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Un prof qui lit le journal travaille-t-il ?

497.jpgSelon le rapport 2011 de l’OCDE « Regards sur l’éducation », les enseignants des pays de l’OCDE donnent, en moyenne et par an, 779 heures de cours dans l’enseignement primaire, 701 heures et 656 heures dans le premier cycle et le deuxième cycle du secondaire (en France, respectivement, 918 heures, 642 heures, 628 heures). Des travaux de recherche permettent de préciser ces volumes horaires. En Écosse, les enseignants du secondaire passent en moyenne 20 heures 45 (49 %) en classe et 22 heures 15 pour la préparation des cours (17 %), les évaluations et la correction (15 %), la formation continue (5 %), les projets et travaux en équipe (8 %), les entretiens avec les parents (3 %) et le suivi des élèves (3 %). Il est souvent difficile de préciser le « temps de travail à l’école ». 50 % des pays (dont la France) ne donnent aucune information à ce sujet. Inversement, c’est la seule donnée fournie par la Suède.

Que peut-on dire de la charge de travail des enseignants ? Les travaux de recherche en éducation portent sur le métier, sa transformation, la souffrance au travail, proposent des analyses sur l’effet maitre (sur lequel la présence ou la disponibilité de l’enseignant hors des heures de classe pourraient avoir une incidence), sur le travail en équipe, l’investissement des enseignants dans les projets d’établissement, dans leurs relations avec les parents. Toutes ces analyses donnent des éléments d’information sur le temps de travail effectif des enseignants, dans et hors l’école, mais rien de très probant.

Voir le quotidien
La lecture d’un article paru en décembre 2011, dans la revue en ligne ethnographiques.org, en devient donc particulièrement intéressante. Julie Jarty y analyse ces temps de travail que la sociologie du travail a du mal à appréhender, à partir d’observations et de carnets de bord réalisés au quotidien par un panel d’enseignants.

Soulignant que l’autonomie de l’organisation du travail des enseignants (ici, du secondaire) est une dimension centrale du métier, elle se réfère aux deux principaux critères collectifs qui renvoient à la figure du « bon enseignant ». On attend de celui-ci certaines compétences, qualifications, spécialisations (« contrôle scientifique »), mais aussi des résultats, une présence et un temps de travail (« contrôle éthique »).

Selon les pays, on observe une vision polyvalente de l’enseignant (pédagogie, connaissances disciplinaires, administration), comme en Angleterre ou en Espagne, où les enseignants disposent d’un bureau ; à l’opposé, c’est le cas en France, c’est l’excellence disciplinaire qui prime, justifiant une « autonomie temporelle » et une performance individuelle.

Dans ce contexte, l’enseignant peut organiser son travail en toute indépendance (ou presque) et dans des « espaces tenus communément pour “hors travail” », faute de locaux adaptés dans les établissements. Par ailleurs, quand les enseignants disent travailler tel et tel jour, ils se réfèrent aux jours où ils ont cours ; les non-enseignants peuvent en déduire qu’en dehors de ces heures, ils ne travaillent pas.

Interpénétration
En France, comment les enseignants travaillent-ils hors de la classe ? Comment évaluer ce quasi-mi-temps si difficilement quantifiable qu’il demeure « invisible », comme le dit Julie Jarty ? En poussant à l’extrême, on pourrait reprendre les propos cités par la chercheuse de Toulouse : « un prof qui lit le journal, est-ce un enseignant qui travaille ou un enseignant qui se détend ? »

Parmi le panel d’enseignants, il est des enseignants qui préfèrent travailler le soir, après le coucher des enfants, d’autres le weekend. Une caractéristique commune est l’interpénétration de la sphère familiale et de la sphère professionnelle, particulièrement pour les enseignantes. L’enseignant est celui qui est disponible dans la journée pour tel ou tel rendez-vous, les mères de famille apprennent à gérer les multiples interruptions de leur activité professionnelle à la maison à chaque sollicitation de leurs enfants (sans parler de la correction de copies dans la voiture, pendant que les enfants sont à leur activité extrascolaire). Les statistiques de l’Insee sur l’organisation du temps de travail mettent en avant le travail fragmenté des enseignants : horaire total de travail « réparti en nombreux épisodes relativement brefs, se situant pour partie à domicile, à des heures tardives et durant le weekend ». Ces heures présentent « une courbe d’activité trimodale, avec un maximum d’activité le matin de 10 à 11 h, un autre l’après-midi vers 15 h, et un troisième en soirée vers 22 h » Alain Chenu, « Les horaires et l’organisation du temps de travail », Économie et Statistique, n ° 352-353, 2002. On lira également les ressentis exprimés sur les risques de fatigue, de stress résultant de ces horaires en partie libres, certes, mais sujets à désorganisation.

Pour conclure, il est difficile d’établir un volume de travail hebdomadaire qui puisse être comparé à celui des non-enseignants. « Il faudrait inventer une commune mesure, car le temps de travail est, on le sait, un étalon peu pertinent pour mesurer le travail des “knowledge workers”. »

Pour conclure, il est difficile d’établir un volume de travail hebdomadaire qui puisse être comparé à celui des non-enseignants. « Il faudrait inventer une commune mesure, car le temps de travail est, on le sait, un étalon peu pertinent pour mesurer le travail des “knowledge workers”. »

Annie Feyfant
Chargée d’études
Veille et analyses, Institut français de l’éducation