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Un jour, Louise n’est pas revenue en classe

L’histoire commence ainsi. En 2010, Christine Lerch, enseignante de mathématiques, retrouve, à l’occasion d’un déménagement au sein du lycée, les lettres de Louise Pikovsky. Ses recherches d’informations sur la jeune fille restent vaines. L’an dernier, au moment de son départ à la retraite, elle transmet les courriers à Khalida Hatchy, la professeure documentaliste de l’établissement.

Louise Pikovsky

Louise Pikovsky

L’écriture est belle, les mots choisis, les réflexions sur la vie, la religion, laissent transparaitre l’intelligence et la maturité de la jeune fille de quatorze ans. Les lettres s’adressent à Mademoiselle Malingrey, son enseignante de latin-grec. On sent le lien fort entre elles, la confiance, l’attention. On lit les colis envoyés par la professeure, les questionnements philosophiques, les anecdotes sur une vie en sursis. La dernière lettre date de janvier 1944. Elle est déposée au domicile de l’enseignante accompagnée d’une bible et contient ces mots « des lettres que je voudrais retrouver si je reviens un jour ».

Louise n’est pas revenue mais sa correspondance a été conservée, transmise avec soin, comme si au fil des années, la certitude que les mots, demeurés intacts dans leur émotion, constituaient un antidote à l’amnésie mémorielle. Une première fois déjà, à l’occasion du cinquantenaire du lycée, elle était racontée dans le livret édité à l’occasion. L’hommage écrit par Mademoiselle Malingrey est teinté par le regret lancinant de n’avoir pas pu sauver la lycéenne des horreurs nazies. Le webdocumentaire est à son tour un hommage pour perpétuer le souvenir, un hommage public et partagé, un hommage nourri de rencontres, de souvenirs recueillis, de travaux menés par des lycéens d’aujourd’hui, à qui les mots de Louise parlent intensément.

Les lettres de Louise

Les lettres de Louise

Humaniser l’Histoire

Après soixante-dix ans, le moment opportun arrive enfin, celui où les bonnes personnes se rencontrent au bon moment, celui où le numérique facilite les recherches, la publication, le partage. Stéphanie Trouillard, journaliste travaillant sur l’actualité internationale pour la chaîne France 24, est devenue une spécialiste des deux guerres mondiales. Elle contribue notamment au site « Un jour, un poilu » qui exhume de l’oubli les soldats morts aux combats en 14-18. Son intérêt a été éveillé en partant sur la trace d’un grand-oncle, mort dans le maquis en juillet 44. Sa recherche est aussi une découverte de la richesse des archives, de toutes ces histoires qu’elles recèlent et qui humanisent l’Histoire majuscule.

Avec Khalida Hatchy, elle mettent en commun leurs compétences pour partir à la rencontre de Louise, y associer des élèves de première. Les lettres, le livret publié à l’occasion du cinquantenaire du lycée et des photos de classe, délivrent les premières informations. Elles retrouvent des anciennes camarades de classe de la lycéenne, une cousine éloignée. Sur le site du mémorial israélien de la Shoah, Yad Vashem, elles repèrent deux cousines encore en vie et partent à Jérusalem pour recueillir leur témoignage. Petit à petit, elles retracent son parcours avec des méthodes d’enquête journalistique, un véritable jeu de pistes où petit à petit, au fil des témoignages et des faits, Louise s’incarne.

Méthodes et émotions

Les élèves sont associés pour rechercher d’autres lycéennes disparues en déportation. Ils se familiarisent avec les méthodes pour travailler avec des archives, apprécient la consultation de documents d’époque. Ils sont émus aussi par la vie abrégée de celles qui auraient pu être leurs amies, leurs camarades de classe, leurs sœurs.

Dans le documentaire, deux lycéennes témoignent de leurs recherches. Au début, elles étaient surtout animées par l’envie de réussir un défi. En retrouvant la trace de Berthe Bauman, disparue elle aussi, l’émotion les submerge lorsqu’elles constatent son âge, elles s’identifient à elle. « A la fin, nous étions plus tristes que contentes de l’avoir trouvée » disent-elles. L’horreur n’est plus seulement un mot, elle devient palpable dans les histoires tues, dans les existences tuées, dans un passé récent, émoussé dans nos mémoires. L’histoire de Louise éclaire les échanges en cours d’histoire-géographie. Serge Klarsfeld est venu au lycée faire une conférence, répondre aux questions préparées à l’avance. Le souvenir de la jeune déportée ravivé devient source de multiples apprentissages.

A l’automne, une plaque commémorative avec les noms des élèves mortes en déportation sera apposée. Ces noms, ce sont les lycéens d’aujourd’hui qui les ont exhumés des archives de l’établissement. Le relai au fil des générations entre des enseignantes pour que l’oubli n’ensevelisse pas définitivement Louise trouve écho dans ce travail essentiel et abouti. Il se poursuivra l’an prochain pour préparer la commémoration avec une exposition regroupant des objets de l’époque pour incarner un peu plus ce que furent le nazisme, la collaboration, faire œuvre pédagogique.

Photo de classe

Photo de classe

Si je reviens un jour…

La recherche conjuguée se raconte et raconte le parcours de la lycéenne déportée dans le webdocumentaire Si je reviens un jour. Plus qu’un témoignage, c’est aussi un récit d’une course contre le temps pour que le souvenir perdure, pour que les mots des survivants soient recueillis. Les chapitres du documentaire sont accompagnés d’outils pédagogiques, carte de l’itinéraire de la famille de Louise, chronologie, arbre généalogique, qui ouvrent vers des utilisations conjuguées par différentes disciplines. Les lettres sont disponibles en téléchargement, délivrant de façon intacte les mots d’une adolescente promise à un bel avenir, assassinée avec sa famille par l’horreur d’une idéologie monstrueuse. Elles sont désormais conservées au Mémorial de la Shoah, rejoignant ainsi l’enceinte de la mémoire collective.

Si je reviens un jour a été présenté dimanche 30 avril au Mémorial. Traduit en arabe et en anglais, il franchit les frontières, se propage via les réseaux sociaux, se partage dans des classes variées. Dans une lettre, Louise Pikovsky cite les mots d’un auteur étudié en latin « on ne m’a pas pris ma richesse car ma richesse est en moi ». Elle écrivait vrai. Stéphanie Trouillard rend hommage aussi à Mademoiselle Malingrey, songeant que c’est à elle également que l’on redonne vie, à sa façon d’enseigner, à son investissement auprès de ses élèves, à elle qui jusqu’à sa mort pensera à Louise avec la conscience alourdie par son impuissance à la sauver. La journaliste a entrepris là un travail où elle s’est sentie utile, où les compétences et richesses individuelles réunies ont sorti avec générosité de l’oubli une belle âme qui, au-delà des années, éveille nos consciences.

Monique Royer

« Si je reviens un jour »

L’enquête en vidéo-