sylvain Connac le fonctionnement des classes de maternelle belges – mais cette fois adapté aux niveaux d’élémentaire. Elle apprend en rencontrant d’autres professeurs comme Yves Khordoc qui partage son enthousiasme et son expérience sur un blog, en particulier sur la différenciation pédagogique, l’utilisation des ceintures de compétences et des plans de travail. « Toutes ces personnes font ce qui correspond à mes attentes de classe “idéale”. Ils sont abordables et répondent volontiers aux questions. Ils ont vécu ce que je vis et échangent à partir de leurs expériences. Je crois que le pire frein qu’on puisse parfois avoir, c’est finalement nous-même. »

Elle apprécie la visite d’autres écoles, d’autres classes, dans d’autres environnements, comme celle de Stéphanie Fontdecaba, en milieu rural, où elle a séjourné quelques jours. Elle accueille volontiers en retour des enseignants futurs ou en poste pour partager, tout comme elle le fait sur le blog d’Yves Khordoc. « C’est un moyen d’échanger et de coopérer. Les gens posent des questions. On en rencontre quelques uns mais peu vont jusqu’au bout. La coopération en classe demande du temps, nécessite de changer de posture et de s’impliquer personnellement dans la vie de la classe. »

Le droit de se tromper

Elle affiche le principe du droit à l’erreur avec un panneau « Ici on a le droit de se tromper ». Pour elle, « le meilleur élève c’est Ducobu car il va te faire comprendre que ton cours n’est pas intéressant. Il osera te dire qu’il n’a pas compris, qu’il aurait aimé apprendre autre chose. Ce sont les élèves les plus en difficulté qui nous font avancer car ils nous obligent à trouver d’autres solutions, idées, chemins… » Elle place le respect, la confiance et l’autonomie au fronton de son approche pédagogique.

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Le bienêtre dans la classe est à son avis fondamental pour apprendre mais aussi pour que le quotidien de l’enfant, en grande partie passé à l’école, ne soit pas empli de douleurs et de craintes. Elle perçoit la fragilité de la vie lorsqu’une petite de son établissement l’a perdue brutalement. Depuis, elle met encore plus de soin à faire en sorte que l’enfant ne s’efface pas derrière l’élève, qu’il soit présent tout entier et reconnu ainsi, dans son intégrité. « J’aime assez cette citation d’Einstein : “Au cœur de toute difficulté se cache une possibilité”. » L’autonomie affective, intellectuelle et sociale est pour elle primordiale car, « pour apprendre à apprendre, il faut aussi qu’on puisse se sentir libre d’agir, de proposer des idées, de chercher le matériel dont on a besoin ».

Chaque matin, le menu du jour est affiché avec dedans le déroulé de la journée. Le menu est un repère quotidien pour se rendre compte du temps passé, de ce qui a été fait ou sera reporté. Le vendredi après la récré de dix heures, un temps est consacré à la méditation, un moment tellement intégré par les élèves que lorsqu’il est oublié, ils le réclament. Une fois par semaine, un conseil de coopération se réunit et des « Quoi de neuf ? » ouvrent régulièrement le droit à l’expression, des temps d’échanges pour veiller à un bon climat de classe.

« La coopération me semble essentielle. Elle favorise une implication des élèves dans leurs apprentissages et responsabilise chacun des membres de la classe quant à la réussite de tous. De plus, elle nous permet de mieux connaître les personnes avec qui nous travaillons en classe. En travaillant avec des classes nombreuses, il me semble que c’est d’autant plus nécessaire. » Tous les quinze jours, elle propose à ses élèves des devoirs au choix. Tous doivent lire un texte mais un texte qu’ils choisissent. Recettes de cuisine, fiches de bricolage, expériences scientifiques, jeux sportifs, quelque soit le support, un compte-rendu est rédigé pour expliquer ce qui a été appris.

Ceintures

Elle a adopté les ceintures de comportement et les ceintures de grandeur issues de la pédagogie institutionnelle pour «que l’élève se rende compte de ce qu’il est possible de faire pour progresser. » Les ceintures sont attribuées après discussion au sein du conseil coopératif au regard des notions acquises et des progrès réalisés. Les notions sont régulièrement revisitées en ajoutant des niveaux de difficultés afin d’éviter le morcellement des apprentissages.

L’enseignante constate : « les élèves sont plus impliqués. Ils se montrent curieux et ont envie d’avoir davantage d’informations sur les notions. Cette pratique permet aux élèves de prendre conscience de ce qu’ils ne maîtrisent pas encore mais aussi de se rendre compte qu’ils connaissent déjà certains éléments. Ils expriment leur souhait de passer une ceinture lorsqu’ils estiment maîtriser la compétence visée. L’ambiance de classe est également changée. Je pense que les élèves sont plus sereins car ils se sentent rassurés. »

Leur utilisation n’est pas systématique, cela dépend de la matière, des projets menés. Elle aimerait aller plus loin sur le travail en français à partir des productions de la classe. Elle cherche, apprend toujours et encore, tout comme ses élèves, et avec ses élèves. Elle souligne la nécessité d’apprendre à apprendre et de comprendre comment on apprend. Cela passe pour elle par la mise en valeur des compétences, par la reconnaissance de ce que l’on sait faire et la confiance.

Marchés de connaissances

Christian Watthez, un collègue pédagogue de l’École normale, lui a expliqué le fonctionnement des marchés de connaissance, une initiative où les élèves expliquent à d’autres des notions, ou montrent comment faire quelque chose. Elle décide d’organiser un marché d’abord au sein de sa classe puis avec d’autres classes, jusqu’à, une fois, impliquer une centaine d’élèves de la grande section de maternelle à la 3ème. Au début, les élèves hésitent, proposent des sujets à tâtons, doutant de l’intérêt du sujet qu’ils proposent. Et puis, avec la pratique, ils prennent confiance, détectent même parfois des talents chez les autres, les poussent à animer à leur tour un atelier.

Les sujets sont choisis librement, les façons d’exposer aussi. Les élèves volontaires viennent auparavant expliquer à leur professeure ce qu’ils souhaitent faire. Elle, de son côté, veille à l’organisation. Après chaque marché, un bilan est fait où chacun exprime ce qui lui a plu et moins plu, les autres commentent, critiquent de façon constructive. Et chaque mois, un marché des connaissances a lieu. « Dans le marché des connaissances, les enfants sont eux-mêmes. Ils se trouvent dans une situation de communication vraie. L’enfant apparaît derrière l’élève alors qu’en classe, on ne voit pas toujours l’enfant. Cela permet de rebondir en classe et de remettre en confiance certains. Lorsque quelqu’un croit en toi, en tes compétences, en ta possibilité de réussir, ça aide à évoluer. »

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Le succès est tel qu’elle décide de tenter l’expérience en associant les parents, en les invitant à participer à un marché lors d’une journée portes ouvertes, dans l’idée de renforcer le lien entre l’école et les parents. « Lorsqu’on montre la cohérence entre les deux, l’enfant se sent plus en sécurité. » Elle ira témoigner sur l’expérience lors de la journée des réseaux d’échange réciproques des savoirs organisée cet automne par Claire Héber-Suffrin et le REZO. Elle espère à l’occasion rencontrer des témoins d’autres initiatives, pour apprendre encore, avancer sur un chemin pédagogique où la coopération s’étoffe, s’exprime en résonance avec des savoirs nés de tous les horizons.

Monique Royer

Le blog où Angélique Libbrecht partage ses pratiques


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